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Les pêcheurs de Guet Ndar vont-ils perdre leur gagne-pain ?

  Enregistrer au format PDF  envoyer l'article par mail title=    Date de publication : mardi 8 décembre 2009
L’arraisonnement récent de pirogues sénégalaises embarquées à bord des navires battant pavillon étranger, à l’intérieur des eaux Bissau guinéennes est le prétexte pour moi de réagir face à cette situation.
D’abord c’est indécent et inamical qu’entre des pays amis, le Sénégal et la Guinée Bissau, des actes de pêche illégale se perpétuent.Beaucoup de bruits ont entouré cette affaire d’arraisonnement de pirogues sénégalaises dans les eaux bissau-guinéennes avec les nombreuses sorties médiatiques de la part des autorités sénégalaises, et accompagnées par des commentaires peu reluisants faits par la presse nationale en général.

source : www.lequotidien.sn - 05-12-2009

C’est tout à fait normal de relater les faits et de dire ce qu’on pense. A la description des faits par la presse, surtout des conditions de vie à bord des navires pour les pêcheurs sénégalais, tout un chacun peut s’émouvoir. On revoit presque les navires négriers du temps de la traite des esclaves, avec à la seule différence que cette fois-ci, ce sont uniquement les volontaires qui y embarquent.

Il est vrai que la défense de nos nationaux, partout dans le monde où ils se trouvent, reste un devoir des pouvoirs politiques. C’est heureux que les autorités sénégalaises chargées de la pêche aient pris très tôt les dispositions idoines pour diligenter cette affaire. Une action ponctuelle, mais qui ne contribue pas à régler définitivement le problème.

Ce n’est pas la première fois que les autorités sénégalaises interviennent en Mauritanie, en Guinée, en Angola et sous bien d’autres cieux pour régler des problèmes de pêcheurs en difficulté. On assiste toujours au même rituel, une délégation sénégalaise se rend sur les lieux pour évoquer les relations excellentes entre les deux pays et tirer sur la corde sensible pour faire libérer nos concitoyens. Une technique qui marche souvent, mais qui devient banale et même ridicule vis-à-vis de nos voisins, à force d’être toujours demandeur de faveurs. Et quand c’est réglé, on oublie, tout redevient normal jusqu’au prochain arraisonnement et rebelote ! Le Sénégal ne mérite pas cela.

Pourtant les autorités chargées de la pêche multiplient les actions de sensibilisation et mesures de précaution, avec la mise en place d’observateurs à bord des navires ramasseurs et les vérifications d’autorisations de pêche effectives délivrées par les pays avant le départ des pêcheurs, sans apparemment atteindre toujours des résultats probants. Il y a quand même quelque chose à faire.

De quoi s’agit-il au fait ?

Des armateurs, généralement étrangers, et notamment coréens, ont repéré chez nous des pêcheurs courageux, très performants, les Guets Ndariens. Il avaient l’habitude de séjourner pour des périodes de longue durée en haute mer, dans des zones lointaines, avec des conditions de vie très difficiles, sans aucune possibilité de conservation adéquate de leurs produits, ni de commercialisation sûre et sans sécurité. Ces amateurs ont simplement fourni des navires pouvant transporter ces pêcheurs dans les zones de pêche en leur procurant un soutien logistique et en leur assurant la commercialisation et la sécurité. Avouons que ce n’est pas diable comme découverte et qu’il ne faille pas sortir de polytechnique pour comprendre cela.

Tout le monde pouvait dire Eureka, et applaudir des deux mains si la loi de pêche qui prévoit bien en son article 32, cette forme de pêche, n’était pas soumise encore à une autorisation exceptionnelle du ministre de la Pêche maritime.
En réalité, personne n’a jamais pu bénéficier de cette exception. Sans remettre en cause la probité des autorités chargées de la pêche, il faut reconnaître que les exceptions dans une loi créent souvent l’arbitraire ou la non transparence.

Pourquoi cette forme de pêche reste-t-elle toujours interdite au Sénégal ?

Pourquoi le Sénégal qui possède tout ce potentiel humain, très compétent, se prive volontairement de cette opportunité et laisse ces braves pêcheurs se débattre dans des difficultés dans des zones aussi lointaines, et à bord de navires étrangers, pour aller après les secourir ?
Pourquoi le Sénégal, devrait-il se substituer chaque fois aux armateurs pour aller régler des différends purement mercantiles ? On peut se poser encore mille questions dans cette affaire.

Les quelques explications servies pour justifier cette interdiction des navires ramasseurs sont liées au souci de la bonne conservation des ressources halieutiques selon les chercheurs de l’océanographie, et à la défense de la consommation locale et du mareyage selon l’administration des pêches.

Mais en quoi, cette forme de pêche pourrait elle menacer la ressource ?

Des pêcheurs à la ligne exerçant une pêche sélective souvent très au large des côtes, avec des prises de qualité conservées dans de bonne condition à bord de navire de soutien, ne peuvent que revaloriser le secteur de la pêche. Les chercheurs du centre océanographique avaient surtout peur de ne pas pouvoir maîtriser les statistiques de pêche avec ce genre d’opération. Mais cette inquiétude est vite dissipée, avec la présence à bord d’un observateur et mieux, les pêcheurs sont payés sur la base des captures effectives et selon les espèces. Il y a peu de chances qu’il y ait tricheries dans ce domaine et les vrais statistiques seront toujours disponibles.

En matière de conservation des ressources, il n’y a pas de commune mesure entre une pirogue à la ligne faisant une pêche sélective et un chalutier raclant constamment les fonds et détruisant les habitats des poissons.

Il faut savoir que quand un chalutier vient débarquer sa cargaison de 100 tonnes environ, c’est qu’il a rejeté plus de 300 tonnes de poissons immatures en mer.

C’est à ce niveau que des mesures de conservation devraient être prises.

Pour l’administration des pêches, la seule raison retenue est qu’il fallait défendre la consommation locale par un ravitaillement régulier du marché par les pêcheurs artisanaux et protéger l’activité des mareyeurs. Certainement oui, mais quelques centaines de pirogues sur les 12 000 pirogues existantes et éparpillées tout le long de la côte, ne peuvent pas perturber le ravitaillement du marché local, surtout que cette forme de pêche ne vise que les espèces destinées à l’exportation.

Pour l’administration des affaires maritimes, il fallait protéger les pêcheurs artisans en leur offrant des conditions de vie correctes avec une parfaite sécurité à bord, alors que les navires ramasseurs ne remplissent pas ces conditions. Là, les navires ramasseurs ne peuvent pas donner des conditions de vie idéales aux pêcheurs, compte tenu de leur nombre, mais ils peuvent contribuer à améliorer tout de même leur situation. Une pirogue qui restait plus de dix jours en mer avec des conditions de vie précaires, sans suffisamment d’eau, sans toilettes, ni bonne alimentation et sans sécurité, se trouve maintenant soutenue par un navire logistique qui assure son alimentation, sa sécurité, ses soins et les autres besoins. On ne pouvait pas trouver meilleures améliorations. Dormir à plusieurs à bord d’un bateau est de loin meilleur que rester sur une pirogue pendant plusieurs jours sans sécurité ni soins.

Pour les pêcheurs, l’engouement vers ces navires ramasseurs, c’est d’abord combattre le chômage qui guette tous les moles de N’dar et surtout assurer une importante source de rentrée d’argent dans le petit quartier de Guet N’dar. Plus de 6 000 mille emplois saisonniers sont crées avec cette forme de pêche. Environ 2 milliards de francs sont annuellement distribués dans les familles du seul quartier de Guet N’dar. Avouons que ce n’est pas négligeable.

Avec le dernier arraisonnement des navires à Bissau, plusieurs voix se sont élevées dénonçant les conditions de vie à bord des navires. Il y a certes un effort à faire dans ce domaine, mais les enjeux sont considérables pour remettre en cause brutalement cette forme de pêche. C’est sûr que les pêcheurs de Guet N’dar ne seront pas contents si on leur enlève leur gagne-pain. Des mesures devraient être prises pour mieux encadrer cette forme de pêche.

En dehors de celles déjà adoptées, tels que , l’embarquement d’observateur à bord, la vérification des permis de pêche avant le départ des navires, la visite des matériels de sécurité à bord, la présence de médicaments et du personnel du corps médical, le Sénégal devrait donner à ces navires ramasseurs, la possibilité d’exercer en toute légalité leurs activités dans les eaux sous juridiction sénégalaises, pour éviter que nos pêcheurs soient exposés à des difficultés dans un pays lointain. Le séjour des pêcheurs à bord serait ainsi réduit à cause de la proximité de la zone de pêche.

Il est tout de même étonnant de voir un pays interdire cette forme de pêche chez soi, et laisser ses propres ressortissants aller vers d’autres horizons à bord de navires étrangers exercer cette activité. Les professionnels sénégalais de la pêche devraient aussi s’investir dans ce créneau porteur pour prendre le relais des navires étrangers. L’administration des pêches devrait les y encourager en autorisant simplement cette forme de pêche. Les armateurs sénégalais pourraient alors dans le cadre de la réduction de la flotte chalutière envisagée par l’administration des pêches, transformer éventuellement leurs chalutiers en navires de soutien et travailler en étroite collaboration avec les pêcheurs artisans, sans accroître outre mesure la pression sur la ressource.

En attendant, Guet N’dar très inquiet, retient son souffle.

Makane Diouf NDIAYE - consultant Scs


lire aussi sur www.afrik.com (12 septembre 2010 ) : Pêcheur au Sénégal, une profession sans avenir ? Un secteur d’activité qui s’essouffle, par Alicia Koch





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