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PAP NDIAYE, PROFESSEUR A L’ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES SOCIALES DE PARIS : ’Un président français d’origine africaine, cela arrivera un jour’

  Enregistrer au format PDF  envoyer l'article par mail title=    Date de publication : mardi 21 avril 2009
Le professeur français d’origine sénégalaise, Pap Ndiaye, était le 12 février dernier à l’Université d’Etat de New York, à Albany, pour animer une conférence sur le thème ’Blacks and Blackness in Contemporary France’. Dans cette dernière partie de l’interview qu’il a accordée au ’Soleil’, il évoque entre autres sujets les rêves et les espoirs des jeunesses africaines et parle des changements qui pourraient s’opérer dans la société française

source : www.lesoleil.sn

Abordant la manière dont le gouvernement français s’occupe de l’immigration africaine, que pensez-vous des accords qui sont signés depuis quelque temps entre la France et des pays africains pour rendre effectif le retour des immigrés en Afrique ?

Ce sont des accords léonins au sens où, un accord signé entre une puissance comme la France et les pays qui affrontent un certain nombre de difficultés économiques et sociales et qui en plus ont besoin souvent de la France et de formes d’aides, est un accord qui n’est pas conclu dans les conditions d’équité. Un accord entre le fort et le faible, n’est pas un vrai accord. Je pense que ce sont des accords tout à fait forcés. Les pays africains ne les ont pas signés en toute liberté. Je me réjouis que pour l’instant, le Mali ait refusé de les signer. Ce sont des accords qui ne sont pas équilibrés. Ils sont trop au désavantage des pays africains. Une chose est de signer des accords, une autre est de signer des accords bien plus équilibrés qui permettent à l’immigration africaine de s’installer en Europe, favorisent les échanges entre les deux continents. Il faut que les Africains, singulièrement en France, puissent repartir chez eux pendant les vacances et revenir, faire des allers-retours beaucoup plus facilement qu’aujourd’hui. Il faut aussi que l’obtention des visas pour les Africains souhaitant aller voir leurs familles en France ou ailleurs, soit beaucoup plus facile qu’il ne l’est actuellement, car maintenant c’est le parcours du combattant avec des épreuves souvent humiliantes. Les demandeurs de visas attendent pendant des heures devant les consulats, ils sont reçus avec méfiance comme des immigrés potentiels. Bref, tout cela ne me paraît pas être de bon augure.

On sait bien que la solution à ces problèmes passe par le développement de l’Afrique, à la fois le développement politique avec des institutions politiques démocratiques, le développement économique et social. Or aujourd’hui, on sait bien que la situation africaine n’est pas très reluisante. On va voir bientôt les effets de la crise économique sur les différents pays. La crise affecte encore plus durement les plus pauvres que les plus riches. On sait bien que les ressources naturelles de l’Afrique sont exploitées et qu’elles profitent très peu aux populations. Nous pouvons même dire que plus le pays est riche en ressources naturelles, plus la population en pâtit, tant les affrontements, tant les phénomènes de corruption peuvent être catastrophiques. Par conséquent, il y a énormément de travail à faire en Afrique. C’est bien sûr le rôle premier des Africains. Il ne s’agit pas de les exonérer de cela. Ils ont de fortes responsabilités. Mais c’est aussi dans l’intérêt économique et commercial de tout le monde d’aider l’Afrique, d’accroître l’aide à l’Afrique. Cela ne veut pas dire qu’il faut donner de l’argent n’importe comment pour que les potentats locaux puissent en profiter et les déposer dans des banques suisses. Cela veut dire qu’il faut aider l’Afrique à la démocratisation. De ce point de vue, il y a des évolutions politiques dans certains pays qui ne sont pas positives. Je pense en particulier au Sénégal. On ne peut pas dire que la démocratie se renforce dans ce pays depuis quelques années. C’est plutôt le contraire. Mais il y a bien pire évidemment. Il y a de vraies dictatures en Afrique. Et c’est aussi de cela dont il est question.

L’espoir est quand même permis qu’il y ait cette stabilité sociale et économique en Afrique dans les années à venir ?

Oui parce que ces dernières années, il y a un taux de croissance en Afrique qui n’est pas négligeable. Il y a des choses qui se passent. Il y a un bouillonnement de la jeunesse. Mais ce qui est souvent assez frappant et un peu désespérant, c’est cette jeunesse pleine de projets et d’ambitions qui se heurte localement à des difficultés énormes, le fait que les jeunes diplômes ne trouvent pas d’emplois et que les emplois sont souvent réservés à ceux qui ont des relations, ou qui ont les bras longs. En somme, il y a le sentiment pour une partie de la jeunesse africaine que le seul espoir, c’est partir.

Diriez-vous à ceux qui veulent partir que l’Eldorado dont ils rêvent n’est pas toujours au rendez-vous dans les pays occidentaux ?

C’est vrai que la situation des immigrés africains en France, en particulier ceux qui n’ont pas de formation, est très précaire. Les Africains qui veulent les rejoindre le savent en partie. Je ne suis pas sûr qu’ils s’imaginent trouver un Eldorado. Mais les difficultés matérielles sur place sont telles que les gens estiment qu’ils sont dans l’obligation de partir en dépit des risques physiques évidents inhérents à ce type d’aventure. Et puis plus largement au-delà de cela, voyager quand on est jeune est quelque chose de formidable. Pouvoir aller en Europe, en Amérique du Nord, ou dans d’autres régions du monde, comme le Japon, l’Amérique latine, ce sont des expériences formidables à encourager. Bien entendu, le voyage n’est pas synonyme d’immigration définitive. Il faut aussi pouvoir revenir riche de ces expériences et participer au développement de son pays. C’est pour cela qu’il faut encourager les déplacements, les expériences multiples, plutôt que de se barricader derrière les barrières migratoires comme l’Europe le fait actuellement.

En fermant ses portes, l’Europe n’encourage-t-elle pas indirectement l’immigration des jeunes Africains vers d’autres pays comme les Etats-Unis et le Canada ?

Je pense que l’Europe se prive d’une somme d’intelligences et de talents qui vont fleurir ailleurs et notamment en Amérique du Nord. Depuis une quinzaine d’années, il y a un flot migratoire non négligeable entre les Etats-Unis et l’Afrique. Officiellement, il y a 50.000 migrants qui entrent aux Etats-Unis chaque année. C’est beaucoup plus qu’à aucun moment de l’histoire. Il y a plus d’Africains qui entrent actuellement aux Etats-Unis qu’au dix-huitième siècle. Par exemple, à l’heure actuelle il y a un Noir sur deux qui est étranger, pas seulement Africain mais aussi Caribéen et autre. On voit bien que les Etats-Unis en profitent, parce que ces immigrés travaillent et participent à la croissance du pays. Je pense certainement que l’Europe se rend un mauvais service elle-même en durcissant encore et toujours ses politiques migratoires.

Une transition toute trouvée pour parler de l’élection de Barack Obama comme premier président américain d’origine noire. Qu’est-ce que son élection pourrait apporter au monde entier et aux Etats-Unis ?

Il a sur son bureau de gros dossiers. C’est le moins qu’on puisse dire. Une crise économique d’une ampleur sans précédent depuis les années trente. Et puis, deux guerres. Ce n’est pas mal. Donc on attend énormément de lui, peut-être trop d’ailleurs. Peut-être que les espoirs qu’on place en lui sont démesurés par rapport à ce qu’il peut faire. Il n’est pas le maître du monde. On sait bien que le président américain est contraint aussi par le Congrès voire la Cour suprême en ce qui concerne sa politique intérieure. En tout cas, ce qu’on attend de lui est qu’il contribue à sortir de la crise financière et économique, qu’il sorte les Américains d’Irak et qu’il règle la question afghane le plus vite possible. Vous allez me dire que c’est plus facile à dire qu’à faire. Mais qu’il s’engage de façon franche là-dedans, qu’il restaure le crédit moral des Etats-Unis qui a été très entamé par l’utilisation de la torture, les graves atteintes aux droits de l’Homme depuis septembre 2001. De manière générale, il faut qu’il montre que la conception des intérêts des Etats-Unis est un peu plus en phase avec ceux du monde entier. Ce qui veut dire que les Etats-Unis doivent être moins isolationnistes et participent aux politiques multilatérales et en particulier les questions d’environnement. L’engagement des Etats-Unis sur ces questions est tout à fait essentiel.

L’Afrique peut-elle attendre plus de l’administration Obama que de celle de son prédécesseur Bush ?

D’un côté, on peut répondre par l’affirmative, car on ne peut pas dire que Bush s’intéressait vraiment à l’Afrique. On part déjà d’assez bas. Bill Clinton s’intéressait beaucoup plus à l’Afrique. Ce n’est pas parce que Barack Obama a un père qui était Kenyan, qu’il est forcément attaché de très près à l’Afrique. Et lorsqu’on regarde un peu ce qu’il prévoit de faire en ce qui concerne l’Afrique, c’est encore assez flou. Mon sentiment pour l’instant est que ce sera beaucoup mieux que Bush, mais qu’il ne faut pas forcément attendre des Etats-Unis une politique d’aide massive à l’endroit de l’Afrique, surtout qu’ils sont empêtrés en ce moment dans une crise économique majeure.

Après l’élection d’Obama aux Etats-Unis, on commence à parler d’une possibilité d’avoir un président français d’origine africaine. Est-ce une possibilité et dans combien d’années cela peut-il se passer  ?

Cela arrivera sûrement un jour. C’est sûr. Peut-être plus vite qu’on ne le pense. Par exemple, aux Etats-Unis, qui aurait misé un dollar sur Obama il y a quatre ans. Personne. Donc, quand on est Historien il faut aussi être sensible à l’inattendu, à ce qui peut survenir et qu’on n’imaginait absolument pas, avant que cela survienne. Incontestablement, il faut être très sensible à cela et rester très prudent, car cela peut arriver beaucoup plus vite. Obama n’est pas tombé de la planète Mars. Il a été élu dans un pays où il y a 10.000 élus noirs, dans toutes les positions, depuis le poste de conseiller municipal jusqu’à celui de sénateur. Alors qu’en France, le gros problème est qu’on a très peu d’élus qui soient originaires des minorités visibles, Nord-Africains, ou Subsahariens Africains. Avant de songer au poste de président de la République, il faudrait peut-être commencer par le commencement, c’est-à-dire faire de telle sorte qu’il y ait beaucoup plus d’élus de la diversité dans les conseils municipaux, à l’Assemblée nationale, au Sénat, bref dans tous les échelons de la vie politique. C’est de ce vivier, un jour, vite je l’espère, qu’un Obama français émergera.

Vous avez des origines sénégalaises de par votre père. Pourriez-vous nous parler d’un écrivain ou cinéaste sénégalais qui vous a marqué par ses œuvres et pourquoi ?

Ousmane Sembène. A coup sûr. J’ai vu un certain nombre de ses films. C’est un grand cinéaste. Il m’a marqué par sa maîtrise cinématographique, par la force de son cinéma réalisé souvent dans des conditions matérielles difficiles, comme l’ensemble du cinéma africain. Du côté du cinéma africain, il y a des œuvres admirables qui sont réalisées. Le cinéma africain est un des grands du monde. Les Africains, me semble-t-il, apportent une contribution tout à fait essentielle à l’art cinématographique mondial.

Propos recueillis à New York par Anoumou AMEKUDJI


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