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Patrick Bebey : « Les pygmées sont les plus grands musiciens africains ! »

  Enregistrer au format PDF  envoyer l'article par mail title=    Date de publication : jeudi 23 juillet 2009
Patrick Bebey, musicien aux multiples talents et ambassadeur musical de la culture pygmée dans le monde. Il nous parle, au cours d’une longue entrevue, de son expérience musicale, des grands noms de la musique africaine et internationale qu’il a connus ainsi que de ses réalisations artistiques, notamment « Oa Na Mba », son dernier album dont il interprétera quelques titres dans un concert au programme du Festival africain de Jazz d’Alger.

source : www.panafalger2009.com - 20 juillet 2009

Vous êtes en Algérie dans le cadre du Festival panafricain. Qu’évoque pour vous l’expression « culture panafricaine » ?

C’est quelque chose de grandiose. C’est un événement qui malheureusement n’a pu être organisé qu’après plusieurs années et j’ai en plus la chance de participer à cette seconde édition. Je suis vraiment ravi et très fier d’être là !

Votre musique est un mélange de Jazz, de musiques traditionnelles africaines et de musique brésilienne. Une musique panafricaine…

C’est vrai que ça ressemble vraiment à mon parcours. J’ai grandi principalement en France depuis l’âge de dix ans. J’étais entouré de musiciens africains et aussi brésiliens qui m’ont beaucoup inspiré et avec lesquels je me retrouve aujourd’hui à travailler.

Et si vous nous parliez de votre parcours…

J’ai commencé à l’âge de 5 ans, par le piano classique, jusqu’à mon inscription au conservatoire de Paris. Et puis… Le classique n’a plus voulu de moi (rire). Je ne rentrai pas dans le moule. J’avais dans l’idée de me servir de cette base classique pour composer ma propre musique qui serait plus proche de l’Afrique. J’ai eu le malheur d’en parler à mon professeur et le jour de l’examen on ne m’avait pas laissé jouer ! Quand le classique n’a plus voulu de moi, je me suis tourné vers les musiques d’Amérique latine et puis rapidement vers l’Afrique. Jusqu’à me retrouver à travailler avec de grands musiciens africains, comme Mory Kanté, il y a de cela 23 ans. Ca ne me rajeunit pas (rire). D’ailleurs, le percussionniste qui m’accompagne sur l’album et au festival, Moussa Sissoko, originaire du Sénégal, je l’ai connu il y a 23 ans avec Mory Kanté. On est devenu amis et on joue ensemble aujourd’hui encore.

Une autre grande figure de la musique africaine que vous avez connue : Miriam Makeba, l’icône du festival panafricain. Vous avez fait une tournée internationale avec elle. Qu’évoque son souvenir pour vous ?

Une énorme tristesse de me dire que je ne pourrai plus jouer avec elle. On a fait vraiment le tour du monde. On a fait des tournées ensemble pendant six ans et quel que soit le pays où on jouait il y avait plein de monde qui venait la voir de partout, c’était très impressionnant. Et même pour elle ce n’était pas très évident à gérer tous les jours. C’est une grande dame avec une humanité rare. L’opportunité de travailler avec elle pour un jeune musicien africain, c’était vraiment une consécration.

Sur plusieurs morceaux, on vous entend jouer de la Sanza, piano à pouce africain…

C’est un instrument que je revendique. C’est un petit piano africain ! En plus, c’est le type d’instrument (avec la flûte pygmée que j’utilise aussi) dont on disait à mes parents de ne pas jouer. On leur disait : « Ne jouez pas de ça ! N’écoutez pas les gens qui en jouent ! C’est de la musique de sauvage. Ecoutez plutôt de la musique classique ou… Johny Hallyday. Enfin des choses normales ! ». On refusait à mes parents la fierté de cette musique enracinée en Afrique et qui est vraiment d’une richesse insoupçonnée... Quoi que, les américains ont déjà découvert la richesse de cette musique. Je vous raconte une anecdote : je joue de la Sanza depuis presque 25 ans et une fois, descendant de scène en Allemagne, une journaliste vient me trouver et me demande : « La sanza, vous-en jouez parce que vous en avez entendu dans le dernier disque de Gloria Estefan ? ». M’entendre dire ça c’était un comble (rire). Non, ce n’est pas les africains qui copient les américains. Les américains ont le flair pour capter la sensibilité et tout ce qui est intéressant dans la musique africaine et, grâce aux gros moyens dont ils disposent, ils diffusent cela à travers le monde comme si c’était une découverte à eux mais ce n’est pas le cas.

Donc le concerto pour flûte pygmée que vous avez interprété avec un orchestre symphonique c’était un peu une revanche sur cela…

Ah oui ! A la base c’était une commande. Un chef d’orchestre allemand m’a proposé de monter un répertoire dans lequel je mélangerai les instruments africains dont je joue avec un orchestre de musique classique. Je n’envisage pas la musique comme une revanche, une bagarre. Cette pièce m’a demandé beaucoup de temps pour la composer. Et j’étais fier ! On répétait avec 70 musiciens, certains avaient du mal à jouer à cause du rythme et je leur expliquais le plus simplement possible ce que j’attendais d’eux. C’était un partage de la musique et… une sorte de revanche, oui (rire). J’ai depuis, l’opportunité de jouer, au moins une fois par an, des pièces que je compose pour des instruments africains avec soit un orchestre symphonique soit avec un orchestre de chambre ou un quatuor à cordes. C’est une grande chance.

Et le mélange se fait facilement ?

Pour moi c’est très naturel. Peut-être parce que j’ai baigné dans toutes ces musiques. Chez mes parents on écoutait de tout. Mon père aimait bien mettre de la musique classique le dimanche matin, on écoutait aussi les Beatles, Steevie Wonder, Nana Mouskouri… Il y avait une énorme ouverture d’esprit, une énorme ouverture musicale à la maison. Donc la musique que je compose est, pour moi, une musique vraiment africaine interprétée avec des instruments occidentaux.

Donc vous n’êtes pas dépaysé en vous retrouvant dans un orchestre symphonique…

Non, pas du tout. Ce sont les musiciens qui, découvrant ce que j’ai composé, sont dépaysés. Mais jusqu’à présent la plupart sont conquis ! C’est plutôt bon signe. Je crois que la musique a ce pouvoir de rassembler des gens d’horizons totalement différents pour élaborer quelque chose ensemble.

Autre expérience étonnante : vous avez fait partie du WEB trio aux côtés de John Williams, le grand guitariste classique qui est par ailleurs un fan de la musique de Francis Bebey, votre père…

On a été amené à tourner ensemble peu après le décès de mon père. Il venait d’enregistrer quatre ou cinq titres de mon père dans son album (Magic Box ndlr) et il m’a proposé de faire une tournée ensemble. Il m’avait demandé de lui envoyer ce que je faisais pour découvrir mon univers. Je lui ai envoyé et il a bien aimé. Il m’a dit : « On pourrait monter un trio avec un autre guitariste, John Etheridge. Ca pourrait être une formule intéressante. ». Et on a mélangé donc la guitare classique de John (qui en même temps avait beaucoup travaillé avec mon père la guitare du Cameroun, les rythmiques de Makossa) et puis le guitariste anglais John Etheridge qui est totalement dans le Jazz et moi qui était au milieu de tout ça, jouant des fois du piano dans une forme vraiment classique, d’autres fois de la sanza, de la flûte pygmée et chantant. C’était une belle expérience avec deux musiciens énormes et d’une humilité sans bornes.

Francis Bebey, votre père, était un guitariste et compositeur pour guitare classique exceptionnel…

Il était autodidacte de la guitare. Il avait fait l’école buissonnière pour apprendre à jouer de la guitare. Il était bon élève par ailleurs, mais il a appris la guitare tout seul. Et petit à petit il s’est mis à inventer des techniques très particulières : il pinçait deux cordes pour reproduire le son des arcs musicaux qu’il entendait jouer dans les villages au Cameroun, il utilisait aussi beaucoup la caisse de la guitare pour s’en servir comme d’un tambour tout en jouant des notes de la main gauche. Il avait de sérieuses capacités de percussionniste et une grande indépendance des deux mains. Et il a crée une technique qui a fasciné beaucoup de gens ; notamment John Williams qui a décidé de lui rendre hommage de son vivant en reprenant ses compositions dans son album.

Vous avez toujours œuvré à promouvoir la culture pygmée. La musique de ce peuple contient des éléments assez complexes, comme la polyphonie que l’on croyait réservée à la musique occidentale…

Oui, oui. De mon point de vue les pygmées sont les plus grands musiciens africains qu’il m’ait été donné d’écouter. Leur musique est d’une richesse incroyable. Je pense qu’Il faut dire la vérité : ils étaient là longtemps avant et ils avaient fait tout ça ! Peut-être pas de façon scientifique, avec beaucoup de naturel, mais on ne peut pas nous dire que c’est juste Jean Sébastien Bach qui a pensé à mettre de la polyphonie dans la musique (rire). Non. Les gars étaient là bien avant, avec juste des morceaux de bambou, en train de jouer de leurs flûtes et c’était magique, fantastique !

Est-ce que notre apport, nous africain, à la musique ne serait pas finalement cet aspect naturel ?

Exactement, j’arrive dans un orchestre symphonique avec ma sanza, qui est un morceau de bois avec des lamelles de parapluie posées dessus dont je joue avec le pouce, ou ma flûte pygmée qui est une flûte de bambou toute simple avec juste un trou où on souffle et qui donne juste une note... et pourtant on fait une musique incroyable avec ça ; en ajoutant un peu de magie (rire)... je constate que ça les fascine vraiment de voir qu’avec des instruments aussi peu élaborés, on arrive à produire une musique aussi riche, aussi puissante.

Et si on parlait de votre album « Oa Na Mba ». Un hommage à votre père ?

Au fait c’est un album que j’ai débuté quelques mois avant le décès de mon père. J’ai beaucoup tourné avec lui, j’ai beaucoup appris auprès de lui. Et il me disait souvent dans ses dernières années : «  Il faut que tu assimiles telle et telle chose parce que quand je ne serai plus là, il faut que quelqu’un continue à propager ce genre de musique à travers le monde. Et je pense que cette personne devrait être toi ». J’ai commencé trois mois avant son décès, alors que rien ne l’annonçait. Je voulais lui rendre hommage de son vivant. Il était très content des premières prises… Après sa mort je ne pouvais plus travailler sur ce projet pendant des années. Et quand j’ai eu de nouveau la force de le faire, je l’ai terminé et je l’ai appelé «  Oa na Mba  » qui signifie « Toi et moi » en douala, ma langue maternelle. Mais si vous le prononcez autrement, avec d’autres notes, le sens change totalement et ça veut dire : « Tu as dis que c’est mon tour ».

Y a-t-il des musiciens algériens que vous appréciez particulièrement ?

J’ai pas mal écouté Safy Boutella et j’aime énormément Karim Ziad. Il y a aussi un chanteur dont j’apprécie beaucoup le talent (qui est dans des tracas un peu compliqués malheureusement) : Cheb Mami. J’ai un énorme respect pour son travail de chanteur.

En parlant de chant, vous chantez principalement en Douala, contrairement à d’autres chanteurs africains qui chantent aussi en Français et en Anglais…

Je chante aussi un peu en Français et en Anglais. Mais beaucoup plus en Douala c’est vrai. C’est une langue empreinte de poésie, avec beaucoup de doubles sens et puis c’est une langue très chantante, avec des notes. Et… C’est ma langue maternelle !

Au programme du concert de ce soir ?

Beaucoup de titres de l’album Oa Na Mba avec le fameux Moussa Sissoko, le bassiste Samba Ndiaye et le batteur Chris Henry originaire de la Jamaïque. J’ai la chance de jouer avec des musiciens qui sont non seulement de très bons musiciens mais aussi de très bons amis. Cela facilite beaucoup les choses et se ressent aussi. On a vraiment du plaisir à être ensemble et beaucoup de respect les uns envers les autres. Et ça se transmet !

Walid B.
Cet entretien a été fait avant le concert de Bebey à l’auditorium de la Radio Nationale


visiter le site myspace de Patrick Bebey : www.myspace.com/patrickbebeyofficial





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