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Coton : « Un changement radical est intervenu dans la position de la Banque mondiale et du FMI »

  Enregistrer au format PDF  envoyer l'article par mail title=    Date de publication : dimanche 10 octobre 2010
Gérald Estur a dirigé pendant plusieurs années une société de négoce international de coton, puis travaillé à Washington au Comité consultatif international du coton, et est maintenant consultant indépendant. Il a suivi de près les restructurations des filières cotonnières en Afrique, notamment le processus de privatisation de la CMDT au Mali.

source : www.lesafriques.com - 08-10-2010

Les Afriques : Quelles sont les recommandations des institutions de Bretton Woods, la Banque mondiale et le FMI, depuis la tourmente économique et financière de 2008/2009 ? La doctrine a-t-elle changé ?

Gérald Estur : Certainement. Les préconisations dogmatiques imposant la privatisation, censée résoudre tous les problèmes des filières cotonnières et les rendre compétitives, parmi les conditionnalités de déblocage des prêts d’ajustement structurel, ont laissé la place à une démarche plus pragmatique. La Banque mondiale semble avoir tiré les leçons des réformes lancées dans les années 90, dans la mesure où la privatisation n’a été un succès flagrant dans aucun pays africain.

Un changement encore plus radical est intervenu dans la position de la banque et du FMI au sujet des subventions. Alors qu’il n’y a pas si longtemps ces organismes s’opposaient par principe à toute subvention en Afrique, ils recommandent maintenant de subventionner les intrants agricoles dans certains pays. Ils semblent avoir compris que les producteurs de coton bénéficient d’un soutien gouvernemental dans la quasi-totalité des pays, sous des formes diverses et pour des montants fort variables.

Les concours apportés par le gouvernement américain aux banques et à General Motors ne sont certainement pas étrangers à ce revirement.

LA : Concernant la CMDT, pouvez-vous nous donner les grandes lignes du scénario de la privatisation ? D’autres sociétés en Afrique de l’Ouest et centrale seront-elles concernées ?

GE : Un processus de privatisation a été lancé au début des années 2000 à la suite des graves dérapages dans la gestion de la CMDT. Dans un premier temps, la Banque mondiale a imposé la privatisation de l’huilerie de coton HUICOMA, filiale de la CMDT. Cette « désintégration » verticale a été une catastrophe et l’huilerie est arrêtée depuis des années. La privatisation de l’huilerie de Cotontchad a d’ailleurs produit les mêmes résultats. Une tentative de privatisation partielle des actifs de la CMDT dans la zone ouest du pays a échoué.

La Mission de restructuration du secteur coton (MRSC), qui dépend de la Primature, a piloté la création de sociétés coopératives de producteurs de coton, regroupées dans une Union nationale (UN-SCPC), et d’instances de régulation, l’IPC (Interprofession du coton) et l’OCC (Office central de classement). Après étude, l’idée initiale de créer une société de bourse du coton, passage obligé pour la vente de la fibre, a été abandonnée. La CMDT a été restructurée, avec la création de quatre filiales régionales (ouest, nord-est, centre, sud), coiffées par une holding assortie d’un plan social conséquent.

En mars 2010, le gouvernement du Mali a lancé un appel à manifestation d’intérêt pour la privatisation des quatre filiales de la CMDT. Les six sociétés retenues (trois négociants internationaux, une société cotonnière de la sous-région, une huilerie malienne, un groupe textile chinois) doivent se retrouver fin septembre pour visiter les installations avant de soumettre leurs offres éventuelles. Les repreneurs détiendront 61% du capital des sociétés privatisées, les producteurs 20%, le personnel 2%, et l’Etat conservera 17%. Ces sociétés auront le monopole de la commercialisation du coton graine dans leur zone d’intervention.

La plupart des sociétés cotonnières de la zone franc ont été privatisées, sauf au Cameroun, au Tchad et au Togo. Le rôle des Etats reste toutefois très important dans toutes les filières, et l’achat du coton graine n’a pas été libéralisé. Au Bénin, le monopole de l’Etat a finalement été remplacé par un quasi-monopole privé. En Côte d’Ivoire, le système de monopsone régional initialement mis en place a pratiquement disparu.

LA : Est-il possible que la privatisation prenne corps, dès lors que le prix d’achat du coton graine reste une prérogative de l’Etat ?

GE : L’Etat est impliqué dans la fixation du prix d’achat au producteur en tant que garant de l’application d’un mécanisme interprofessionnel entre les producteurs et la CMDT. Le prix au producteur est un pourcentage (55% pour la campagne 2010/11) du cours mondial de la fibre et du prix de vente des graines de coton.

Le principe de la fixation d’un prix de base garanti, annoncé avant les semis, et d’un prix final, calculé en fin de campagne en fonction des cours réels et adossé à un fonds de soutien appartenant aux producteurs, fait partie du cahier des charges de la privatisation. Cependant, à ma connaissance, le mode de calcul du prix au producteur n’est pas précisé puisque le protocole d’accord en vigueur ne s’applique qu’à la campagne en cours. C’est là un point crucial pour les repreneurs potentiels, car le prix d’achat au producteur, sur lequel ils n’auront aucune maîtrise, est de très loin le principal poste de coût d’une société cotonnière. En outre, la péréquation, avec un prix unique invariable pendant toute la durée de la campagne sur l’ensemble du territoire national, posera davantage de problèmes avec quatre sociétés régionales n’ayant pas les mêmes coûts de production qu’avec un opérateur unique.

LA : Croyez-vous au rattrapage de la baisse de la production depuis cinq ans ? Le secteur privé peut-il à lui seul faire revenir la production vers le million de tonnes ? Les agriculteurs ont-ils encore envie de produire du coton ou bien de se diversifier vers les cultures vivrières ?

GE : Le responsable de la chute de la production s’appelle le franc CFA, qui a une parité fixe avec l’euro. Le coton se vend en dollars sur le marché international et la dépréciation du billet vert par rapport à l’euro, depuis 2002, a littéralement asphyxié les filières cotonnières de la zone franc. Depuis la fin de l’année 2009, la forte remontée des cours du coton s’est conjuguée avec un raffermissement du dollar. Les sociétés cotonnières de la sous-région, qui ont perdu énormément d’argent depuis 2005, devraient donc enfin sortir du rouge en 2010.

La relance de la production proviendra des cotonculteurs et non des égreneurs, qu’ils soient privés ou publics. Le redressement des cours doit permettre de payer le coton graine à un prix suffisamment attractif pour ramener à la culture cotonnière de nombreux producteurs qui s’en étaient détournés. Encore faut-il également améliorer la productivité agricole pour que les filières de la zone franc soient compétitives. En effet, le différentiel de rendement par rapport au reste du monde s’est creusé.

LA : La CMDT sera-t-elle privatisée avant General Motors ?

GE : Il me semble que l’Etat fédéral vient de récupérer ses billes dans General Motors, dont la situation s’est rétablie. Heureusement pour le Mali, la privatisation des filiales de la CMDT va intervenir alors que les cours internationaux du coton sont au plus haut depuis 15 ans, ayant franchi la barre symbolique du dollar la livre pour la troisième fois depuis la guerre de Sécession, ce qui va sans doute doper les offres des repreneurs. L’intérêt du secteur privé aurait été bien moindre si les appels d’offres avaient été lancés selon le chronogramme initial à un moment où les cours étaient déprimés.

La privatisation de la CMDT devrait donc être effective pour la campagne 2011/12, mais il n’est pas assuré que les quatre lots trouvent preneur, car ils ne sont pas tous aussi attractifs. Dans ce cas l’Etat resterait sans doute actionnaire du ou des lots non privatisés.

Propos recueillis par Philippe Bourgeois

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lire aussi sur www.cairn.info : Les réformes de la filière coton au Mali et les négociations internationales, par Philippe Hugon

et sur www.liberation.fr (15/05/2008) : Avec la privatisation, le Mali craint l’extinction de son coton, par MACE Célian





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