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Fonctions sociales de la Poésie en Pays wolof

  Enregistrer au format PDF  envoyer l'article par mail title=    Date de publication : mardi 16 décembre 2008
Comment sortir intact de l’ultra modernité lorsque les recours aux outils conceptuels empruntés à l’étranger semblent inopérants ? Comment repenser le développement de l’Afrique ? C’est dans ces dédales que nous entraîne l’écrivain et critique Amadou Gueye Ngom, pour une déconstruction-reconstruction de la notion même du développement. Sans chercher à calquer ou décalquer sa démarche, j’invite vivement les lecteurs de Seneweb dans cette aventure semée d’embûches mais plein de ressources. - MLS

Qu’elle exalte la raison des sens ou les abasourdit, la poésie telle que nous l’avons apprise et récitée à l’école occidentale, bien souvent se pare des atours de l’art pour l’art, phénomène absolument étranger dans les traditions wolof du Sénégal.

En pays wolof, le poème remplissait différentes fonctions. J’emploie le passé avec l’avènement de ces nouveaux medias : radio et télévision qui ont remplacé les saltimbanques et conteurs d’antan qui furent ce qu’ont été les Romanichels ou Bohémiens de l’Europe centrale.

Chez nous, dès l’âge de trois-quatre ans, l’enfant était soumis à un rude et persistant exercice de déclamation :

« fukki bukki guddi
fukki bukki bëcëk
 »

(dix hyènes de nuit
dix hyènes de jour.)

Vers à six pieds sans signification véritable que l’enfant répète d’abord lentement pour en apprivoiser chaque mot, en distinguer les consonances ; on les lui fait reprendre ensuite, chaque fois plus vite, sans que les mots ne s’entrechoquent, jusqu’à satisfaction complète de l’adulte orthophoniste.

Le poème-thérapie avait pour vertus de prévenir ou guérir le bégaiement, la langue pâteuse, le zozotement et autres troubles d’articulation désignés, chez nous, par l’expression : lamiñ wu taq.

Le détour poétique s’empruntait également pour inculquer des vertus morales à l’enfant :

« dama doon sacc laalo
borom toool fekk ma fa
ma tëb danu ci dék
tëbëti daanu ci dék…
 »

( m’en suis allé marauder
le propriétaire du champ m’a surpris
je saute sur un buisson d’épines
retombe sur un autre buisson d’épines)

Conséquences douloureuses du vol dont l’image illustrative n’a rien à envier à celle d’autrui : tomber de Caribde en Scilla.

Outre ces fonctions morale et thérapeutique, le poème-chant ponctuait les jeux d’enfant aux fins d’initier à l’art du bien dire qui est de haute importance chez les Wolofs dont la société, il convient de le préciser, n’étant pas initialement agro-pastorale, avait développé un art de cour qui ressemble à ce que vécurent les Molière, Racine et Corneille.

D’où un certain universalisme de la création poétique confondant dans le même moule un Jean de la Fontaine et Kocc Barma, poète-philosophe qui savait dire son fait au Prince sans se faire occire.

Glissons vers ce que Senghor appelait les poèmes ou chants gymniques dont voici quelques exemples extraits du répertoire de Falang Ndiaye, champion de lutte célèbre des années cinquante : "Béy du raas déemu guddi " ( Chèvre est bien imprudente de baguenauder sous le jujubier au crépuscule), entendu que la nuit appartient aux grands fauves ; "fuma gallax ndiku tuur ndaw lu fa jaar do yooy " (là où je me gargarise et crache, assure force et vigueur au freluquet qui y pose pied ; " fuma jaar ku fa jaar taq ban " (quiconque s’aventure dans les chemins qui furent miens sera maculé de boue). Les mauvaises langues prétendent que Senghor reprenait la fanfaronnade à son compte, moins par souci de versification que par défi à ses adversaires.

Il demeure que les joutes orales des lutteurs d’antan avaient bien plus de dignité que les invectives grossières échangées dans les arènes politiques d’aujourd’hui.

Sur un autre registre existait la production des « lawaankat, taxuraankat », anciens étudiants en école coranique, affranchis ou expulsés pour diverses raisons.

Ces personnages hauts en couleurs parcouraient villages et hameaux chantant et dansant des poèmes de leur cru. Persifleurs en diable, ils flétrissaient l’avarice, l’arrogance, et autres comportements antisociaux, sous forme de poème-chant comme nous en restitue joliment Souleymane Faye du groupe Xalam dont les accents tendrement féroces font penser a Jacques Brel.

« Janq bi ci kon bi
Ne du sey ak badoolo
Waye bo demee kërëm guddi
Sombi lay reree
 »

La fille du landerneau
Dit que jamais n’épousera un roturier
Mais chez elle
Ça dîne de bouillie

Autrement dit : «  faut pas jouer les riches quand on n’a pas le sou. »

Bien avant Souleymane Faye Khar Mbaye Madiaga avait rafraîchi le style avec une maîtrise parfaite de cet humour auquel ne s’essayent que les rappeurs dont le génial Fou Malade.

Khar décape avec un humour subtil les faux dévots « plein d’onction et de componction » :

Kalaa’k sikkim
Satalaa’k kurus
Yaay booy banu ma ko

“Barbes et turbans
ablutions et chapelet…
C’est pas que je déteste...
J’en ai peur.”

La diva n’épargne pas non plus le laideron en offensive de charme.

Waaju ñaaw dafa dugg ci sama néegu yaay
Fekk may mooñ
Leket ga toj
Sunguf sa ne waww
Ma tiit ba xeelu Yaay

Un laideron fit irruption chez nous
Pendant que je brassais la farine
La calebasse, de stupeur se brise, répandant son contenu
Affolée, je décoche une œillade insolente à mère

Au regard d’une telle créativité, l’on ne peut que regretter les niaiseries véhiculées dans la musique d’aujourd’hui.

Le genre poétique qui semble avoir solidement pris racine et bourgeonne sans répit sont les chants liturgiques des confréries religieuses. Sans être d’aucune obédience, je me dois de reconnaître que le fondateur de la confrérie mouride Cheikh Ahmadou Bamba a inspiré des textes fameux à des disciples comme Serigne Moussa Kâ qui lui demande dans «  Xarnu bi  », un pur chef d’œuvre, d’intercéder, auprès de Dieu, en faveur des paysans frappés de famine suite à une interminable sécheresse.

On le voit donc, la fonction sociale de la poésie en pays wolof ne fait aucun doute car le poète se veut d’abord un facteur de cohésion du tissu social. D’où la volonté didactique qui transparaît dans chaque œuvre.

Quelle poésie aujourd’hui ? Le débat persiste depuis David Diop et les autres ténors de la Négritude avec ce terme élitiste à connotation anarchiste ou révolutionnaire qu’on appelle l’engagement, sous-entendu, politique.

Tout art est engagement ; engagement de soi dans l’approche de l’autre qu’on veut séduire, combattre ou convaincre.

L’adolescent qui après son bac ne trouve pas place à l’université et pour peu qu’il ait le nerf poétique fera du Villon ou du Boris Vian.

La création est un acte libre. Le poète ne se devrait d’avoir qu’une seule exigence : répondre à ce qui l’interpelle directement. Même s’il s’agit de faire de l’art pour le seul plaisir de ses sens.

Au delà de la poésie, toute Å“uvre : musicale, littéraire ou plastique qui obéit à une commande sans que l’âme du créateur y soit trahit l’Art dont l’essence est la Liberté.

Amadou Guèye Ngom,
Critique social




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