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L’agriculture africaine est devenue incitative pour l’investissement privé

  Enregistrer au format PDF  envoyer l'article par mail title=    Date de publication : lundi 24 novembre 2008
Avec la crise alimentaire, notre agriculture a retrouvé une compétitivité réelle et est devenue incitative pour l’investissement privé. Les conditions économiques d’une relance du secteur agricole sont réunies, estime Baba Dioum, coordonnateur de la Conférence des ministres de l’Agriculture d’Afrique de l’Ouest et du Centre, CMA/AOC.
Baba Dioum : Le grand défi des pouvoirs publics africains est d’amener le secteur privé à investir massivement dans le secteur agricole au lieu de se tourner vers des importations de plus en plus coûteuses.

source : www.lesafriques.com - 24-11-2008

Les Afriques : Quelles sont les causes véritables de la crise alimentaire ?

Baba Dioum : Les causes sont multiples et variées, allant des causes structurelles aux causes conjoncturelles. Parmi les causes structurelles, il faut surtout noter la faible capacité de production de l’agriculture africaine qui, aussi bien pour les céréales que pour les légumineuses, a la plus faible productivité dans le monde. Cela découle des politiques agricoles antérieures qui n’ont pas permis au secteur de réaliser des taux de croissance supérieurs à la croissance démographique. Notre continent est la seule région du monde importatrice nette de produits alimentaires. Du fait que l’agriculture est restée dans bien des pays une petite agriculture paysanne, donc généralement une agriculture de subsistance plutôt que tournée vers et tirée par le marché. Le désengagement des Etats et la libéralisation économique n’ont pas permis au secteur privé de remplacer l’Etat et de répondre aux sollicitations diverses.

Pour les causes conjoncturelles, il faut les situer au niveau de l’offre et de la demande. Les sécheresses et inondations ont entraîné des baisses de production, notamment chez les grands pays producteurs de denrées alimentaires (céréales, lait, oléagineux, etc.). Du côté de la demande, le changement des habitudes alimentaires dans les pays émergents l’utilisation accrue des biocarburants ont tiré la demande en produits alimentaires.

LA : La CMA/AOC est justement chargée de réfléchir à ces questions ? N’avait-elle rien vu venir ?

BD : Dés 1994, dans un document intitulé « Stratégie de relance et de croissance agricole dans les pays membres de la CMA/AOC », nous avions analysé les obstacles à la croissance agricole pour dégager les principaux éléments d’une stratégie de relance et de croissance agricole. Les grands défis d’alors, qui restent d’actualité, étaient entre autres de porter le taux de croissance agricole de 2 à 4% dans le but de réduire la facture des importations alimentaires et d’inverser la tendance à la baisse des recettes d’exportation, de réduire sensiblement la pauvreté, notamment en milieu rural, et d’améliorer la sécurité alimentaire, de créer des emplois en milieu rural dans le but de ralentir l’exode rural ; de gérer durablement les ressources naturelles à travers la promotion de technologies améliorées et d’augmenter la productivité des terres.

Cette stratégie était surtout basée sur une plus grande intégration des marchés intérieurs et régionaux pour développer les échanges de produits agricoles entre les différents pays et à l’échelle régionale, à travers l’exploitation des complémentarités entre les pays côtiers et les pays sahéliens. Le développement du commerce régional a toujours été notre credo pour réaliser la sécurité alimentaire qui sera régionale ou ne sera pas.

Cette crise alimentaire n’est rien d’autre qu’une vérité des prix avec l’élimination des subventions à l’exportation des produits européens et américains.

Malheureusement des mesures asynchrones et non cohérentes ont rendu impossible la création de véritables marchés régionaux des produits agricoles qui fonctionnent sans distorsions. Les taux de change et les niveaux de taxes aux frontières ont plus favorisé les importations et les aides alimentaires qui ont, en outre, créé des distorsions, et donc condamné les pays à importer des produits alimentaires à moindre coût pour faire face à certaines situations.

LA : Les solutions préconisées par les pays semblent s’éloigner de vos stratégies. Chaque pays veut s’auto-suffire en tout. Que faites-vous contre cette tendance coûteuse et autarcique ?

BD : Les solutions d’urgence proposées par les pays individuellement pour faire face à la crise ne sauraient être durables et les institutions bilatérales et multilatérales ont répondu en proposant des programmes à court terme sans toujours mettre en exergue la vision à long terme. Le Programme détaillé de développement de l’agriculture africaine (PDDAA) donne des solutions durables à la crise alimentaire en Afrique à travers l’intégration des marchés régionaux pour mieux exploiter les complémentarités entre les différents pays. Le continent africain possède suffisamment de ressources (hommes, terres et eaux) pour produire à l’échelle continentale les besoins alimentaires de tous les Africains. Nous ne cessons de sensibiliser les leaders africains à la nécessité de développer les chaînes de valeurs qui permettraient aux petits producteurs d’avoir accès au marché international et que ce marché conditionne et tire la production.

LA : Quelle est la bonne solution pour que les pays d’Afrique de l’Ouest et du centre soient à tout jamais débarrassés des crises alimentaires ?

BD : A quelque chose, malheur est bon. Si la crise alimentaire a frappé durement les économies des pays en développement, c’est également une bonne opportunité et une amélioration sensible de la compétitivité de leurs produits. Cette crise alimentaire n’est rien d’autre qu’une vérité des prix avec l’élimination des subventions à l’exportation des produits européens et américains.

Notre agriculture ayant retrouvé une compétitivité réelle est devenue incitative pour l’investissement privé. Le grand défi des pouvoirs publics africains est d’amener le secteur privé à investir massivement dans le secteur agricole au lieu de se tourner vers des importations de plus en plus coûteuses. Les conditions économiques d’une relance du secteur agricole sont réunies, d’autant plus que la crise, d’après la plupart des spécialistes, va perdurer au moins jusqu’en 2017 pour la plupart des produits alimentaires.

Les pays africains importateurs nets de produits alimentaires sont contraints et forcés de réfléchir sur le long terme à la manière la moins onéreuse de nourrir leurs populations.

Un investissement ciblé dans le secteur agricole et une meilleure intégration des marchés agricoles pourra permettre de se prémunir contre les crises alimentaires en identifiant les zones à forte potentialité et celles à forts besoins alimentaires afin de créer de véritables pôles de développement en Afrique, d’ouvrir et d’intégrer les marchés régionaux. C’est à ce prix que les nombreuses initiatives trouveront une meilleure cohérence dans un marché agricole qui fonctionne sans distorsion, aux mieux de ses avantages comparatifs.

Propos recueillis par Chérif Elvalide Sèye, Dakar


lire aussi sur www.bastamag.net (13 mars 2009) : Les fonds spéculatifs s’attaquent à l’agriculture , par Nadia Djabali





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