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Développement de l’Afrique : Seydou Badian fait le procès du FMI et de la Banque mondiale

  Enregistrer au format PDF  envoyer l'article par mail title=    Date de publication : mercredi 12 novembre 2008
Militant de la première heure de l’Union soudanaise-Rassemblement démocratique africain (RDA), Seydou Badian a été nommé Ministre de la Coordination économique et financière et du Plan du Mali le 17 septembre 1962.
Dans cette interview, l’auteur de "Sous l’orage", indexe la Banque mondiale et le Fonds monétaire international en parlant de la pauvreté en Afrique.

Comme la Guinée, bientôt beaucoup de pays africains vont entrer dans leur cinquantenaire. Si bilan, il y a à faire, quel bilan feriez-vous ?

Si on était parti dans l’indépendance rupture, l’Afrique pourrait présenter un autre visage. Mais nous sommes partis après l’élimination de Kwamé Nkrumah, Modibo Keïta, après l’encerclement de Sékou Touré, qui a été politiquement éliminé, nous sommes tombés dans le néocolonialisme. Si on se plaint aujourd’hui de la pauvreté, c’est parce que la régression a commencé par l’école africaine qui est tombée, la corruption généralisée, les guerres entre nous. Cela est l’œuvre du néocolonialisme et c’est regrettable. Le Fonds monétaire et la Banque mondiale sont des instruments de l’impérialisme qui ont tué l’Afrique. Le malheur de l’Afrique vient de ses institutions de Bretton Wood. Si on parle de pauvreté en Afrique, c’est parce qu’elle a été forgée et créée par les ajustements structurels qu’on a imposés aux Etats africains. Nous avons tous suivi comme des moutons de sacrifice.
On nous dit partout, le secteur privé, oui le développement doit se faire par le secteur privé. Je viens de sortir mon livre là-dessus. Mais secteur privé, où est-il ? Où est notre secteur privé ? Quel rôle joue notre secteur privé et quelle est sa capacité ? C’est le slogan qui nous a mis en retard et qui nous maintient encore en retard. Quand Dominique Strauss Kahn a été élu à la tête du FMI , j’ai applaudi parce que je me souviens d’une de ses déclarations. Il disait : « Quand le capitalisme ne permet pas le développement, il faut que l’Etat se substitue » (Le Nouvel Observateur n°1695 du 11 avril au 06 mai 1997). Ceux qui ont osé jeter les bases de l’industrie africaine, c’est la Guinée, le Ghana, le Mali, etc. Aujourd’hui au Mali par exemple, les industries qui existent, textile, sucrerie, cigarettes, allumettes sont des usines faites par l’Etat de Modibo Keïta en coopération avec la Chine.
Si le coup d’Etat n’avait pas eu lieu, aujourd’hui le Mali serait parmi les Etats émergents parce que nous avons, nous aussi, un sous-sol assez riche. Si les Africains veulent se tirer d’affaires, il faut qu’ils s’éloignent de la doctrine des institutions de Bretton Wood. Ce sont là des instruments de la néo-colonisation de l’Afrique. Notre secteur privé n’est pas capable d’industrialiser le continent et nous resterons éternellement vendeurs de matières premières et consommateurs de produits manufacturés. Le FMI et la Banque mondiale, avec leurs ajustements structurels, des pères de famille jetés à la rue, ce sont eux qui ont créé cette pauvreté-là. Et maintenant, avec des assiettes, ils veulent prétendre nous aider à nous tirer d’affaires. C’est ridicule !

Mais nous sommes en démocratie ?

Ecoutez ! Le socle de l’Europe a été bâti par les monarques. On n’impose pas la démocratie. Une démocratie-cadeau, ça va où ? Nulle part ! C’est le poison qu’on a introduit chez nous. Ce n’est pas la démocratie qui a bâti le socle de l’Europe. Les Chefs d’Etats africains n’ont pas été capables de dire non à l’Occident.

La Chine revient toujours dans vos propos. Qu’est-ce que ce pays représente pour vous ?

Pour moi, je remercie bien le ciel parce que l’année dernière j’ai effectué mon 34ème voyage en Chine. J’ai conduit la première délégation du Mali indépendant en Chine en septembre 1961. J’ai pratiquement rencontré la plupart des grands dirigeants de la Chine. Mais attention, il y a aussi des truands. Il y a des grosses entreprises d’Etat, sérieuses, capables avec lesquelles nous pourrons travailler. Il y a aussi des capitalistes chinois qui veulent travailler en Afrique, mais ne connaissent pas. Nos Etats africains ne sont pas libres pour traiter avec la Chine. Moi, je pense sincèrement que la Chine peut tirer l’Afrique d’affaires. Elle en a la volonté.
Ce n’est pas pour le bon Dieu. Elle le dit, elle-même : « C’est l’avantage mutuel. Tu gagnes, je gagne ». Nous, nous avons les ressources, elle, elle a les moyens et la technologie. Nous pouvons discuter avec les Chinois, surtout au niveau des grosses entreprises d’Etat. J’ai la liste d’une vingtaine de grosses entreprises qui veulent travailler avec l’Afrique. Elles peuvent développer l’Afrique. Celles que je vois en Afrique, sont en général des entreprises moyennes. Les grosses ne viennent pas, il faut que les Africains s’organisent pour traiter avec elles. Il y a aussi des privés. J’ai visité dans la banlieue de Pékin une usine qui fabrique de petits avions de deux places. Elle appartient à un jeune qui a une trentaine d’années. Il ne connaît pas l’Afrique et je suis le premier Africain à échanger avec lui. Je l’ai rencontré par le biais d’un jeune chinois dont le père a travaillé avec nous au Mali.
J’ai visité aussi une grande usine qui fait des téléviseurs écrans plats. Et le Directeur de l’usine m’a dit qu’il a failli venir au Mali parce que son père avait travaillé avec nous à Sikasso. Aujourd’hui, les grosses entreprises chinoises ne demandent qu’une seule chose, traiter avec les Africains sérieux. Mais est-ce que les Africains le sont ? Est ce que nous sommes sérieux ?

Je vous renvoie la question ?

Parce que j’ai fait un constat, d’après des exemples bien précis que j’ai vus dans quelques pays. Certains veulent traiter que quand ils ont 10%. L’intérêt du pays ne les préoccupe pas. Ce qui compte pour eux, c’est le pourcentage qu’ils peuvent ramasser. C’est dommage. Il faut que l’industrialisation soit l’affaire du Chef de l’Etat. Ou alors quelqu’un qui lui est très proche pour qu’on ne laisse pas certains ministres faire la pluie et le beau temps sur le dos des populations.

La concurrence déloyale a fini de faire ses preuves en Afrique. Ne croyez-vous pas que laisser la Chine, qui fait déjà peur aux grandes puissances, s’implanter en Afrique ne serait pas une mort anticipée ?

Encore une fois, il ne s’agit pas de laisser les frontières ouvertes. Les boutiquiers chinois que vous voyez ici, c’est l’équivalent de nos « bana-bana » (vendeurs à la sauvette) en Chine. On ne laisse pas nos frontières ouvertes. Moi je parle d’industrialisation et du développement agricole avec des entreprises d’Etat qui gagnent, je gagne. Quand on dit que la Chine va coloniser l’Afrique, je rigole. Ce n’est pas possible. La Chine traite avec nous. Nos lois, sont nos lois. Nous sommes maîtres chez nous. Nous acceptons ce qui nous arrange et nous refusons ce qui ne nous intéresse pas. Comment la Chine peut coloniser l’Afrique ?
Alors là, vous savez, les Chefs d’Etat africains qui ont le malheur de traiter avec la Chine et surtout de signer des accords d’une certaine ampleur, tout de suite on se déchaîne contre eux. On s’est déchaîné contre le Président Bongo, contre Denis Sassou Nguessou parce que d’importants accords ont été signés entre ces deux Chefs d’Etat avec la Chine. C’était pour développer leurs pays. On s’est déchaîné sur Bongo : « Il a des immeubles par-ci, il a des appartements par-là ». Je connais des ministres de rien du tout qui ont des appartements à l’avenue Hoche etc. On n’en parle pas. Mais on s’est déchaîné après ses deux Chefs d’Etat. C’est une vraie entreprise de déstabilisation parce qu’ils ont signé des accords avec la Chine.
Le Président Bongo, les mines de Bélinga et le Président Sassou Nguesso, le pétrole, le bois etc. Les « associations » entre guillemet t’attaquent et trouvent que tu es corrompu, tu es ceci ou cela, tu détournes des fonds etc. Mais avant, leurs amis ne détournent pas ? Le Président Bongo possédait ces immeubles avant. Pourquoi, ils se sont tus. Ce n’est pas sérieux. Ils sont contre les accords Brazza-Pékin et Libreville-Pékin. Les Africains doivent cesser d’être des naïfs, des imbéciles. On cherche par tous les moyens à nous déstabiliser parce qu’on traite avec la Chine. Vous avez vu l’histoire Tibétaine pour boycotter les jeux Olympiques. Qu’est-ce qu’ils n’ont pas fait ? Les associations, les athlètes… pour saboter les jeux olympiques. Mais vous avez vu comment ça s’est passé. Moi je suis Africain et allié de la Chine. L’Afrique passe avant tout. C’est nous qui sommes maîtres de nos pays, c’est nous qui y avons élaboré nos lois, la Chine doit s’y conformer et elle le fera. Il n’est pas question qu’on se laisse coloniser.

Si je comprends bien, l’Afrique doit s’allier à la Chine pour participer au concert des Nations ?

Comme vous, je suis africain. Où est-ce que l’Afrique pourra trouver ses intérêts ? C’est ça qui m’intéresse. Je ne suis pas un anti-occidental. Il y a des occidentaux qui sont nos amis. Mais je ne veux plus de ces tiers-mondistes et de ces quarts-mondistes qui ne sont que des néo-colonisateurs. L’Afrique avec l’Asie, oui, mais d’égal à égal. Comme le disent eux mêmes, « avantages mutuels ». Les dirigeants chinois actuels ne demandent qu’à travailler correctement avec nous. Dire que la Chine va nous coloniser, c’est ridicule. Nous traitons avec l’Asie sur la base de nos intérêts mutuels. Nous traitons avec l’Occident sur la base de nos intérêts mutuels.
Mais nous refusons les dictats des institutions qui, quand elles nous donnent vingt francs, jettent trois pères de familles dans la rue. Ces pères de familles ont chacun huit à dix personnes à nourrir. D’où vient la pauvreté ? Il faut que nos Etats africains prennent en main l’industrialisation de l’Afrique pas le privé. Ils n’ont pas la force et ne le peuvent pas. C’est un piège. Ça fait plaisir à l’oreille. C’est le privé, le privé etc. Ils sont contents. Mais qu’est-ce qu’ils peuvent faire ? Ils n’ont pas cette capacité. Il y a des privés asiatiques en Malaisie, à Singapour qui ne demandent qu’à s’associer avec le privé africain. Dans ces conditions oui, pourquoi pas. Mais, il faut éliminer cette espèce de poison qu’on essaie d’imposer aux Africains : « La Chine et l’Asie veulent coloniser l’Afrique ». Non ! Nous ne sommes plus colonisables. Nous ne serons colonisables que quand nous-mêmes nous accepterons de l’être.

A vous entendre parler, on a l’impression que vous regrettez quelque chose. C’est quoi en réalité ?

Je disais à un ami, nous avons franchi la barre des quatre-vingts ans. Voir ce que nous voyons aujourd’hui, c’est-à-dire la déliquescence de l’Afrique actuelle, nous aurions dû partir avec les autres. Ne pas assister impuissants à la dégringolade de l’Afrique. Des Chefs d’Etat obscurantistes et analphabètes. Des Chefs d’Etat qui pillent. Des Chefs d’Etat qui ne se soucient aucunement des intérêts de leurs pays. J’ai lui ai aussi dit : « Pourquoi la démocratie en Afrique engendre facilement l’autocratie. Quelque chose que nous ne comprenons pas ». Il m’a dit : « oui, on va y réfléchir ».
Regardez la situation en Mauritanie. Un homme a été démocratiquement élu, nous avons tous applaudi. Et voir le comportement que cet homme a eu vis-à-vis de son peuple. Je me suis dit c’est quoi ? C’est une malédiction ou quoi ? Comment peut-on relever de leurs fonctions tous les Chefs militaires ? Mais c’est un acte suicidaire. Je ne comprends plus. Sur quoi il s’est basé pour faire ça ? Dieu seul le sait. Nous, nous sommes en vie, mais nous souffrons beaucoup de voir certains faits, de voir l’Afrique se perdre, de voir les jeunes braver l’Océan Atlantique pour partir en Europe, de voir les jeunes s’adonner à la drogue en masse, de voir certains Chefs d’Etat africains devenir des points centraux de certains distributeurs de la drogue.
Devant tout ce que nous voyons, on aurait mieux fait peut-être de partir. Mais nous avons un devoir, c’est de dire ce que nous voyons. Et d’avoir le courage de dénoncer les maladresses, les distorsions et d’en assumer les conséquences. On ne peut pas se taire. Ce serait de la trahison. On doit parler, qu’on nous écoute ou qu’on ne nous écoute pas, ce n’est pas notre problème. Nous devons parler. Nous devons rester fidèles à ceux qui sont partis. Notre devoir aujourd’hui, est la fidélité à ceux qui sont partis et la fidélité à une Afrique unie. L’Afrique de la dignité et de l’honneur. L’Afrique qui sait compter sur elle-même, l’Afrique qui n’est pas un continent couché, un peuple qui n’est pas couché, un peuple qui ne passe pas son temps à tendre la main aux autres, mais un peuple qui veut être acteur aussi et non spectateur.

Cheikh Talibouya AÏDARA - Le Matin , 11 Nov 2008




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