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Entretien avec Baïdy AGNE (Président du conseil national du patronat-Cnp) :

"Le secteur énergétique doit être considéré comme un secteur de souveraineté"

  Enregistrer au format PDF  envoyer l'article par mail title=    Date de publication : lundi 16 juin 2008
Dakar   energie  
La crise dans le secteur de l’énergie est préoccupante, selon le président du Conseil national du patronat. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, même si Baïdy Agne loue les efforts de l’Etat pour trouver une solution à cette crise, il n’en demeure pas moins que le Cnp a déjà fait des propositions de sortie de crise. Le président du Cnp est revenu aussi sur la privatisation du terminal à conteneurs du port de Dakar.

Wal Fadjri : Quel regard portez-vous sur le secteur de l’énergie ?

Baïdy Agne : Dans notre Pacte de "bonne gouvernance générateur de croissance et d’emplois productifs", une très grande place est accordée à la résolution de cette crise énergétique. Il s’agit d’un préalable à la mise en œuvre de toute stratégie ambitieuse pour le développement économique du Sénégal, mais aussi pour le renforcement de la compétitivité des entreprises et l’amélioration des conditions des populations. Depuis le milieu des années 80, l’Etat et des partenaires au développement comme la Banque mondiale, se sont penchés sur notre filière énergétique sans nous apporter une solution définitive. Le constat est là, la crise énergétique, nous la vivons tous, chefs d’entreprise comme tout citoyen sénégalais. Nous devons reconnaître que tous les programmes sectoriels "énergie" successifs ont échoué et qu’aujourd’hui, la situation s’est fortement aggravée avec les fortes tensions sur les marchés pétroliers. C’est pourquoi, malgré la situation très difficile, je salue les efforts entrepris par l’Etat de renseigner sur les mesures urgentes pour assurer la fourniture normale en énergie. En effet, la reprise de l’activité industrielle de la Société africaine de raffinage (Sar) est intervenue le 22 mars 2007 sur la base d’un schéma de processing. Les importations de butane sont toujours réalisées par la Sar et la dette relative à la subvention et contractée par l’Etat a fortement évolué à la baisse (2,4 milliards francs Cfa au 31 mai 2007). La mise en service par la Senelec de la centrale Kounoune 1 de 67,5 mégawatts, dans le courant du mois de juin, sera la bienvenue. Cependant, les investissements annoncés pour résoudre notre problème de fourniture d’énergie électrique nous conduiraient en 2012.

Wal Fadjri : Quel impact réel ont les délestages sur l’outil de production ?

Baïdy Agne : Je ne sais pas s’il est aujourd’hui important de décrire ou de mesurer l’impact des délestages. La situation est d’une telle ampleur que l’urgence devrait plutôt porter sur les solutions de crise. Personne ne peut vous dire, de façon précise, le coût réel des délestages au niveau du secteur productif. Ce qu’il faut retenir c’est que, d’une façon générale, les entreprises ont enregistré de fortes baisses de productivité et de compétitivité, ainsi que d’importantes pertes de marchés surtout celles tournées à l’exportation. Les surcoûts de production enregistrés au niveau des entreprises sont essentiellement liés d’une part, à l’achat de groupe électrogène et de fuel, d’autre part, aux paiements d’heures de travail non productif et d’heures supplémentaires de rattrapage, et enfin aux paiements de pénalités pour retard dans les délais de livraison. Et bien entendu, il faut y ajouter les pertes de marché, la détérioration des équipements de production, etc.

Wal Fadjri : Quelles solutions préconiseriez-vous ?

Baïdy Agne : Le Cnp s’est déjà prononcé par ma voix sur cette question. J’ai dit qu’une résolution définitive de cette crise énergétique passe par : le respect des engagements contractuels de toutes les parties prenantes Etat/pétroliers/Senelec ; le renforcement des capacités des nationaux présents dans le secteur énergétique, notamment Elton, Touba Gaz, etc. ; la restructuration financière et l’évolution institutionnelle de la Senelec. A ces mesures, s’ajoutent la mise en œuvre de contrats de concession/privatisation en y associant le secteur privé national ; la construction d’un "hub pétrolier" et enfin le développement des énergies alternatives (solaire, éolienne, etc). Le secteur énergétique doit être avant tout considéré comme un secteur stratégique, mieux de "souveraineté économique". Je vois que l’Etat vient de saisir pleinement les enjeux en étant plus présent dans l’actionnariat de la Sar (57,2 % des actions), mais cela ne suffit pas. L’Etat ne peut être l’actionnaire majoritaire, ce n’est pas sa vocation. Il faut rétrocéder une partie à des privés nationaux pouvant ‘booster’ ce secteur, identifier ce ‘noyau déclencheur’ de notre souveraineté économique. Je vous annonce que le Cnp va organiser dans une "‘Rencontre sur le secteur de l’énergie au Sénégal". Nous entendons ainsi apporter une contribution très significative à la résolution définitive de cette crise énergétique. Il ne s’agira pas d’une rencontre de plus dans la mesure où l’Etat pourra présenter la situation actuelle, ainsi que sa vision stratégique prospective à court, moyen et long termes, et que les investisseurs nationaux que nous sommes vont prendre des engagements décisifs en termes d’investissements. Regardez par exemple, notre politique de l’habitat, avons-nous une stratégie pour la substitution progressive de l’énergie électrique par l’énergie solaire ? Mieux notre politique énergétique favorise-t-elle le développement de producteurs indépendants, notamment les grandes entreprises industrielles productrices d’énergie pour des niveaux pouvant aller bien au-delà de leur propre consommation ? Et mieux encore, quelle place accorde notre Stratégie de croissance accélérée (Sca) à la résolution de cette crise énergétique qui pourtant constitue le préalable ? L’entreprise a besoin de moins de politique et de plus de productivité au regard des enjeux qui l’attendent dans les mois à venir aux niveaux d’une part, régional avec l’accélération du processus d’intégration économique, et d’autre part, international avec l’Ape (Accord de partenariat économique) et l’Omc (Organisation mondiale du commerce) .

Wal Fadjri : Dans ce contexte, l’environnement des affaires est-il toujours favorable à l’investissement privé, notamment étranger ?

Baïdy Agne : Oui bien sûr ! Que demande avant tout l’investisseur qu’il soit national ou étranger ? La stabilité politique, nous sortons d’élections présidentielle et législatives apaisées. La paix sociale, nous avons un dialogue social de qualité avec les partenaires sociaux, même si des problèmes existent au niveau du secteur de l’enseignement et de certaines entreprises en difficulté. Une bonne politique macro-économique, le Sénégal est le pays de l’Uemoa (Union économique et monétaire ouest-africaine) qui a respecté le plus de critères de convergence (6 sur les 8). Si c’est un environnement juridique et judiciaire, le Sénégal est membre de l’Ohada et a adopté les différents Actes uniformes. Mais bien entendu nous devons poursuivre l’adaptation des textes en vigueur à l’environnement actuel des entreprises. Une décision de justice est toujours coûteuse pour toute entreprise. S’il s’agit d’infrastructures de base performantes, le Sénégal n’a jamais connu un tel niveau de développement de ses infrastructures de transport.

Wal Fadjri : Pourtant, il existe toujours des difficultés pour attirer davantage d’investisseurs étrangers ?

Baïdy Agne : Je pense que si nous rencontrons encore des difficultés pour attirer davantage aussi bien l’investissement national qu’étranger ceci est lié à la faible productivité de notre main-d’œuvre, à notre faible capacité d’offres de produits exportables à haute valeur ajoutée, au coût élevé et à la qualité de nos facteurs de production tels que l’électricité, etc. Regardez par exemple quelque chose de très simple : le nombre de jours fériés. Le Sénégal est l’un des pays qui en totalise le plus au monde et pourtant nous ne sommes pas le seul Etat laïc. Je rappelle que les fêtes légales sont fixées par des Lois datant de 1974. Le Cnp a demandé au ministre du Travail d’organiser une concertation nationale pour redéfinir les jours de fêtes légales, prenant en compte à la fois les mutations de notre société, les préoccupations de nos communautés religieuses, ainsi que les exigences de productivité de la nation pour améliorer les conditions d’existence de notre population. Autre exemple : le Code des douanes. Quelle considération est accordée aux investisseurs ? La présomption d’innocence n’en parlons pas ! Notre statut est celui de "Délinquant" et c’est l’une des principales raisons pour laquelle le Cnp a demandé cette réforme du Code des douanes.

Wal Fadjri : En tant président du Syndicat des manutentionnaires, quelle lecture faites-vous de la concession du terminal à containers ?

Baïdy Agne : Tout d’abord, je souhaiterais rappeler que si ce n’était pas le Syndicat des manutentionnaires qui avait pris des positions pertinentes et courageuses (contre l’autorité portuaire) en 1997 sur l’actualisation du schéma directeur du port de Dakar et les discussions subséquentes en 1999 sur l’acquisition et l’exploitation de deux portiques, aujourd’hui on en serait pas là en train de discuter du projet d’extension du terminal à conteneurs et de la réalisation du "Port du futur" où un investissement cumulé de plusieurs centaines de milliards est prévu contre 10 milliards en 1999. Tout projet d’extension et de modernisation du Port de Dakar visant à hisser les infrastructures d’accueil, les coûts et la qualité des services du Port au niveau international, est salutaire parce qu’il participe à un meilleur positionnement du Port de Dakar et du Sénégal par rapport à ses concurrents. Cependant, les critères dans le cahier des charges de l’appel d’offre ne permettaient pas aux entreprises sénégalaises de participer. C’est pour cela très tôt nous l’avions souligné et nous nous sommes inscrits dans le schéma de discuter avec l’autorité portuaire pour que l’adjudicataire de cette concession réserve une place importante aux acteurs sénégalais. Je pense qu’il y aura à gérer l’existant. Dubaï port a été retenu et le directeur général du port m’assure que le processus d’adjudication a été transparent et que tous les compétiteurs ont été informés du pourquoi du choix.

Wal Fadjri : Pensez-vous réellement que l’opérateur pourra changer le visage du Pad ?

Baïdy Agne : Dp ports (Dubaï ports World) est un grand opérateur portuaire qui opère beaucoup de terminaux au monde et semble avoir présenté le meilleur dossier parmi quatre excellents dossiers. Pour le reste, changer le visage du port doit inclure le renforcement de la position de nos sociétés. Donc nous continuons de suivre le processus qui n’est pas encore arrivé à terme.

Wal Fadjri : Quel sera le rôle du secteur privé sénégalais ?

Baïdy Agne : Le secteur privé sénégalais est présent au port depuis plus de 30 ans, contribuant ainsi au développement du port et à l’économie sénégalaise. Il compte continuer à occuper sa place et compte aussi sur l’Etat pour le renforcement de notre souveraineté économique.

Wal Fadjri : Comment avez-vous accueilli la promulgation du nouveau Code des marchés publics ?

Baïdy Agne : L’Etat a beaucoup fait dans ce domaine, et nous ne pouvons que nous réjouir des grandes orientations apportées à ce nouveau code des marchés publics avec la baisse positive des niveaux de caution requis qui passent de 5 % du marché à 3 % maximum, l’allégement des procédures pour les entreprises, la non exigence de la garantie de soumission pour les marchés de prestation intellectuelle. La suppression de la procédure d’adjudication de même que la procédure de gré à gré désormais limitée aux seuls cas où un unique candidat peut être pressenti et lorsque le secret ou les mesures de sécurité requises par la protection de l’intérêt supérieur de l’Etat l’exige. En définitive, le nouveau Code des marchés publics oblige les acheteurs publics à définir préalablement leurs besoins en conformités aux principes d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. Nous ne pouvons que saluer ici cette volonté de transparence et d’allégement des procédures qui anime les autorités publiques. Cependant, comme j’ai eu à le dire lors de l’atelier de présentation et d’échange sur le nouveau Code des marchés publics du 11 mai 2007, organisé par le Syndicat professionnel des entrepreneurs de bâtiments ( Spebtps), membre du Cnp, on a fait un code, mais sa mise en application peut durer un ou deux ans parce que les acteurs concernés ne sont pas tout à fait en phase avec tous les actifs. Il ne s’agit pas uniquement pour nous d’édicter des lois et des codes, mais de s’assurer de leur efficacité sur le terrain et de l’impact sur le renforcement de nos entreprises. A ce jour, en ce qui concerne les travaux routiers, rien ne permet aux Petites et moyennes entreprises d’entrer dans le jeu malgré des critères allégés. Il nous faudrait voir comment les petites entreprises, afin qu’elles puissent augmenter leurs capacités et à terme, accumuler des références et soumissionner. Il s’agit aussi pour l’Etat de mettre en œuvre des politiques plus volontaristes de soutien à l’entreprise sénégalaise face à toutes ces entreprises étrangères. C’est comme disait le président Sarkozy : "Mon problème ce n’est pas l’Omc. Je suis élu pour soutenir les Français et les entreprises françaises comme le font les Américains, les Chinois...".

Wal Fadjri : Dans ce cadre, le chef de l’Etat a-t-il répondu aux attentes du secteur privé ?

Baïdy Agne : Je vous rappelle qu’il y a trois ans, lors de nos Assises de l’entreprise, le chef de l’Etat, Me Abdoulaye Wade, nous a fait l’honneur d’accepter d’être l’avocat de l’entreprise. Je suis heureux de constater, aujourd’hui, que sous son impulsion, le gouvernement a respecté les engagements pris dans le cadre des négociations avec le secteur privé en ce qui concerne la baisse du taux d’impôts sur les sociétés à compter du 31 décembre 2005, la suppression de la taxe d’égalisation et l’affectation progressive de la Contribution forfaitaire à la charge de l’employeur (Cfce) avec une dotation initiale de 500 millions de fCfa en 2006. C’est pourquoi nous ne pouvons que nous réjouir de la qualité de notre concertation publique privée et des différentes mesures prises par le chef de l’Etat pour améliorer la compétitivité de nos entreprises.

Propos recueillis par Johnson MBENGUE




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