le magazine du Sénégal dans le monde

Serigne Ndiaye, le graveur des traditions du sous-verre

  Enregistrer au format PDF  envoyer l'article par mail title=    Date de publication : samedi 21 février 2009
Dakar, 20 fév (APS) - De ses dessins naïfs au charbon dont il ’tachait’ les murs du Tivaouane des années 50 aux cimaises de la Galerie nationale d’art (GNA), à Dakar où il expose présentement son art du sous-verre sous le thème des ’Pérégrinations de la ligne’ (18-28 février), le plasticien Serigne Ndiaye en est encore à son ’exercice continu’.
Natif de Tivaouane, la capitale sénégalaise de la confrérie musulmane Tidjania dont il est adepte dévoué, Serigne Ndiaye a, à la réussite à son ’premier et seul concours’ d’entrée aux grandes écoles, fait ses classes à la section ’Arts plastiques’ de l’Ecole nationale des Beaux-arts de Dakar, avant de se spécialiser dans la peinture sous-verre dont il est un théoricien.

"J’ai toujours dessiné, depuis très longtemps. Je suis de Tivaouane, une ville sainte et un milieu de ‘Daara’ (écoles classiques islamiques). C’est très mystique et très culturel à la fois. C’est là que j’ai appris à reprendre des dessins sur les murs, au charbon bien avant l’aquarelle et le crayon", confie cet artiste d’une cinquantaine d’années qui a grandi sous le toit du Khalife Ababacar Sy.

Serigne Ndiaye - couple d'aristosLe verre qui scintille est d’un attrait certain quand il se décide à mettre en exergue les traits des personnages affilés, tels les peulhs bororos. Dans sa volonté de souligner la noblesse de cette ethnie et la joie de vivre de ses membres, le peintre sénégalais met en "sous-verre" leurs hommes étonnamment parés de bijoux et autres attirails, dignes de mannequins d’un jour de concours de beauté.

Dans ses peintures, l’accumulation de lignes donne une ambiance qui désigne des réalités des communautés humaines dont il choisit de mettre à nu les traits caractéristiques. Son tableau intitulé " Le dos du miroir " lui sert de planche à relever des "valeurs sénégalaises qui s’illustrent maintenant par l’envers". "On dirait qu’il y en a qui ont honte de la décence", dit-il regrettant la tendance à l’impudique.

A côté de représentations d’une bienséance en mal d’illustration, Serigne Ndiaye plonge assez souvent dans l’abstrait. Des tableaux ressemblent à l’état de certains éléments fondamentaux : le vent, l’eau, l’herbe, etc. "Je fais ce que j’ai envie de faire, au moment de le faire." Sur le choix des couleurs dans son travail ou leur alternance, lors ses ateliers, le plasticien se justifie : "Je ne suis pas libre dans mon travail".

Son art a "révolutionné" la technique du sous-verre, souligne la directrice de la Galerie nationale d’art, Danny Pierre Diédhiou, tandis que le commissaire de l’exposition, l’artiste Kansi (Amadou Kane Sy) salue "le travail de mémoire" et "la re-visitation de qu’on est en train de faire et de vivre". Chez Serigne Ndiaye, signale-t-il, le sous-verre apporte la lumière et les lignes indiquent le droit chemin permettant de sortir de la "confusion" des genres.

"Il est bon, à cette époque de confusion, de faire l’exercice de séparer le bon grain de l’ivraie", selon le commissaire qui se désole de l’incursion des pinceaux amateurs et sans scrupules, ajoutant à la "confusion", au point que plus d’un professionnel se demande, dans leur milieu, "qui est qui ?". Cette situation pose à nouveau le vieux débat sur "le statut de l’artiste au Sénégal", précise-t-il.

Les origines "sénégalaises" de cette technique dite du "fixé" (sous-verre) remontent au retour des premiers pèlerins de La Mecque, qui au cours de leur pérégrination par bateau se procuraient les tableaux du genre. Ils en ramenaient en guise de souvenirs et de présents. Ces peintures représentaient des faits de l’histoire de l’islam ou et des sagesses mahométanes.

Vers 1900, cette "pictographie religieuse" fut interdite, sous le prétexte de menace de subversion, par un gouverneur français craintif de la percée de tableaux islamisants dans un pays, composé en majorité de croyants, alors qu’il travaillait à les maintenir sous domination coloniale de la "France laïque". Deux conceptions du monde se dessinaient et divergeaient, avec un risque d’affrontement entre elles.

"La pictographie religieuse représentait des maîtres spirituels d’ici, de manière à faire adhérer des disciples", explique le commissaire.

Dans les années 50, rappelle Serigne Ndiaye, "le fixé était la première tradition d’expression artistique, particulièrement éducative, religieuse et spirituelle à travers laquelle l’image devenait un médium pour atteindre un public analphabète en arabe". Les leçons d’éducation religieuse ou morale passaient par des représentations picturales en sous-verre, des visuels permettant de les fixer dans la conscience des fidèles, généralement néophytes.

Serigne Ndiaye - L'EluL’artiste peintre relève en outre d’autres thèmes préférés des peintres d’antan, tels le vécu quotidien et la vie des petites gens. A l’instar de certains murs de Dakar couverts de sous-verre notamment sur l’avenue André Peytavin, ces sujets socioreligieux continuent d’inspirer nombre de pinceaux contemporains. Ces derniers sont adeptes d’une technique bien plus ancienne que les amateurs peuvent le croire.

Maguèye Touré, conseiller technique du ministre de la Culture, du Patrimoine historique classé, des Langues nationales et de la Francophonie, souligne la promotion par son département du "retour des grandes créations à la Galerie nationale d’art" telles celles en sous-verre, dont il dit qu’il s’agit "d’un art entièrement reconnu du Sénégal".

"Le verre n’est pas sénégalais. Il y a plus de 1000 ans que ça se faisait déjà en Roumanie. C’est par la Tunisie que le contact s’est fait (avec les pèlerins musulmans sénégalais)", corrige Serigne Ndiaye, révélant des résultats de recherches qu’il continue à mener pour découvrir et faire découvrir toutes les facettes du "fixé". "Le Sénégal a donné au sous-verre ses lauriers."

SAB/ADC




Lettre d'info

Recevez 2 fois par mois
dans votre boîte email les
nouveautés de SENEMAG




© 2008 Sénémag      Haut de page     Accueil du site    Plan du site    admin    Site réalisé avec SPIP      contact      version texte       syndiquer