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SÉCURITÉ ET SOUVERAINETÉ ALIMENTAIRES : L’Afrique doit nourrir l’Afrique, selon la Coasad...

  Enregistrer au format PDF  envoyer l'article par mail title=    Date de publication : samedi 3 janvier 2009
Cotonou la capitale béninoise a abrité du 15 au 17 décembre un atelier régional regroupant des journalistes d’une dizaine de pays francophones d’Afrique de l’Ouest et du centre sur le thème de la sécurité et de la souveraineté alimentaires. Cette rencontre d’une brûlante actualité au moment où nos pays font face à une flambée généralisée des prix des denrées de première nécessité a été organisée par la Coalition des organisations africaines pour la sécurité alimentaire et le développement durable (Coasad).

source : www.lesoleil.sn

Créée en 1998 à Dar-es-Salam, la Coasad tient pour la quatrième fois un atelier régional à l’intention de parlementaires ou de journalistes venus des différentes zones d’Afrique, outre ses programmes au niveau du Bénin. A côté des trois précédents tenus à Yaoundé en 2001 pour les parlementaires francophones et en 2002 à Nairobi pour leurs collègues anglophones, une rencontre du même type a été également organisée à Nairobi pour les journalistes anglophones.

La tenue de l’atelier de Cotonou, qui rentre dans ce cadre, intervient au moment où, dans le dernier semestre de 2008, le monde fait face à une crise multiforme en matière énergétique, économique (conséquemment à la flambée des prix du pétrole, répercutée sur le prix des denrées alimentaires) et financière, mettant en déroute les places boursières et toutes les grandes banques.

Cette crise du système financier international aura des répercussions profondes dans toutes les économies du globe.

Un tel contexte, s’il est difficile aujourd’hui, même pour les puissantes économies occidentales, l’est encore plus pour l’Afrique, dont la plupart de nos pays éprouvent les pires difficultés pour nourrir durablement leurs populations. Avec la crise énergétique, le coût des aliments est monté en flèche. Le monde entier est touché et particulièrement les plus pauvres. Selon le constat de la Fao dressé en novembre dernier, il y a 963 millions d’individus sous-alimentés dans le monde en 2008. La Chine à elle seule compte 140 millions d’habitants sous-alimentés. L’Inde, cet autre géant d’Asie et pays émergeant comme son voisin, en est à 200 millions. En Afrique, sur une population globale estimée à 917 millions d’habitants, le nombre total de personnes sous-alimentées s’est accru avec la croissance démographique, passant depuis 1990 de 169 millions à 212 millions sur la même période. Bien que dans la période 1990-92, la proportion de personnes souffrant de faim chronique ait diminué en passant de 34 à 30 %. Par rapport à 2007, 40 millions de personnes supplémentaires sont tombées sous le seuil chronique, alors que dans le contexte de crise actuelle en matière alimentaire, énergétique et financière, le nombre de personnes sous-alimentées dans le monde va continuer à augmenter.

Pour expliquer les facteurs responsables de la flambée des prix des denrées alimentaires qui mettent à rude épreuve les moyens dérisoires de vie de nos populations et le maintien de la paix civile dans nos pays, les spécialistes reconnaissent la difficulté du contexte surtout en 2007-2008.

Une année marquée dans le monde par plusieurs facteurs exogènes, notamment la demande forte et croissante en céréales dues à la croissance démographique et l’augmentation de la consommation de viande dans les pays émergeants (Chine, Inde, Brésil). Il y a aussi le niveau historiquement bas des réserves mondiales, les sécheresses, les inondations, les cours élevés du pétrole, la spéculation grandissante sur les denrées alimentaires, du fait des commerçants. Sans oublier la demande croissante des biocarburants qui pousse de nombreux paysans à cette culture de rente au détriment des cultures vivrières.

Pour les pays à faible revenu et à déficit vivrier d’Afrique, l’année 2007-2008 a été marquée par une augmentation de 74% de la facture céréalière, à cause non seulement des fortes hausses des cours mondiaux des céréales, mais également des taux de fret et des prix du pétrole dans le transport des marchandises par voie maritime, nonobstant les conflits et les catastrophes.

Hausse des prix et manifestations dans les rues

Tout cela se traduit concrètement par l’augmentation du prix des denrées alimentaires partout.

Selon les données de la Fao, les prix réels des denrées ont augmenté de près de 64% par rapport à 2002. Et les revenus n’ont pas suivi. Ce qui s’est traduit dans maints pays du continent par l’exaspération, voire l’exacerbation de l’humeur des populations qui ont manifesté leur désapprobation par des marches contre la hausse des prix dans plusieurs capitales africaines.

Certains pays comme le Sénégal ont essayé jusqu’à la limite de leurs moyens de contenir cette hausse par des subventions sur le prix de certaines denrées les plus couramment consommées. Mais ce succédanée ne peut durer qu’un temps. Aucun pays d’Afrique et même d’ailleurs n’a les moyens de subventionner indéfiniment le prix des denrées de première nécessité pour contenir la hausse des prix et ses incidences sur les populations.

D’où la nécessité pour nos Etats, au-delà des politiques ponctuelles de subventions pour calmer les rues des capitales, de donner à l’agriculture les moyens véritables en matière de politiques sectorielles et globales pour produire à suffisance au moins ce que nous mangeons le plus. Et assurer au-delà de la sécurité notre souveraineté alimentaire.

Selon la définition de la Fao, la sécurité alimentaire est « une situation dans laquelle tous les ménages ont physiquement et économiquement accès à une alimentation adéquate pour tous les membres et sans risque de perdre cet accès ».

Quant à la souveraineté alimentaire, elle touche au niveau supérieur de la politique comme « un droit des peuples à une alimentation saine dans le respect des cultures, produites à l’aide de méthodes durables et respectueuses de l’environnement, ainsi que leur droit à définir leurs propres systèmes alimentaires agricoles, sans que ceux-ci ne portent préjudices aux droits des autres peuples »

Et l’on parle d’insécurité alimentaire lorsqu’une personne absorbe moins de 1960 kcal (kilocalories) par jour. Si cette situation perdure, on parle de sous-alimentation chronique (la faim) qui serait le lot de millions d’Africains. Ce qui rend toute vie active impossible.

Comme l’a très fortement montré du reste l’exposé de la représentante d’ Oxfam , Imma de Miguel, qui a rappelé qu’en 2007-2008, sur les 37 pays qui ont souffert de la crise alimentaire dans le monde, 21 sont en Afrique.

Le représentant d’ Onu-Habitat , Jean Bakolé de la Rdc, directeur du bureau de liaison de cette institution à Bruxelles, a dressé un état des lieux inquiétant qui appelle à une certaine prise de conscience. La crise alimentaire, souligne-t-il, a entraîné de plus en plus d’individus à dépeupler les campagnes vers les villes à la recherche de meilleures opportunités pour eux et leurs familles.

Aujourd’hui, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, plus de la moitié de la population mondiale est urbaine avec 3,3 milliards de citadins. En Afrique, 41% de la population vivent dans les villes. Mais le drame, c’est qu’au sein même des zones urbaines, les plus démunies vivent en marge des bienfaits de la ville.

Selon Onu-Habitat, 62% des citadins en Afrique vivent dans des bidonvilles et, parmi eux, le plus grand nombre est sous-alimenté et ne dispose ni d’un logis décent, ni de l’eau courante en permanence, ni encore d’évacuation sanitaire viable.

Comment, s’interroge-t-il, peut-on envisager de pouvoir se nourrir ou nourrir sa famille sans des conditions de bonne hygiène ?

Anticiper sur les crises à venir en 2009

Toutes les interventions entendues à Cotonou comme celle d’Aurélien Atidegla, vice-président de la Coasad , d’Abel Gbetoenonmon du réseau Jeb , ainsi que les débats entre experts et journalistes durant ces trois jours, sont largement revenus sur ces questions fondamentales liées à la sécurité et à la souveraineté, comme l’un des combats majeurs que les populations et les politiques doivent relever. Si l’année 2008 qui s’achève a été une année marquée par une crise alimentaire généralisée dans beaucoup de pays du continent, notamment pour les plus pauvres, laquelle s’est traduite par une hausse généralisée des prix des produits de base, il n’est pas besoin d’être grand clerc pour savoir qu’avec la crise du système financier mondial, 2009 sera encore plus difficile pour tout le monde.

Nos Etats ont par conséquent l’obligation d’anticiper sur l’avenir où moment ou les récoltes de 2008 ont enregistré des productions record en denrées de base dans certains cas. Aujourd’hui, après un tarif du pétrole qui a jeté dans d’immenses difficultés bon nombre d’économies, la tendance à la baisse s’est fortement accentuée depuis quelques semaines ramenant le prix du baril au tour de 50 dollars. Au même moment, dans d’autres productions vivrières, notamment le blé, les silos sont de nouveau pleins après la baisse des réserves mondiales. Le moment n’est-il pas venu, avec la baise des coûts du transport, pour nos Etats d’anticiper sur les difficultés à venir en affrétant des navires pour se constituer de bonnes réserves qui permettront d’assurer une meilleure sécurité alimentaire à leurs populations ?

À quelque chose malheur est bon, peut-on dire. Car la crise alimentaire qui a sévi cette année dans plusieurs pays doit amener nos dirigeants à une meilleure prise de conscience, pour asseoir de meilleures politiques agricoles et en rapport avec les ensembles africains dans lesquels nous vivons, que ce soit la Cedeao ou d’autres organisations similaires.

Les projections des démographes et des statisticiens nous renseignent que, d’ici 2050, la population urbaine africaine représentera la moitié (50 %) de sa population totale. Cette urbanisation accélérée va poser de nouveaux défis, notamment en matière d’habitat (de plus en plus de bidonvilles ceinturent les villes africaines et accueillent les arrivants du monde rural), mais également en matière de sécurité alimentaire à laquelle nos Etats ne sont pas encore en mesure de répondre efficacement aujourd’hui.

De tous les débats qui ont agité cet atelier, il ressort que l’agriculture reste le challenge fondamental que les Africains doivent relever après plusieurs décennies d’indépendance politique. En matière économique, il reste beaucoup à faire pour que « l’Afrique puisse nourrir l’Afrique ».

La véritable indépendance est là : se doter des moyens de cultiver, de produire à suffisance ce que l’on mange. Et ainsi assurer, au-delà de la sécurité, la souveraineté alimentaire. Dans ce combat qui prendra sans doute de nombreuses années pour se réaliser, l’expérience que le Sénégal est en train de mener à travers la Goana a été saluée comme une expérience qui doit faire tache d’huile. Cette volonté politique de donner des terres à des cadres et à des privés qui en ont les moyens pour développer la production vivrière est un premier pas dans ce long processus qui, à moyen ou long terme, doit aboutir à la souveraineté alimentaire du pays.

Dans ce combat qui concerne toute l’Afrique, les décideurs tout comme les partenaires ont un rôle à jouer, de même que les populations, mais également les médiats. Au niveau des politiques, il est attendu d’eux une meilleure offre alimentaire aux populations par des mesures hardies, consistant notamment à rendre accessible les denrées alimentaires locales aux populations, surtout lorsque celles-ci constituent la principale source d’alimentation pour le plus grand nombre. Il faut également créer les conditions pour disposer d’infrastructures et de matériels de productions agricoles locales et aider les petits producteurs, les femmes qui s’investissent dans les exploitations familiales par un accès plus facile à la terre et au crédit. En outre, il est nécessaire d’aménager des routes et des pistes de production entre les villes et les campagnes afin d’assurer l’acheminement des récoltes et des marchandises entre les zones urbaines et les zones rurales.

Les médiats ont aussi une responsabilité et un rôle à jouer. Il s’agit pour eux de mettre de plus en plus à l’ordre du jour, dans les antennes et les colonnes, la question de la sécurité alimentaire dans l’agenda des priorités des gouvernements africains.

Mais également, de sensibiliser l’opinion publique au niveau local, national et africain sur ce sujet important et préoccupant qui nous concerne tous. C’est ainsi qu’a Cotonou, à l’issue de cette rencontre de trois jours, il a été mis en place le Réseau des médiats africains pour la sécurité et la souveraineté alimentaires ( Remasad ) dont "le Soleil" est membre fondateur et coopté au comité de Rédaction en raison de sa place de doyen par les médiats africains post-indépendants et de son rôle pionnier dans la sous-région.

De notre envoyé spécial à Cotonou Badara DIOUF


visiter le site de la COASAD : www.coasad.net

lire aussi sur www.cetri.be : Mobilisations dans le Sud face à la crise alimentaire par Laurent Delcourt





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