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Présence dans l’espace public : Les « castés » bousculent la hiérarchie sociale

  Enregistrer au format PDF  envoyer l'article par mail title=    Date de publication : dimanche 28 décembre 2014
Depuis quelques années, à la faveur de la démocratisation du jeu politique, on assiste au Fouta à l’émergence d’une classe de dirigeants locaux qui, en bousculant la hiérarchisation sociale et en s’appuyant sur leur représentativité dans la population, revendiquent une plus grande place dans les collectivités locales.

source : www.lequotidien.sn - 27 décembre 2014

L’ouverture des espaces publics à la faveur de la poussée démocratique a quelque part légitimé la contestation de la hiérarchisation sociale issue du passé. Depuis quelques années, on assiste au Fouta à un repositionnement de certaines forces politiques dans l’échiquier local. Jadis exclus des postes de responsabilités du fait de leur naissance, ces hommes politiques investissent désormais sans complexe l’espace public pour revendiquer une légitimité basée sur leur représentativité. En effet, convaincus d’être une force démographique non négligeable, ces hommes politiques s’appuient sur une base qui espère ainsi inverser la tendance et mettre fin à des années de mise à l’écart. L’association «  Endam Bilali » (les enfants de Bilal), ou «  Peral Fadjiri  » (l’étoile du matin) comme elle a été renommée et qui compte des milliers de membres de la caste des « Maccubé » à travers le pays et jusque dans la sous-région, essaie de lutter contre ces pesanteurs sociales. Présidente des femmes, Racky Baba Ndiaye explique qu’un des objectifs de son association est justement de faire prendre conscience aux membres du rôle qu’ils peuvent jouer dans la société. « Durant les élections, nous faisons une éducation à la citoyenneté en les informant sur leurs droits de vote. Nous sommes une association apolitique, mais essayons de préserver les droits de nos membres », explique-t-elle. Le même état d’esprit prévaut également chez le responsable de l’association dans la commune de Matam. Amadou Diomboila estime en effet qu’un nouvel ordre politique doit se mettre en place. « Présentement, nous ne voulons pas être chef de quartier ou de village. Pas parce qu’on n’ait pas envie, mais parce que nous savons que ces positions sont dévolues à certaines familles et nous acceptons cela. Mais pour ce qui est des fonctions électives, nous sommes prêts à aller à la conquête des collectivités locales ou notre poids politique nous permet d’occuper les premiers rôles. Nous avons déjà commencé, et moi je suis conseiller municipal à la commune de Matam depuis les dernières élections. »

Une force politique incontournable

Les résultats de ces actions n’ont pas tardé à se faire sentir puisque depuis 2009, des hommes politiques dit « castés » ont pu accéder à la tête des communes, malgré les oppositions parfois très fortes des classes dites supérieures convaincues d’être les gardiennes d’une tradition pourtant féodale et obsolète. Et rétrograde. Mais ces préjugés ont encore leur place dans l’espace. Et l’association « Endam Bilali » met tout en Å“uvre pour sensibiliser ses membres. « Il y a des zones dans le Fouta ou les gens disent qu’un ‘’Maccudo’’ ne doit pas être maire ou diriger quoi que ça soit. Et il y a même des gens qui refusent de les suivre. C’est sur toutes ces questions que nous axons la sensibilisation », informe Mme Ndiaye. A Mboumba par exemple, elle explique que malgré sa victoire incontestable, le maire doit faire face aux actions de défiance de ses anciens adversaires et même de militants du même parti politique que lui. « Lors de la dernière visite de Macky Sall, il y a même eu deux cérémonies d’accueil parce que les adversaires du maire ont refusé d’aller à la mairie parce que, selon eux, cela donnerait trop d’importance au maire qui n’est qu’un casté. Il y a eu des affrontements et un de nos jeunes a été blessé. » Déjà dans le passé, ces problèmes ont perturbé la quiétude des habitants de Mboumba. En effet, pour dénoncer le parti pris de l’autorité administrative de la localité qui était un « Jawando », de la classe « noble », les partisans du maire avaient organisé une marche. « Il avait pris fait et cause pour les adversaires du maire et à chaque fois que quelqu’un se permettait d’émettre une opinion, il le faisait enfermer », raconte Mme Ndiaye.

Un maire destitué parce que « casté »Ces formes de « coalition » ne sont pas une exception. Walaldé dans le Podor n’échappe pas au phénomène. Là-bas également, les conseillers « nobles » jouent la carte du mépris pour rabaisser un adversaire politique pourtant adoubé par les urnes. A Thilogne, le rubicond a été franchi une fois. Mamadou Gaye, représentant de la Rencontre africaine des droits de l’Homme (Raddho) à Matam, raconte que lors de précédentes élections locales, « un maire de la caste des ‘’mabos’’ (tisserands) a été élu. Par rapport à ces normes sociales qui datent de mathusalem, il s’est vu demis de ses fonctions. Et finalement, cette mairie a été confiée à une délégation spéciale. Ils ont invoqué un problème d’irrégularité dans l’élection, mais tout le monde savait que c’était bien parce qu’il est casté qu’on l’a destitué ». Ces discriminations et stigmatisations envers des hommes politiques sont légion. Mais comme toujours, quand on évoque ce genre de questions, il est difficile de faire parler les principaux protagonistes. Tout juste certains observateurs bien au fait des us et coutumes de la région révèlent que nombre d’hommes politiques ont buté sur ces préjugés pour émerger dans la région malgré un solide leadership.

Mame Woury THIOUBOU - mamewoury@lequotidien.sn (Envoyé spéciale à Matam)


lire aussi sur www.lequotidien.sn (27 décembre 2014) : Enquête - Les castes au Sénégal : C’est pas noble ! par Mame Woury THIOUBOU

sur www.afrik.com (4 novembre 2005) : Quand la tradition rend les mariages impossibles par Mourad Ouasti

sur senegalfouta.canalblog.com (27 mai 2011) : Les Castes chez les Toucouleurs par Yaya Wane





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