le magazine du Sénégal dans le monde

Le président du Soudan accusé de génocide

  Enregistrer au format PDF  envoyer l'article par mail title=    Date de publication : mercredi 16 juillet 2008
CPI   Darfour  
Luis Ocampo-Moreno demande à la Cour pénale internationale de lancer un mandat d’arrêt contre Omar el-Béchir. Il aurait sciemment orchestré le massacre de centaines de milliers de personnes au Darfour. Les appréciations divergent

15 juillet 08 - Angélique Mounier-Kuhn/Le Temps
Il est le crime d’entre les crimes au regard du droit international. Omar el-Béchir, le président du Soudan, aurait sciemment commis un génocide au Darfour, selon Luis Moreno-Ocampo, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI). Il doit en répondre, ainsi que de crime contre l’humanité et de crime de guerre, a estimé l’Argentin lundi à La Haye.

Son enquête, menée depuis trois ans à la demande du Conseil de sécurité des Nations unies, lui a permis de récolter les preuves de l’élaboration «  d’un plan visant à détruire une grande partie des groupes four, masalit et zaghawa (ndlr : les habitants de la région Darfour, à l’ouest du Soudan) en raison de leur appartenance ethnique ». Le conflit, qui a débuté en févier 2003 entre les forces gouvernementales et les rebelles de cette région, a coûté la vie à 300 000 Darfouris, suspectés de soutenir ces derniers, et a forcé près de 2,5 millions d’entre eux à quitter leurs foyers, selon l’ONU. Khartoum a toujours nié la responsabilité, et même l’existence, de la tragédie, qui n’aurait fait selon elle « que » 10 000 morts.

Il appartient aux trois juges de la première Chambre préliminaire de la CPI d’examiner les preuves réunies par le procureur pour décider oui ou non de la délivrance du mandat d’arrêt qu’il requiert. Leurs délibérations pourraient prendre de plusieurs semaines à des mois. Mais sans attendre, l’accusation lancée par Luis Moreno-Ocampo a suscité des réactions planétaires. Il faut dire que l’homme fort de Khartoum est le premier chef d’Etat en exercice à être ainsi visé par la jeune CPI. Le Libérien Charles Taylor et le Yougoslave Slobodan Milosevic avaient eux aussi été rattrapés par la justice internationale pour crimes contre l’humanité et de guerre. Mais ils l’avaient été par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone et le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, en 1999 et 2003, avant que la CPI ne soit opérationnelle.

Premier à réagir, le Soudan a sans surprise rejeté « toute décision de la CPI ». Cette dernière a en revanche été applaudie par les organisations de défense des droits de l’homme, qui voient en elle les prémices d’une marginalisation aussi irrémédiable que souhaitable d’Omar el-Béchir sur la scène internationale. « C’est une excellente nouvelle, se réjouit Abdelbagi Jibril, responsable à Genève du Centre aide et documentation sur le Darfour. La justice internationale est passée à l’action. Elle a montré que les crimes commis au Darfour étaient très graves, qu’ils relèvent du génocide. » « Après des années de léthargie, la CPI est à la hauteur de son mandat. Elle ne se contente plus de pourchasser les seconds couteaux », enchaînait pour sa part Philip Grant, directeur de l’ONG genevoise Track Impunity Always (Trial).

La mise à l’index d’Omar el-Béchir par le procureur de la CPI n’en soulève pas moins de très sérieuses objections. «  A court terme, les Darfouris vont faire les frais de cette décision. Elle va braquer Khartoum, qui va se durcir, et les rebelles vont essayer d’en profiter pour repartir à l’offensive. Il va devenir très difficile de travailler au Darfour et le déploiement de la Minuad (ndlr : la force de maintien de la paix ONU-Union africaine) va être gelé », commente Roland Marchal, chercheur du CNRS basé à Sciences Po Paris. La Minuad a en effet indiqué hier qu’elle allait évacuer son personnel non essentiel.

Très préoccupé ces derniers jours par de tels risques, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a déclaré hier que son institution « respectait l’indépendance du processus judiciaire ». Dans le même élan, il a exhorté le gouvernement du Soudan à « continuer à coopérer pleinement » et à «  remplir son obligation d’assurer la sécurité des personnels et des biens de l’ONU sur son territoire ». La semaine passée, sept soldats de la Minuad ont péri dans une embuscade, attribuée à des miliciens arabes, la plus grave depuis le début de son déploiement en janvier.

En s’immisçant dans la crise du Darfour, le procureur rend « la possibilité d’un règlement politique plus lointaine que jamais », poursuit Roland Marchal. Mais Luis Moreno-Ocampo n’en est pas à sa première initiative concernant le Soudan. En avril 2007, il a exigé la livraison de deux de ses dignitaires, dont le ministre délégué aux affaires humanitaires. En vain. « Cette inculpation n’a pas eu les effets escomptés. C’était clairement une gifle pour la CPI, souligne Pierre Hazan, auteur de Juger la guerre, juger l’Histoire . En laissant passer ce laps de temps, Luis Moreno-Ocampo a laissé sa chance à la paix. Mais rien n’a bougé. » Par ailleurs, « quel est le bon calendrier, s’interroge l’Ougandaise Betty Bigombe, de l’Institut des Etats-Unis pour la paix, quand on parle d’un drame qui dure depuis si longtemps ? »

Omar el-Béchir, une marionnette devenue autoritaire

Certains le dépeignent comme un militaire sans éclat, limité intellectuellement. Omar el-Béchir a pourtant su se maintenir au pouvoir depuis deux décennies. Né en 1944 dans une famille paysanne du nord du pays, le président soudanais a rejoint très tôt les rangs de l’armée. En 1973, il combat Israël aux côtés des troupes égyptiennes. En 1989, il dirige la junte qui s’empare de Khartoum. Quelques-uns affirment qu’il est choisi par Hassan al-Tourabi – commandeur des coulisses à la tête du Front islamique national – parce qu’il apparaît pieux et inoffensif.

Pieux, il l’est peut-être. Inoffensif, personne n’y croit plus vraiment. A peine les autorités renversées, Omar el-Béchir instaure l’état d’urgence et suspend toutes les libertés. Un Conseil de commandement de la révolution (RCC) et un gouvernement de salut national sont mis en place. Le RCC est dissous en 1993, le militaire autoproclamé président de la République. Purges, arrestations et tortures sont monnaie courante.

Au début des années 1990, le Soudan devient terre d’accueil des courants islamistes. C’est à ce moment-là qu’Oussama ben Laden élit domicile à Khartoum. Le maître d’Al-Qaida sera prié de quitter le pays en 1996, après des pressions américaines. La même année, décidément soucieux de préserver les apparences, Omar el-Béchir est officiellement « élu » chef de l’Etat soudanais. Mais même dans l’ombre, Hassan al-Tourabi prend trop de place ; l’ex-éminence grise est incarcérée en 2001 pour avoir fomenté un coup d’Etat. Omar el-Béchir applique la charia et fustige les Etats-Unis, en même temps qu’il commence à commercer avec Washington.

En 2005, le président surprend la communauté internationale en signant un accord de paix qui met fin à la rébellion au Sud-Soudan. Une partie des négociations menées porte sur l’organisation d’un référendum d’autodétermination en 2011. Une perspective effroyable pour ce nationaliste chatouilleux. Depuis 2003, un autre conflit embrase le Darfour, à l’ouest du pays. Il est reproché au chef de l’Etat d’avoir, au mieux, laissé faire le massacre, au pire, orchestré un génocide. Peu d’éléments circulent sur la psyché et la vie privée du personnage. On dit l’homme fier, impétueux et irritable. On sait qu’il a eu deux femmes, mais pas d’enfants. « Il est un peu fruste, mais beaucoup plus malin que ce que l’on veut bien dire », confie un analyste à la BBC. « El-Béchir est loin d’être brillant, estime de son côté Marc Lavergne, spécialiste du Soudan. Il est sous contrôle depuis le début. Son seul mérite est d’avoir toujours été du bon côté dans les luttes de pouvoir. Même le Darfour est le produit d’un système collectif. » La Cour pénale internationale tranchera .

Caroline Stevan/Le Temps

source : droitshumains-geneve.info

lire aussi sur le site ipsinternational.org : Les accusations de génocide au Soudan divisent la communauté internationale




Lettre d'info

Recevez 2 fois par mois
dans votre boîte email les
nouveautés de SENEMAG




© 2008 Sénémag      Haut de page     Accueil du site    Plan du site    admin    Site réalisé avec SPIP      contact      version texte       syndiquer