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Sénégal : « Nous continuerons à surveiller le régime ! »

  Enregistrer au format PDF  envoyer l'article par mail title=    Date de publication : mardi 28 février 2012
Célèbre dans tout le pays pour ses chansons engagées, le rappeur Thiat, du groupe Keur-Gui, est l’un des leaders du collectif Y’en a marre, version africaine des Indignés européens. Au lendemain du 1er tour de l’élection présidentielle, il dresse pour Basta ! la liste des défis que la contestation démocratique devra relever après le scrutin, quel que soit le vainqueur.

source : www.bastamag.net - 28 février 2012

Votre credo est « Tout sauf Wade ». Si le Président sortant, Abdoulaye Wade (33 % au 1er tour), est battu par son ancien dauphin Macky Sall (25 %), comment se poursuivra votre combat ?

C’est maintenant que le combat commence. Contre Wade, nous avons mené un combat démocratique, un principe que notre pays avait acquis de longue date, et que Wade a foulé du pied. Nous allons continuer de combattre la corruption et l’impunité, qui retardent notre pays. Nous voulons faire appel à la Cour pénale internationale contre Wade, confisquer ses biens, ceux de certains de ses ministres qui se sont enrichis avec l’argent des Sénégalais. Que ces nouveaux riches de l’alternance, ou de « l’alternoce », parce qu’ils ont bien fait la noce, voient leurs biens confisqués. Et que les cinq pantins du Conseil constitutionnel, qui ont avalisé la candidature de Wade pour un troisième mandat (alors que la Constitution s’y oppose, ndlr) soient démis de leurs fonctions et ne soient plus en mesure d’exercer. Il faut ramener l’éthique et la dignité dans la justice, s’assurer de son indépendance.

Voir la vidéo de la manifestation sur la place de l’Indépendance, le 21 février, contre la candidature d’Abdoulaye Wade.

Il y a ce danger que des candidats lâchent du lest, essaient de suivre le vainqueur (le libéral Macky Sall avait entériné la plupart des réformes qui ont poussé les Sénégalais dans la rue, avant de quitter le gouvernement, ndlr) [1], et que l’on assiste à une continuité de l’opportunisme. Nous continuerons donc à surveiller le régime. Nous ne ferons pas la même erreur qu’avec Wade, que l’on a élu puis regardé faire, les bras croisés. Des républicains doivent être capables de revendiquer leurs droits. Le peuple ne se laissera pas faire.

Maintenant qu’un deuxième tour est inévitable, qu’attendez-vous du nouveau Président ?

Tout est à revoir. D’abord, il faudra réajuster notre économie, réorganiser l’appareil d’État, veiller à ce que la séparation des pouvoirs soit effective. Nous avons besoin d’une justice indépendante, d’une société civile plus présente, et d’une assemblée multipartite.

Le futur Président devra remettre sur pied notre agriculture, en privilégiant un retour à l’agriculture paysanne, pas industrielle, en encourageant une politique dans laquelle le paysan pourra travailler sa terre, faire vivre sa famille.

Que les vendeurs ambulants qui galèrent à Dakar puissent retourner dans leurs villages. Cela doit être la même chose dans les secteurs de la pêche et de l’élevage.

Tout le secteur culturel doit être revu, avec la mise en place d’infrastructures neuves, que l’État se donne les moyens de faire vivre l’art sénégalais partout dans le pays. Pour l’enseignement, nous avons besoin d’universités de qualité, d’améliorer les conditions de vie des étudiants, de favoriser l’accès aux bourses d’études, d’orienter plus intelligemment les bacheliers. Qu’on ait enfin assez de professeurs dans le primaire et le secondaire. Et la santé ! Nous avons besoin de plus de médecins, de lutter contre des maladies d’un autre âge qui touchent encore le Sénégal, de donner des moyens aux hôpitaux pour assurer les soins les plus élémentaires. Qu’on ait des ambulances qui fonctionnent, avec tous ces accidents de la route... Que l’on intègre la médecine traditionnelle. Bref, tout le secteur de la santé est à refaire.

La vie chère et l’accès à l’eau et à l’électricité font partie des raisons qui ont poussé les Sénégalais dans la rue…

La mère de famille doit pouvoir remplir son panier au marché, même si le salaire de son mari est bas, au moins avec les produits de première nécessité. Il faudrait pour cela diversifier les semences, au lieu de s’en tenir à la culture du riz et de l’arachide, pour favoriser l’autosuffisance. L’autosuffisance, c’est quelque chose que l’on peut réaliser en trois ans. Aujourd’hui, presque tout est importé ! On a aussi besoin de baisser le coût du carburant (900 francs CFA le litre d’essence, soit 1,37 euro, ndlr). Agir contre les coupures d’électricité, que le pays entier soit électrifié. Et que tous les villages aient accès à l’eau potable.

Le pays doit se réapproprier ses richesses, en rouvrant les usines, en favorisant la liberté d’entreprise. Pas dans le sens d’un capitalisme sauvage mais en favorisant la politique d’investissement des jeunes de ce pays. Que l’exploitation des mines d’or de Sabodala (sous le contrôle de Teranga Gold Corporation, une société canadienne, ndlr) serve les Sénégalais. Idem pour l’eau : l’exploitation de l’usine Kirène (la marque sénégalaise détient 80 % du marché national, ndlr) n’a rien changé aux conditions de vie dans la région, où les habitants n’ont pas d’accès à l’eau potable. Et puis, se concentrer sur la construction d’infrastructures de nécessité : des routes, pas des statues !

Et sur le plan international ?

On veut en finir avec le baby-sitting. Le Sénégal a montré sa maturité, son niveau de démocratie. D’abord, il faut imposer un visa aux pays qui l’imposent à nos ressortissants. Qu’on se fasse respecter, qu’on arrête d’être les marionnettes de l’Occident, la poubelle mondiale. On a un potentiel énorme, une diaspora très riche intellectuellement : qu’elle revienne ! Au niveau de la politique extérieure, il faudra soigner et refaire l’image d’un pays qui s’est dégradée depuis douze ans. Arrêter avec les dettes, les emprunts. Redresser l’économie nationale et lutter contre la corruption nous permettra d’accéder à certaines instances. On a les moyens d’être la locomotive de l’Afrique de l’Ouest.

La France est aussi en pleine campagne présidentielle… Quel regard portez-vous sur ce qui s’y passe ?

J’espère que Sarkozy ne sera plus votre Président ! C’est le moindre mal que je vous souhaite. Ce qui ne veut pas dire que je vois mieux en face de lui... Sarkozy a démontré son manque de culture générale, en déclarant que l’Afrique n’était pas assez entrée dans l’Histoire ! La France est en mutation, c’est chaud de voir un pays comme celui-là souffrir du chômage, de la crise… Et puis, il faut arrêter de faire chier les minorités et les quartiers. Vos prisons sont pleines de Noirs et d’Arabes ! La France ne peut pas mépriser leur présence sur ses terres. Si c’est un pays libre, c’est grâce aux tirailleurs sénégalais, aux soldats des colonies qui se sont battus pour elle. Il faut arrêter de les traiter comme des torchons. Avoir plus de considération pour eux : pour les Français, tout simplement.

Partout, il faut chercher d’autres moyens de vivre. Je ne crois pas qu’un autre monde soit possible : la couche d’ozone est bousillée, la nature est en sursis... Un autre monde, ce n’est pas possible. Un nouveau type d’hommes, avec d’autres façons de vivre, oui : se calmer avec les produits chimiques, les déchets toxiques, la vente d’armes... On n’est pas des animaux. On ne peut pas revenir en arrière, mais on peut refaire les hommes.

Recueillis par Dorothée Thiénot
Photos : Malin Palm
Vidéo : Images : Ousseynou N’Daye - Montage : Elise Picon


lire aussi sur www.regards.fr (26 février 2012) :Le rap sénégalais, sentinelle de la démocratie, par Dorothée Thiénot

et sur www.sudonline.sn (23/02/2012) :IBRAHIMA SENE, MEMBRE DU BUREAU POLITIQUE DU PIT ET DU DIRECTOIRE DE CAMPAGNE DE NIASSE « Le scénario ivoirien se dessine », par Madior FALL


Notes :

[1] Ministre des Mines, de l’Intérieur, Premier ministre, directeur de campagne, puis président de l’Assemblée nationale, Macky Sall a su s’entourer des plus proches du Président, avant de quitter le parti présidentiel à la suite de la nomination au gouvernement du fils du Président, Karim Wade. Le changement réclamé par les Sénégalais – « tout sauf Wade » – pourrait donc n’être qu’un changement cosmétique, l’idéologie portée par Macky étant proche de celle du Président sortant.


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