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La véritable nature du régime de Ben Ali : Comment la Tunisie a été transformée en une république bananière

  Enregistrer au format PDF  envoyer l'article par mail title=    Date de publication : vendredi 21 janvier 2011
Le plus grand scandale de l’histoire financière de la Tunisie s’est produit sous le président Ben Ali. En effet, en matière de détournement de biens publics, l’affaire Carthage Cement est celle où les excès les plus incroyables ont été réalisés. Un pool industriel international mené par des Italiens a proposé à l’Etat tunisien l’achat de la cimenterie de Tunis. Après plusieurs mois de travail et après avoir obtenu l’essentiel des autorisations nécessaires, au moment de signer le contrat définitif avec l’Etat tunisien, les industriels sont contactés par Belhassen Trabelsi qui conditionne l’accord de l’Etat à 20 % de l’affaire (80 millions de dinars).

source : www.walf.sn - 20 janvier 2011

Choqués par ces pratiques, les industriels se retirent, laissant à Belhassen Trabelsi l’affaire qu’ils avaient montée. Celui-ci procède alors à l’appropriation de plus de 400 ha de terrain (acquis au dinar symbolique) appartenant à l’Etat et en flagrante irrégularité avec toutes les règles, fait entrer en bourse Carthage Cement qui n’a aucun bilan, et ce, grâce à des banquiers irresponsables. Pour couronner le tout, la Société tunisienne des chemins de fer se permet de financer, pour Carthage Cement, 15 km de voies de chemin de fer. Le ministère des Transports et l’Assemblée nationale n’y voient aucun inconvénient. Ne citons pas la Cour des comptes, la Commission de contrôle des opérations de bourse ni tous ces organismes de contrôle mis en place par le régime pour mieux tromper son monde et qui harcèlent tous les Tunisiens sauf ceux qui mettent le pays sous leur coupe réglée. Carthage Cement constitue certainement le plus gros scandale de l’ère Ben Ali, et ce, avec la complicité active de plusieurs hauts responsables.

L’autre gros scandale, c’est l’affaire de l’ International School of Carthage . Un terrain et une subvention d’à peu près 2 millions de dinars du ministère de l’Education nationale sont accordés gracieusement à Mmes Ben Ali et Arafat pour la création d’une école privée ! Alors que les écoles tunisiennes subissent un manque flagrant de budget de fonctionnement, alors que les classes sont dans un état de délabrement avancé, un budget national est alloué à une école élitiste privée !

Comme si tout cela ne suffisait pas, pour obliger les Tunisiens à inscrire leurs enfants dans son école, Mme Ben Ali a usé de tout son pouvoir pour fermer la principale institution concurrente. Le fondateur de cette institution, M. Bouabdeli, a été obligé de mener une véritable campagne de presse internationale, ponctuée par la publication d’un livre, pour pouvoir recouvrer ses droits. Sans succès.

Comme l’a révélé Wikileaks, Mme Ben Ali s’est même frottée à l’Ecole américaine de Tunis, en ordonnant au ministère des Finances d’annuler le régime de faveur fiscale dont bénéficiait l’institution américaine. Il faut préciser que suite à la petitesse de ces pratiques, le gouvernement américain a revu à la baisse ses aides économiques à la Tunisie.

Pire même, comme cela devait se faire dans une république devenue bananière, l’importation des bananes a été retirée à l’une des plus prestigieuses sociétés de développement tunisiennes, la Stil , qui avait lancé, au début de la Tunisie indépendante, un exceptionnel plan de développement du Sud et qui bénéficiait de plusieurs monopoles d’Etat. L’un de ces monopoles concernait l’importation de bananes qui a été soustrait à cette société nationale de développement pour être accordé aux membres de la famille Trabelsi, Moncef, ancien photographe de rue et M. Jaraya, son acolyte. Il faut préciser que les ministres du Commerce se pressaient pour leur signer les licences d’importation et obtenir ainsi les faveurs du pouvoir.

L’importation du sucre était aussi un monopole d’Etat, mais pour mieux se sucrer, Belhassen Trabelsi, frère de Mme Ben Ali, a décidé de se substituer à ce monopole d’Etat en créant sa propre usine à Bizerte. Il s’est même approprié une partie du port de Bizerte pour y installer ses silos. Et ce, avec l’homme d’affaires prête-nom Lotfi Abdenadher.

Comme tout Etat en développement, les monopoles juteux avaient été accordés, comme nous l’avons vu plus haut, à des sociétés de développement destinées à mettre à niveau l’économie tunisienne. C’est ainsi que le monopole d’importation et de distribution des alcools appartenait, lui aussi, à la Stil. Mais la liquidation de cette entreprise particulièrement juteuse ne s’est pas fait attendre et les Trabelsi ont immédiatement mis la main sur ses divers monopoles et même sur le marché noir de l’alcool, dont la distribution passe obligatoirement par Imed Trabelsi. Et c’est ainsi que l’œuvre de développement de la Tunisie a été abandonnée au profit de quelques personnes sans envergure, pour leur seul profit.

Des régions entières sont ainsi tombées en désuétude, complètement abandonnées par un Etat devenu soucieux du seul enrichissement de Ben Ali et de ses proches qui, à leur tour, récompensent les agents véreux de l’Etat en leur accordant des postes en haut lieu. L’explication de la déchéance de tout un pays apparaît alors dans toute sa simple vérité.

Quand les Trabelsi et Les Ben Ali se substituent à la douane

Une multitude de sociétés officient depuis des années au vu et au su de tout le monde pour permettre à certains commerçants tunisiens d’importer des produits sans droits de douane avec un prix fixe au mètre cube importé. Les conteneurs passent la douane sans aucun contrôle. Cette pratique avait créé un scandale en décembre 2006 à la suite d’une attaque intégriste à Soliman. Tout le monde se demandait si les intégristes n’avaient pas fait entrer les armes dans ces conteneurs non contrôlés.

Cette pratique d’importation sauvage contribue à appauvrir tout le tissu industriel tunisien, alimente le marché parallèle de produits et d’objets volés et provoque la faillite des honnêtes commerçants. Les principaux bénéficiaires de ce trafic sont Jalila Trabelsi, sÅ“ur de Mme Ben Ali, et Hayet et Kaies Ben Ali, sÅ“ur et neveu du président et d’autres membres de la famille.

Même l’exportation du thon n’a pas échappé à l’emprise du clan. Elle est ainsi devenue, depuis quelques années, monopole personnel de Mourad Trabelsi qui est également le seul individu autorisé en Tunisie à en faire l’élevage et à l’exporter. Le même Mourad Trabelsi a obtenu, par l’intermédiaire d’un Italien prête-nom, le monopole de la pêche au Lac de Tunis. Son unique contrepartie : nettoyer les algues du Lac. Quel est le prix de la concession ? Comment a-t-elle été accordée ? Mourad Trabelsi paye-t-il des impôts en contrepartie de ces énormes privilèges ?

Même système, mêmes bénéficiaires. La friperie n’a pas échappé aux proches de Ben Ali, dont elle est devenue une chasse gardée !

Conclusion

Cette énumération est rébarbative tellement le manque d’imagination des proches de Ben Ali est éprouvant en matière de détournement de biens publics et autres enrichissements illégaux. Mais d’autres arnaques étaient en cours de préparation avant la chute du régime.
C’est le cas du déclassement du terrain de l’Ihec à Carthage. En effet, les proches du président considèrent que ce terrain, merveilleusement placé sur le versant de l’historique Carthage, conviendrait bien mieux à la construction de dizaines de villas pour leur compte. La même logique a été adoptée pour le stade Zouiten, situé sur les hauteurs du Belvédère et de Mutuelleville. La même logique a été adoptée pour le versant sud de la colline de Gammarth où les constructions vont très bientôt être entamées par un certain Imed, clone de son homonyme trabelsien et prête-nom de certains membres de la famille et qui a déjà loti un terrain archéologique entre Carthage et La Marsa, terrain déclassé par un ancien dirigeant de l’Institut du Patrimoine et par des complicités au sein du ministère de la Culture.

Que dire du neveu de Ben Ali, M. Mehdi Mlika, et de sa politique d’embellissement de l’environnement qui s’est soldée par la simple exécution d’une ‘Avenue de l’environnement’ dans chaque ville de Tunisie ? L’embellissement de ces artères, qui a consisté en quelques bacs à fleurs et terre-pleins gazonnés et quelques horreurs artistiques, a coûté des fortunes dont les principaux bénéficiaires sont Mehdi Mlika et Ben Ali, par l’intermédiaire d’entrepreneurs véreux qui n’ont ramassé que des miettes. Bref ce sont les budgets des municipalités et du ministère de l’Environnement qui en ont pâti.

Il y a aussi le hold-up réalisé au profit de Sakhr el Matri et du fils de Ben Ali par l’achat au nominal des actions du groupe Nestlé détenues par la Banque nationale agricole depuis une cinquantaine d’années. Nestlé International a violemment réagi devant ces pratiques dignes des pires républiques bananières. Il s’y ajoute l’acharnement avec lequel la famille de Ben Ali se réserve tous les marchés publics du pays, contribuant ainsi à appauvrir l’Etat en imposant des prix qui n’ont rien à voir avec la réalité des offres.

C’est ainsi que le monopole a été accordé à Moncef Trabelsi dans le transport des produits pétroliers dans tout le pays. Que s’est-il d’ailleurs passé avec l’aéroport international d’Enfida et la concession remportée par la Société turque Tav ? Cette société, représentée par Belhassen Trabelsi et Youssef Zarrouk, n’était pas en mesure de payer la concession. Belhassen Trabelsi leur a concocté, avec l’intervention de Ben Ali, un concours bancaire en dinars tunisiens alors que le paiement était prévu en dollars. Comment ce crédit sera remboursé alors que l’aéroport reste désespérément désert ? (…)

Nous appelons les responsables honnêtes, s’il en demeure, de réagir le plus vite possible en désignant une commission d’enquête indépendante qui devra faire la lumière sur toutes ces affaires. Nous appelons également tous les responsables politiques à saisir la gravité de la situation et à s’entendre pour procéder à l’arrestation de toute la clique qui a procédé à un véritable dépècement du pays. Il faut avoir présent à l’esprit que ces personnes sans scrupules sont prêtes à mettre le pays à feu et à sang pour glaner encore quelques mois au pouvoir, de quoi leur permettre de finaliser leurs opérations en cours. Il faut que les consciences s’éveillent, que les responsables politiques et ceux de la sécurité du pays, militaires compris, cessent de faire allégeance à des individus sans foi ni loi qui utilisent le prestige du pouvoir pour faire ce que bon leur semble sans aucun sens des responsabilités ni même de la mesure. Tous les responsables savent que tout ce qui est écrit ici est vrai et nous tenons à les avertir que s’ils continuent à faire la sourde oreille, ils se mettront dans la position définitive de complices de la mise à sac du pays. Nous appelons également les responsables de la sécurité du pays de refuser de s’engager dans des complots qui visent à faire changer l’opinion des Tunisiens et à les garder sous un régime qui ne peut aboutir qu’à la désintégration du pays.

Nous remercions de tout cœur tous ceux qui nous ont permis de réaliser ce dossier, ils ne l’ont fait sans aucun calcul, simplement par nationalisme, pour défendre ce pays qui ne mérite pas ses dirigeants actuels. Nous tenons encore une fois à évoquer ceux qui se sacrifient pour que la Tunisie ne soit plus jamais à la solde de tristes individus. Tous ceux qui défilent, se battent, parlent et écrivent sont le fer de lance de notre pays, car ils le font tout en sachant qu’ils se battent contre l’une des pires dictatures de notre temps.

Nous appelons tous les Tunisiens à continuer à manifester pacifiquement leur ras-le-bol, à ne pas toucher aux biens communs. Nous appelons enfin une nouvelle fois les responsables à se comporter avec force et honneur et à réagir à la mise à sac du pays (…) Nous appelons la convocation d’une Assemblée nationale constituante pour un changement constitutionnel relatif au rôle et au mandat du chef de l’Etat dans le sens de leur réduction pour que plus jamais aucun individu ne confisque aux Tunisiens leur pays.

Plus d’un demi-siècle de dictature et de culte de la personnalité suffisent. Nous proposons que chaque futur dirigeant de la Tunisie n’ait la possibilité de gouverner que durant un unique et court mandat, pour laisser à la société civile tunisienne qui, durant ces dernières semaines, a merveilleusement résisté au terrible système de Ben Ali, la possibilité d’émerger définitivement. (Fin)

Au nom de tous les Tunisiens dignes
Abdelaziz BELKHODJA Ecrivain tunisien


lire aussi sur blog.mondediplo.net (19 janvier 2011) : Lettre de Tunisie - La semaine qui a fait tomber Ben Ali, par Olivier Piot

eti sur www.pambazuka.org (18 janvier 2011) : Tunisie : Les raisons de la colère, de la révolte et de la révolution, Basel Saleh





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