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ECHEC A l’OMC ET CRISE ALIMENTAIRE

L’ambassadeur Jean Feyder du Luxembourg leve le voile et demande la revision des politiques de la Bm et du Fmi

  Enregistrer au format PDF  envoyer l'article par mail title=    Date de publication : dimanche 3 août 2008
GENEVE- Le représentant du Grand-Duché, préside le Sous Comité pour les Pays les moins avancés (Pma) à l’Omc depuis deux ans. Il nous a reçu ce jeudi 31 juillet à midi dans son bureau où trônent une photo de Son Altesse Royale Le Grand-Duc Henri et une vieille carte du monde conforme à la surface réelle (Projection Peters) intitulée carte pour un monde solidaire avec les inscriptions : ’ Reconsidérer notre conception des rapports entre les peuples. Chaque individu, comme chaque peuple, a droit à une existence libre, juste, humaine ’. Dans cet entretien qui sort du discours cotonneux des diplomates, l’ambassadeur Jean Feyder exprime ses convictions d’économiste, d’avocat et d’humaniste. A notre remarque ’ Vos collègues seront-ils contents de cette interview qui sera publiée à Sud quotidien, le premier quotidien de presse privé du Sénégal ? ’ Il nous lancera sur un regard sincère : ’ Il faut avoir le courage de la vérité ’.

source : sudonline.sn - 2 aout 2008

Pascal Lamy, le directeur général de l’OMC, a réuni pendant neuf jours des Ministres du Commerce, notamment ceux des pays riches et des pays émergents sur les 153 membres de l’organisation pour parvenir à un accord qui permettrait de relancer le cycle de Doha mais au final on est arrivé à « une impasse ». Beaucoup de pays regrettent cet échec et se renvoient les responsabilités. Le point d’achoppement au niveau technique est lié à la question agricole. Mais des raisons purement politiciennes, ont concouru à cette situation qui aura une incidence négative sur la poursuite du Cycle de Doha qui devait initialement être bouclé en 2004. Par ailleurs, les cotons culteurs africains à qui, l’Omc avait promis « un règlement rapide et approprié de « l’initiative coton » sur laquelle, la réunion de Genève n’est pas entrée en matière, devront prendre leur mal en patience. Ce dossier est pourtant considéré comme le plus important des pays de l’Afrique de l’Ouest. Les pays africains ont été les grands spectateurs d’un affrontement entre les États Unis, l’Union européenne (Ue) et autres pays riches et des pays émergents comme le Brésil, l’Inde et la Chine.

Selon l’ambassadeur Feyder : «  L’échec des négociations est dû à une évaluation divergente des mesures de sauvegarde c’est-à-dire par exemple jusqu’à quel niveau ces mesures peuvent être appliquées dans les pays en développement, surtout en cas de baisse des prix et/ou d’augmentation substantielle des importations. » Bon nombre de pays comme l’Inde ont estimé que le grand nombre de petits producteurs qui vivent dans leur pays devraient bénéficier d’une protection sérieuse parce que c’est un domaine qui est lié à leur existence et à leur condition humaine.

En Inde, on estime que 600 millions de paysans connaissent une baisse dramatique de leur pouvoir d’achat suite aux libéralisations introduites en 1991.

Avec les programmes d’ajustement structurel, le prix de certains produits a chuté de 40 à 80 % (canne à sucre et oléagineux). Chaque année, 12000 paysans endettés se suicident. «  Cette importance là n’a pas été retenue par tous les autres acteurs, en particulier les Etats-Unis d’Amérique. » a estimé l’ambassadeur Jean Feyder. Ce dernier précisera que : « avec le Plan Marshall, les Américains n’avaient rien imposé aux Européens qui ont protégé leur marché avant de l’ouvrir après avoir construit un assez solide tissu économique ». Le diplomate luxembourgeois, docteur en droit et licencié en sciences économiques appliquées lève aussi le voile sur d’autres facteurs de l’impasse et qui sont liés à la politique. En effet, «  cet échec est aussi lié à la conjoncture politique aux Etats-Unis avec l’élection présidentielle de novembre 2008 et en Europe avec la prochaine mise en place de la nouvelle Commission Européenne qui se fera avec le concours du nouveau Parlement qui sera élu au mois de juin 2009 ». Dans ces conditions, le Représentant du Grand-Duché a estimé que : « il était difficile de relancer les négociations rapidement. »

Par ailleurs, on oublie souvent que trois organisations internationales ont une compétence commerciale : l’OMC, la Banque Mondiale et le FMI. Souvent des règles acceptées à l’OMC sont entravées par les politiques de développement imposées par les institutions de Bretton Woods. Sur ce sujet, l’ambassadeur Feyder qui défend une cohérence au niveau du commerce internationale, a martelé : « Le FMI et la Banque Mondiale doivent respecter les règles en vigueur de l’OMC qui permettent à un pays d’augmenter ses tarifs jusqu’au niveau des droits consolidés acceptés à l’Organisation mondiale du commerce ». A son avis, «  ceci permettrait aux pays en développement de soutenir leurs productions locales vis-à-vis des produits subsidiés des pays du Nord ». La politique du Fmi et de la Banque Mondiale consiste au contraire à demander aux pays d’avoir des structures tarifaires très simples et très libéralisées. L’une des conséquences de cette libéralisation outrancières est la crise alimentaire sans précédent qui a frappé certains pays du Sud. Jean Feyder, rappelle sa position soutenue lors de la Journée mondiale de l’alimentation (Berne 16 octobre 2007) et réitérée à l’occasion du séminaire du CSEND ( The Centre for Socio-Eco-Nomic Development) sur «  les règles de l’Omc et la crise alimentaire dans les pays les moins avancés » (Genève 16 juillet 2008) : « il faut réviser les programmes d’ajustement structurel de la Bm et du Fmi »

Crise alimentaire et baisse de l’aide publique au développement

Au mois de juin dernier, le sous-comité des Pays les Moins Avancés avait examiné la question de la crise alimentaire. Il a été noté que les PMA accusent un déficit alimentaire croissant alors qu’au début des années 60, ils avaient des surplus évalués à près de sept milliards de dollars. A la fin des années 80, cet excédent a disparu. Pourquoi ?

En effet, les programmes d’ajustement structurels imposés par le FMI et la Banque Mondiale avaient invité les pays en développement à démanteler leur politique d’appui à l’agriculture et en partie à réduire les tarifs douaniers pour les produits essentiels (sucre, riz, etc.). On pensait que la concurrence qui en naitrait favoriserait un meilleur marché avec des prix bas. Cependant, les produits subsidiés du Nord sont entrés et ont pris des parts de marché très importantes au détriment des produits locaux. Le résultat ? Les paysans ont petit à petit abandonné leurs activités. Ils ont souffert de la chute des prix agricoles parce que l’agriculture a été négligée dans les stratégies de développement. De même, les pays donateurs ont réduit drastiquement l’aide publique au développement réservée à l’agriculture qui, de 1985 à 2004, est passé de 13 % à 3,4 % soit 2,63 milliards d’euros à 1,90 milliard.

L’Ambassadeur Feyder, qui est aussi avocat inscrit au Barreau de Luxembourg plaide : « cette tendance est à renverser ». Il défend que « les pays donateurs doivent accorder une priorité à l’agriculture dans leur politique de coopération au développement, y inclus au niveau de l’Union Européenne ». Par ailleurs, M. Feyder les exhorte « Ã  appuyer l’intégration régionale et le développement des organisations régionales et sous régionales en soutenant la mise en Å“uvre de politiques agricoles communes de ces organisations et le développement de marchés agricoles régionaux ».

Il est à noter que 75 % des affamés se trouvent en milieu rural. Ce sont de petits paysans, des pêcheurs, des paysans sans terre et des éleveurs. Le constat surprenant est qu’on peut estimer qu’un paysan est d’abord capable de répondre à ses propres besoins alimentaires, souligne Jean Feyder. Au niveau mondial, l’agriculture emploie une population active de l’ordre de 1 milliard 300 millions de personnes. En y ajoutant la famille, on arrive à 2,6 milliards, soit 41 % de la population mondiale. Les trois quarts des plus pauvres se retrouvent dans cette population.

Les programmes d’ajustement structurel de la Banque Mondiale et du Fmi à réviser

Ces programmes ont eu un impact négatif sur l’emploi des petits producteurs agricoles. Selon la Cnuced, l’accord NAFTA a détruit au Mexique deux millions d’emplois agricoles depuis 1994. Le Sénégal a perdu 1500 à 2000 emplois dans la production de poulets depuis 2000 suite à l’importation de poulets subventionnés de l’Union Européenne et du Brésil à des prix dumping. Au Ghana, le riz des Etats-Unis est offert en dessous du prix de revient, car subventionné, et inférieur au riz local. La même chose se passe pour le concentré de tomate européen.

A Haïti, on assiste à une réduction des tarifs douaniers de 50 à 3 % avec à la clé la réduction du taux d’autosuffisance alimentaire en riz de 100 à 50 % et l’augmentation des importations de riz US de 15 000 tonnes en 1980 à 350 000 tonnes en 2004.

Comment dans de telles situations s’étonner que l’émigration des Mexicains et des Africains qui n’hésitent plus à prendre des embarcations de fortune, continue. La faim a créé un autre type de réfugié : « le réfugié de la faim ». D’où une nécessaire solidarité internationale et la tenue des promesses par exemple celles faites par les pays riches en 2001 à Monterrey et les engagements pris pour l’atteinte des Objectifs du Millénaire pour le développement. L’ambassadeur Jean Feyder demande une véritable volonté politique des leaders du Nord comme du Sud pour mettre fin à la famine.

Le Luxembourg «  mène une politique de solidarité très active » en allouant 0,92% de son PIB à l’aide publique au développement soit plus que le fameux seuil des 0,7% que des pays comme la Suisse et la France ont de la peine à atteindre. «  Nous concentrons notre coopération avec des pays dits « partenaires privilégiés » dont 5 sont en Afrique de l’Ouest (Burkina, Cap Vert, Mali, Niger et le Sénégal) en plus du Laos, du Nicaragua, de Salvador et du Vietnam ». Il a souligné les propos de Jean-Claude Juncker, Premier Ministre du Luxembourg interpellant les consciences : « la mort, chaque jour, de 25 mille personnes, surtout des enfants, est inacceptable, l’Union Européenne doit agir ».

Par El Hadji Gorgui Wade NDOYE, ContinentPremier.Com


lire aussi sur www.alternatives .ca (1er mai 2008 ) : Chronique d’une crise alimentaire annoncée, par Guy Debailleul





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