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MOUSSA TOURÉ, RÉALISATEUR : « En cinéma il n’y a pas de relève, mais une continuité »

  Enregistrer au format PDF  envoyer l'article par mail title=    Date de publication : vendredi 11 septembre 2009
Le réalisateur Moussa Touré, auteur des longs-métrages « Toubab bi » et « TGV » et de nombreux documentaires, ne mâche pas ses mots lorsqu’il s’agit de décortiquer le cinéma sénégalais. Cet initiateur du festival « Moussa invite » (dont la 7ème édition a eu lieu du 22 au 27 juin 2009 à Mbao, un village traditionnel lébou à quelques kilomètres de Dakar), toujours coiffé d’un bonnet haoussa en coton tissé, s’oriente de plus en plus vers le documentaire. Nous l’avons rencontré, il y a quelques semaines, et il nous a parlé du cinéma sénégalais, de la relève, de son festival, du Fesman...

source : www.lesoleil.sn - 10 septembre 2009

Quel regard portez-vous sur le cinéma sénégalais ?

« Je trouve qu’actuellement le cinéma sénégalais ne va pas très bien, mais il se réveille tout doucement. Il y a plein de jeunes qui font des documentaires avec le support numérique. Notre cinéma bouge, mais n’est pas encore assez réveillé parce qu’il n’y a plus de fiction, il n’y a plus de production, il n’y a absolument rien. Cela veut dire qu’il est vide, mais malgré ce vide, il y a plein de gens qui émergent. Les jeunes ont compris qu’il y a le numérique et qu’on peut faire du cinéma avec cette technologie.
Malheureusement pour eux, il n’y a pas d’école pour leur apprentissage. Bon nombre d’entre eux viennent avec des formations qui ne sont pas très abouties et essaient de faire des films. Voilà en gros l’état dans lequel se trouve le cinéma sénégalais. En ce qui me concerne, j’essaie d’être productif en faisant des documentaires qui marchent bien. Il y a aussi des cinéastes qui émergent et lors de la dernière édition du Fespaco , le Sénégal était représenté par de nombreux films. C’est vrai que le cinéma, ce n’est pas que de la fiction, il y a un peu de tout. Quand on regarde ce tout, il y a une production qui est là et qui est constituée de documentaires. Et pour moi, ce genre, c’est du vrai cinéma ».

Parlant de documentaire, on a constaté que ces dernières années, vous privilégiez ce genre au détriment de la fiction. Qu’est-ce qui explique ce choix ?

« Je ne suis pas un réalisateur capable de faire des fictions tout le temps. Cela demande énormément d’énergie et de moyens financiers et, actuellement, il n’y a pas beaucoup d’argent pour faire du cinéma au Sénégal. Je travaille avec une grosse production, l’une des plus grosses boîtes en Europe, qui va me produire d’ici peu. L’Afrique est un continent où la plupart des pays sont sous-développés. Il y a d’autres priorités et l’Etat ne soutient pas véritablement le cinéma. On ne peut pas, dans ces conditions, faire des longs-métrages régulièrement. En tant que cinéaste, j’ai une base cinématographique assez solide qui me permet de faire des documentaires. Et puis, je trouve ce genre magnifique. A mon avis, il est plus difficile que la fiction et je me suis fait un nom. Depuis 2000, tous mes documentaires ont été reconnus sur le plan international. C’est peut-être pourquoi certains critiques me classent dans la catégorie des documentaristes, alors que ce n’est pas le cas. Le continent africain est une immense source d’inspiration pour des sujets de documentaire. Quand vous regardez nos films, c’est-à-dire nous les réalisateurs africains, nous voulons tellement être proches de la réalité que, finalement, nous faisons des documentaires. Il n’y a pas quelque chose de plus réel qu’un documentaire. Ce fossé qui existe entre la fiction et moi, c’est tout simplement du cinéma, point final. Je viens de réaliser un film sur les moustiques et, dans quarante ans, lorsque je ne serai plus là, il va continuer à exister et nos enfants, nos petits enfants se rendront compte de la situation dans laquelle nous vivions. C’est cela qui est le plus important ».

Vous évoquiez l’absence d’une formation aboutie pour les jeunes. Etes-vous optimistes pour la relève ?

« Oui. Je suis optimiste pour la relève, mais les centres de formations qui existent au Sénégal, il leur manque plein de choses. Je vais souvent à Paris pour donner des cours dans des écoles de formation (et là je parle de vraies écoles hein !) et c’est là où je me rends compte de ce qui nous manque, car nous n’avons pas de véritables écoles de cinéma. Il y a bon nombre de gens qui se disent documentaristes ou professeurs de cinéma, cela n’engage qu’eux. Moi, je donne juste des leçons de cinéma par rapport à mon expérience, mais je ne me considère pas comme un professeur. Je ne comprends pas comment du jour au lendemain on peut s’improviser professeur. Je pense qu’il nous faut de bonnes écoles de cinéma e, pour le moment, nous n’en n’avons pas. En général, on parle d’ancienne et de nouvelle génération. Je ne crois pas à ça. A mon avis, dans le cinéma, il y a ceux qui sont là depuis longtemps, qui font des films et d’autres qui viennent d’arriver et qui sont en apprentissage. Le problème est que les jeunes n’apprennent pas assez ou sont trop pressés. Le support numérique est un raccourci qui peut paraître facile de prime abord, mais il faut un long apprentissage pour faire du bon cinéma. Il faut être bon cinématographiquement pour percer dans le numérique. Est-ce que moi-même je ne fais pas partie de la relève ? Je pose la question, car j’estime qu’on ne relève pas les gens dans le cinéma. Prenons le cas de feu Ousmane Sembène : est-ce qu’il a été relevé ? Il a fait des films que les cinéastes vont voir pour continuer à faire du cinéma. Il n’y a pas de relève dans le cinéma. On parle souvent de cela, mais c’est un faux débat. Quand je fais un film, je suis obligé de m’inspirer des classiques. A mon avis, il n’y a pas de relève, mais une continuité. C’est même un danger pour le cinéma que de parler de relève, d’ancienne ou de nouvelle génération. Quand j’ai commencé dans le cinéma, je côtoyais Sembène et les réalisateurs de son âge qui étaient là bien avant moi. Pourtant, je ne me suis jamais senti dans une ancienne ou une nouvelle génération ».

Cette année, vous êtes le parrain de l’atelier « De l’écrit à l’écran » du Festival international du film francophone de Namur. N’est-ce pas là une consécration ?

« Vous savez, à chaque édition du Festival de Namur, les organisateurs choisissent un cinéaste chevronné, reconnu qui, pendant dix jours, apprend à des jeunes réalisateurs comment passer de l’écrit à l’écran. Cette année, j’ai été choisi comme parrain. C’est un honneur, une reconnaissance. Et puis mon dernier film sur les moustiques sera présenté lors de ce festival ».

Peut-on savoir ce que gagnent concrètement les lauréats du festival « Moussa Invite » dont la septième édition a eu lieu du 22 au 27 juin dernier ?

« C’est un festival qui n’est pas compétitif et qui combine musique et cinéma. J’y ai découvert un groupe de rap que je vais coacher en réalisant ses clips ou les faire réaliser. Je vais également faire leur promotion. C’est l’une des débouchées de ce festival. Il y a aussi tous ces films de jeunes auxquels j’ai participé et que j’ai mis en avant pour qu’ils soient confrontés au public. Le cinéma, vous le savez, est d’abord destiné à un public ».

Quel rôle le cinéma africain pourrait-il jouer dans la troisième édition du Festival mondial des Arts nègres (Fesman) prévu en décembre 2010 au Sénégal ?

« J’ai été invité en Algérie pour participer au Festival panafricain d’Alger (du 5 au 20 juillet dernier, ndr). C’est le ministre de la Culture de ce pays en personne qui m’avait adressé une invitation afin que j’y montre mon long-métrage TGV . Pourtant, je ne connais même pas ce ministre. Ici au Sénégal, dans mon propre pays, je ne suis pas encore invité à participer au Fesman (l’interview a eu lieu avant le report du Fesman, ndr), mais j’estime que ce n’est pas très grave. En tant que cinéaste, je n’ai pas entendu un de mes collègues parler de cinéma concernant le Fesman. Est-ce qu’il faudrait aller se présenter au niveau des organisateurs comme on le fait très souvent dans nos pays ? Moi je ne le ferai pas. Je ne vais pas tendre la main. Je suis un cinéaste, je fais des films et je suis disponible. Les Algériens avaient fait appel à moi pour que je présente mon film, eh bien chez moi je suis également disponible. La peur que j’ai, en général dans les organisations comme le Fesman, c’est le lobbying. J’ai remarqué qu’il y a des cercles et c’est cela qui détruit tout. Quand on fait une fête, on doit la faire pour tout le monde et laisser de côté les préjugés. Je crois bien que je suis un réalisateur reconnu en Afrique et dans le monde. Et si on invite des cinéastes au Sénégal pour le prochain Fesman et qu’ils ne me voient pas, ils vont probablement demander où est Moussa Touré. C’est comme au Festival panafricain d’Algérie où j’ai rencontré de nombreux cinéastes africains. J’estime que pour le Fesman, il faudrait d’abord penser aux cinéastes sénégalais avant de penser aux autres. Je ne suis pas quelqu’un qui se met dans son coin pour dire : « je ne suis pas invité », mais quand on m’appelle et qu’on me demande si j’ai envie de présenter un de mes films comme l’ont fait les Algériens, je répondrais positivement, car j’ai à mon actif une quinzaine de films ».

Cette année, c’était la septième édition du festival « Moussa Invite ». Peut-on savoir ce qui fait courir Moussa Touré ?

« Ce qui me fait courir, c’est un tout (rires). C’est du cinéma, c’est de la musique, c’est du théâtre. Et toutes ces disciplines artistiques sont dans le cinéma. C’est le spectacle qui me fait courir. Ce sont les spectateurs qui me font courir. Parfois même, il y a des incompréhensions parce que j’intègre du théâtre, de la musique et du cinéma dans ce festival qui ne m’appartient plus. Il appartient au public. Si je suis heureux et que le public ne l’est pas, à quoi ça sert ? Vous avez vu qu’il y avait par exemple du théâtre, car cette discipline artistique m’intéresse et le public sénégalais adore ça. Le public africain, de manière générale, est attentif au spectacle. C’est cela qui me fait courir : le spectacle ».

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR ALY DIOUF




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