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Menaces sur le prix des appels internationaux africains

  Enregistrer au format PDF  envoyer l'article par mail title=    Date de publication : dimanche 31 janvier 2010
Une nouvelle taxe sur les communications est entrain de se répandre comme une épidémie en Afrique. Elle s’ajoute au nombre élevé d’impôts qui frappent déjà le secteur des télécoms sur le continent. Il s’agit cette fois d’une taxe sur les appels entrants internationaux dont les coûts vont augmenter entre 20 et 100%. Pis encore, cette nouvelle taxe est en contradiction avec la Convention de Melbourne qui a été signée par la majorité des pays africains. Isabelle Gross mène l’enquête sur cette nouvelle épidémie fiscale qui menace le secteur des télécoms en Afrique.

source : www.lesafriques.com - 29-01-2010

L’exemple ivoirien

Au mois d’août dernier dans un article intitulé « Nouvelle taxe sur les communications internationales en Côte d’Ivoire : une marche à reculons ! », www.balancingact-africa.com relatait, pour la première fois, l’introduction d’une taxe sur le trafic téléphonique international entrant en Côte d’Ivoire. Pour mémoire, cette taxe s’appliquait à toutes les communications téléphoniques internationales en provenance de l’étranger : elle incluait les appels internationaux entrants directs et en transit ainsi que les appels émis en roaming international vers la Côte d’Ivoire. Son montant était de 20 francs (0,03 Euro) soit une augmentation des prix en gros de terminaison ou de transit du trafic vers la Côte d’Ivoire de l’ordre de 20%.

Sur le plan économique, l’augmentation des prix de la terminaison se traduira par une baisse du volume des appels internationaux entrants et une baisse du chiffre d’affaires des opérateurs télécoms, se traduisant à terme par une baisse des recettes fiscales générées par ce secteur.

Suites aux actions de l’UNETEL, l’organisation patronale des opérateurs ivoiriens, qui est monté aux créneaux, le gouvernement ivoirien semble avoir fait marche arrière. Selon le journal officiel de la République de Côte d’Ivoire datée du 5 novembre 2009, l’ordonnance présidentielle n°2009-289 porte « suspension de la taxe sur l’interconnexion téléphonique internationale à la charge des entreprises installées en Côte d’Ivoire, instituée par l’article 54 de l’annexe fiscale à l’ordonnance n°2008-381 du 18 décembre 2008 portant budget de l’Etat pour la gestion 2009 ». Les opérateurs télécoms soufflent et la diaspora ivoirienne peut se réjouir de ne pas avoir à payer plus cher pour appeler le pays. Mais pour combien de temps ?

Le Gabon à contresens

Malheureusement les nouvelles sont moins bonnes pour les Gabonais. Son gouvernement représenté par le Ministère de la communication, de la poste, des télécommunications et des nouvelles technologies de l’information vient par son arrêté n°359/MCPTNTI/Cab du 24 septembre 2009 d’introduire une taxe similaire et par la même occasion fixer les tarifs en gros des terminaisons fixes et mobiles vers le Gabon. Celles-ci s’établissent comme suit :

- 137 francs CFA (€0.2025) par minute pour la terminaison vers les réseaux mobiles
- 137 francs CFA (€0.2025) par minute pour la terminaison ver le réseau fixe

L’article 10 de l’arrêté précise que « les opérateurs reversent 72 CFA (€0.108) par minute de communication à l’Artel qui exécute une répartition avec l’opérateur technique pour les peines et soins, conformément aux dispositions du contrat ». Cette nouvelle taxe se traduit par une augmentation de 52.5% des prix en gros des terminaisons d’appels vers le Gabon. Pour le moins spectaculaire, cette augmentation va totalement dans le sens contraire de l’évolution des prix des appels internationaux à travers le monde.

Le Ghana à quitte ou double

Le 6 janvier dernier, l’agence de presse du Ghana (GNA) rapporte dans une de ses dépêches que Mr Haruna Iddrisu, ministre des Communications a annoncé que le gouvernement du Ghana comptait établir cette année un centre de vérification des appels internationaux entrants. Selon GNA, le Ministre « estime que si cela est bien fait, le gouvernement génèrera 50 millions de dollars US supplémentaires par an sur les appels internationaux entrants ». Selon nos sources, le prix en gros de la terminaison d’un appel vers le Ghana va passer de 0.08/0.09 dollars US à 0.19 par minute. Il s’agit de plus du double du prix actuel ! A noter aussi à travers ces exemples, que chaque gouvernement qui a instauré ou envisage d’instaurer cette taxe devient plus vorace. En Côte d’Ivoire, il s’agissait d’une augmentation de 20% avec le Gabon c’est une augmentation de 52.5% tandis qu’au Ghana l’augmentation sera de plus de 100% ! Pour justifier cette envolée des prix, les gouvernements des pays respectifs estiment que l’établissement d’un centre de vérification permettra de mettre fin aux fraudes et aux « routes grises ». Cette argumentation est pour le moins simpliste et de courte vue. Au contraire, elle encouragera le développement de routes alternatives. Prenez seulement l’exemple du Gabon où le prix en gros de la terminaison d’un appel local est de 40 FCFA (0.06€) tandis que celui d’un appel international entrant va passer à 137 FCFA (0.2025€) soit plus de trois plus – cet écart est tout simplement une invitation à créer des routes grises !

Frein au développement

Sur le plan économique, l’augmentation des prix de la terminaison se traduira par une baisse du volume des appels internationaux entrants et une baisse du chiffre d’affaires des opérateurs télécoms, se traduisant à terme par une baisse des recettes fiscales générées par ce secteur. Pour les acteurs locaux du secteur des télécoms,et plus généralement pour ceux des TIC, cette taxe freinera le développement des activités de « hubing » (à ce prix qui va vouloir faire transiter son trafic via le Ghana, par exemple ?) et des activités d’externalisation des services des pays développés vers ces pays. Selon Gabriel Solomon, senior vice président de l’association GSM à qui nous avons soumis ce problème « cette taxe particulière dont vous parlez sur les appels internationaux entrants, est une mesure à court terme générant de l’argent liquide pour les gouvernements. Elle aura un impact très négatif sur la compétitivité internationale du pays et réduira le montant des investissements étrangers directs réduisant par conséquent l’assiette fiscale des gouvernements : c’est contre-productif. La taxe va aussi heurter les flux commerciaux entrants et sortants du pays et le négoce aura à faire face à une massive augmentation des coûts de transactions. Nous sommes contre ces types de taxe parce qu’elles font tort à l’ensemble des partenaires et nous préconisons qu’elles soient immédiatement supprimées ».

Des remarques similaires nous ont été faites par Mr El Hadji Babacar Ba, responsable de la réglementation à Tigo, un opérateur mobile au Sénégal. Selon lui, l’introduction éventuelle d’une telle taxe aurait des conséquences désastreuses pour les télécommunications au Sénégal. Rien n’est sur pour l’instant quant à la tournure des événements dans ce pays. Cela dit le démenti de presse que l’ARTP a publié suite à un article publié dans Le Populaire du 25 septembre évoquant l’introduction de cette taxe, laisse à penser qu’il y a anguille sous roche.

Litige juridique

De plus, cette taxe sur les appels entrants internationaux va à l’encontre de la Convention de Melbourne de l’Union internationale des télécommunications (UIT) de 1988 de l’accord sur le commerce des services de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) de 1998. La convention de Melbourne qui a été signée par une majorité de pays africains comprend un Règlement des Télécommunications Internationales (RTI) qui stipule dans son article 6 intitulé « Taxation et comptabilité » à l’alinéa .1.3 « Quand la législation nationale d’un pays prévoit l’application d’une taxe fiscale sur la taxe de perception pour les services internationaux de télécommunication, cette taxe fiscale n’est normalement perçue que pour les services internationaux facturés aux clients de ce pays, à moins que d’autres arrangements soient conclus pour faire face à des circonstances spéciales. » Il ressort clairement que cette nouvelle taxe sur les appels entrants sera payée par l’appelant à l’étranger et, par conséquent, elle est en violation directe avec les règles définies par le Règlement des télécommunications internationales qui s’appliquent à tous les pays signataires de la convention de Melbourne.

Dans leur plaidoyer en faveur de la suppression de la taxe sur les appels entrants internationaux, les opérateurs mobiles gabonais ont souligné que « l’annexe du quatrième protocole d’Accord sur le Commerce des Services (AGCS), Accord sur les télécommunications de base, négocié sous les auspices de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en février 1997, entré en vigueur le 1er janvier 1998, les taxes de répartition telles que les tarifs d’interconnexion nationaux doivent tendre vers les coûts. En d’autres termes, les taxes de répartition ne doivent pas être plus élevées que les tarifs d’interconnexion locaux (sauf prise en compte du coût additionnel minimal du segment international).Au vue de ces deux articles, il apparaît clairement qu’aucune redevance ne doit être appliquée au trafic international entrant ».

Si l’ARTEL, l’autorité de régulation et le Ministère de la communication, de la poste, des télécommunications et des nouvelles technologies de l’information ne reviennent pas sur leur décision, le seul recours sera le tribunal – un processus lent durant lequel l’arrêté en question continuera à s’appliquer !

Sensibiliser les chefs d’Etat

Avec le nombre grandissant de pays africains qui ont ou qui envisagent d’instaurer une telle taxe, il s’agit d’une nouvelle épidémie fiscale. Son introduction dans un pays africain stimulera d’autres pays à faire de même. Pour lutter contre cette infection, il faut bien-sûr traiter le patient mais aussi mettre en place des mesures pour éviter la contagion. Dans ce sens,il faut saluer et encourager des actions comme celle de la COFTEL (conférence des opérateurs et fournisseurs des télécommunications) qui, à Ouagadougou au mois de novembre dernier,a demandé à l’UEMOA de sensibiliser les chefs d’Etat des pays de l’UEMOA à ne pas s’embarquer dans cette politique qui aura des conséquences économiques négatives. « Trop d’impôt, tue l’impôt ». Isabelle Gross




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