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Les bombardements du 23 septembre 1940 : Dakar se souvient

  Enregistrer au format PDF  envoyer l'article par mail title=    Date de publication : mardi 23 septembre 2008
A l’orée des années 40, Dakar constituait un enjeu géostratégique de premier ordre dans le dispositif colonial français. En effet, la ville avait ses caractères spéciaux : chef-lieu du gouvernement général, port d’escale d’importance mondiale et premier port de transit de l’Aof, troisième port de commerce français à trafic intense après Marseille et Le Havre, dépôt de combustibles, centre de lignes aériennes françaises et internationales à mi-chemin entre l’Amérique et l’Europe, point d’appui de la flotte de guerre, centre de défense terrestre. Tout cela faisait de Dakar un point tant convoité par les différents protagonistes.

source : www.lequotidien.sn 23-09-2008

L’importance de la ville pouvait-elle expliquer l’intervention anglo-gaulliste ? Pouvait-on accepter l’argument du ravitaillement invoqué par De Gaulle pour justifier cette opération militaire ? Avant d’en arriver là, faisons la rétrospective de quelques péripéties qui ont mené à ces événements sanglants.

Lorsque l’Armée allemande envahit, le 1er septembre 1939, la Pologne, l’effet de cette agression fut la généralisation des hostilités, en ce sens que la France et l’Angleterre déclarèrent aussitôt la guerre à l’Allemagne. Bientôt, l’invasion de la Pologne fit place à ce qu’on est convenu d’appeler “la drôle de guerre” (septembre 1939 au 10 mai 1940), c’est-à-dire l’attitude des Français et Anglais consistant à ne pas s’engager réellement dans le conflit : on se déclare la guerre sans pour autant faire la guerre.

Pourtant, à partir de mai 1940, les événements prirent une autre tournure caractérisée par l’offensive allemande. En deux jours, du 10 au 12 mai 1940, les Pays-Bas et la Belgique furent occupés puis, en quelques semaines, la France fut envahie et son Armée mise en déroute sur tous les fronts. La signature de l’Armistice (25 juin) et l’appel de Londres, le 18 juin 1940, du Général de Gaulle allaient diviser les milieux coloniaux entre partisans du Maréchal Pétain, collaborateur de l’occupant Allemand, et Gaullistes adversaires de la capitulation.

A Dakar, nombreux étaient les partisans de la Résistance. Si le gouverneur général, Cayla, fut au début pour la continuation de la lutte, le refus de l’Afrique du Nord, avec le général Nogués, de se mettre aux côtés des Gaullistes va influencer l’Aof qui finira par s’aligner sur le Commandement d’Afrique du Nord. Entre-temps, l’attaque navale de Mers el Kébir, durant laquelle le cinquième de la flotte française fut détruit par les Anglais, bascula beaucoup d’hésitants dans le camp pro-vichyste.

A partir de ce moment, les événements s’accélérèrent car, pour De Gaulle, la lutte de libération nationale dépassait le cadre métropolitain pour s’étendre jusqu’aux colonies qu’il fallait empêcher, coûte que coûte, d’être récupérées par Vichy et c’est précisément dans ce cadre que Dakar fut impliquée militairement dans la Deuxième guerre mondiale.

Ainsi, dès le 7 juillet 1940, un contre-torpilleur pro-gaulliste fut refoulé à Dakar, tandis que, le lendemain, le “Richelieu” fut attaqué et immobilisé dans le port de Dakar. Or, en ces moments, l’Aef, par la voix de Félix Eboué, rejoignait la résistance, alors que Cayla, soupçonné d’être pro-gaulliste, fut muté à Madagascar et remplacé par Pierre Boisson qui, bien que versatile et hésitant au début, finit par opter pour la collaboration.

Pour De Gaulle, le ralliement de Dakar à sa cause permettrait à la France Libre d’avoir des moyens matériels et humains pour continuer la lutte, mais aussi une assise territoriale et politique pour un Etat virtuel qui n’existait que sur du papier. Or, le ralliement de l’AEF poussa les autorités de l’Aof à prendre des mesures préventives pour protéger ses bases contre toute attaque anglo-gaulliste. C’est dans ces conditions que De Gaulle se présenta au large de Dakar le 23 septembre 1940.

Au petit matin, des avions britanniques survolèrent Dakar, jetant des tracts de sympathie et souhaitant le ralliement de l’Aof aux côtés des Alliés de la France Combattante dans quatre heures, auquel cas, serait exclu l’usage de la force matérialisée par cette importante flotte anglaise prête à entrer en action. Peu après, une corvette, portant le drapeau blanc, conduite par le capitaine Thierry d’Argenlieu, se détacha de l’escadre aux fins de parlementer et, ce faisant, convaincre Boisson à se rallier. A peine arrivée, elle fut mitraillée, blessant le parlementaire qui se retira à la sauvette. Vers treize heures et devant le mutisme du gouverneur général après l’ultimatum, Dakar fut violemment bombardée par la flotte anglo-gaulliste commandée par le vice-amiral John Gunningham. Ce que Jacques Mordal appelle «  la bataille de Dakar  » venait de commencer. Les hostilités vont durer deux jours, mais Dakar résista farouchement, persuadant De Gaulle de battre en retraite pour regagner Freetown au soir du 25 septembre 1940. Les pertes matérielles et humaines furent lourdes : le bilan officiel, rapporté par le journal Paris Dakar, dans sa livraison du 26 septembre 1940, s’élevait à 175 morts et 350 blessés, alors que les sources officieuses faisaient cas de centaines de morts.

Qu’est-ce qui avait motivé ces bombardements de Dakar ? Il nous suffira, pour voir clair sur cette question, d’examiner les tracts parsemés dans la ville, ce lundi 23 septembre 1940. Dans l’un des tracts largués à partir des avions britanniques, il était écrit : « Nous venons défendre Dakar avec vous ! Nous venons ravitailler Dakar ! »

Un autre tract contenait le message suivant : « Dakar est menacé par l’ennemi et par la famine. Il faut garder Dakar à la France ! Il faut ravitailler Dakar. C’est pour cela qu’arrivent les forces françaises sous mes ordres. De puissantes forces alliées sont prêtes à les soutenir. Je prie les autorités civiles et militaires de se mettre en rapport avec moi. Je demande à tous les éléments des forces de terre, de mer et de l’air de rester chacun à sa place et de prendre liaison avec les troupes françaises qui viennent les renforcer. J’invite la population à manifester dans le calme son patriotisme et à faire fête à mes soldats.
Vive Dakar française ! Vive l’Afrique française ! Vive la France.
 »
Général De Gaulle
Puis, dans un autre message adressé à la population le 23 septembre à 15 heures, c’est-à-dire deux heures après le déclenchement des hostilités, De Gaulle dit :

« Nous vous apportons la liberté en même temps que des vivres, des armes pour vous défendre. Nous venons en vous en frères, les bras ouverts et les quelques hommes qui veulent nous imposer leur propre honte, osent nous accueillir en ennemis. Français de Dakar, ne vous laissez pas mener par ces mauvais bergers. Vous savez où se trouvent les ennemis de la France : à Paris, à Bordeaux, à Brest, à Lille et à Strasbourg, et leurs complices attendent leur heure pour envahir la Corse, la Tunisie. Allez-vous les laisser, ensuite, venir à Dakar ? Français, il est temps encore, n’hésitez pas une minute de plus, nous pouvons vous délivrer de ces chefs indigènes qui vous mènent directement à la ruine et au déshonneur, il ne tient qu’à vous de prendre le chemin de l’honneur et de la victoire. Haut les cœurs ! Et ralliez-vous aux forces du Général De Gaulle. »

A la lecture de ces messages, on se rend compte que l’un des motifs évoqués par De Gaulle était d’assurer le ravitaillement de la ville. Etait-ce un motif valable ? Bien sûr que non. De Gaulle savait que la situation alimentaire déplorable constituait une corde sensible sur laquelle on pouvait agir pour obtenir le ralliement de Dakar à sa cause. En fait, les troupes anglo-gaullistes comptaient sur la pénurie pour obtenir la révolte des populations, surtout européennes, contre le pouvoir vichyste local. Toutefois, l’absence de denrées à bord des navires nous amène à chercher ailleurs les raisons de cette intervention. En réalité, De Gaulle voulut prendre Dakar pour plusieurs raisons.

D’une part, il y avait la position géostratégique tant convoitée par les Anglais pour déplacer le théâtre des opérations anglo-allemandes en Aof, tandis que De Gaulle y voyait le moyen de se donner une assise politique et territoriale.
D’autre part, les Anglo-Gaullistes comptaient récupérer une partie des réserves d’or de la Banque de France et des banques nationales belge et polonaise - soit 1000 T plus 60 à 70 millions de francs or évacués au Soudan (Kayes) par train spécial, pendant l’offensive du Reich.

C’est compte tenu de tous ces facteurs que De Gaulle et les Anglais attaquèrent Dakar. Le ravitaillement évoqué n’était qu’un prétexte, une arme utilisée pour gagner le ralliement des populations de plus en plus éprouvées par une pénurie qui s’accentua davantage, suite au blocus anglais après l’échec anglo-gaulliste.

La principale conséquence de l’échec des Anglo-Gaullistes à Dakar fut le renforcement du blocus et la généralisation des mesures de rationnement, tandis que sur le plan politique, le régime de Vichy se durcit avec la suppression de tous les libertés acquises sous le Front populaire. En fait, alors que le blocus s’exerçait sur Dakar, les réserves constituées par les commerçants s’épuisèrent et les possibilités de réapprovisionnement, résultant des relations autrefois fréquentes avec la métropole, devinrent quasi inexistantes. D’ailleurs, les arraisonnements et les captures de navires se multiplièrent. Ainsi, le 10 février 1941, le navire Eridan, au large de Dakar, fut capturé par les Anglais avec un chargement de 750 T, alors que, le 20 août 1941, ce fut le tour du Désirade, avec un chargement de 987 T. Le blocus prit une ampleur telle que le rapport du Bureau économique de 1941 précisait que « ces captures successives engagent à ne guère compter sur un nouvel approvisionnement en riz d’Indochine ou de Madagascar tant que durera la situation internationale actuelle ».

Aux niveaux politique et syndical, tous les acquis démocratiques sont mis entre parenthèses : dissolution des partis politiques, des syndicats, des conseils municipaux, arrestation de Juifs et des partisans de Cheikh Hamalla, d’opposants (Alfred Goux, maire de Dakar, le Président de la Chambre de Commerce de Dakar, etc.).

Ceux qui sont soupçonnés de Résistance sont arrêtés et incarcérés, s’ils ne sont pas exécutés. Parmi les résistants fusillés à Dakar, on peut citer : Ngagne Diba, Idohou Albert, Wabi, Derwole Aloysinos, etc. La reprise des activités politiques ne fut effective qu’en 1943, suite au ralliement de l’Aof aux Forces alliées et l’arrivée massive de militaires américains à Dakar qui améliorèrent la situation alimentaire sans pour autant endiguer la pénurie qui, d’ailleurs, se poursuivra bien au-delà du second conflit mondial.

Dr Mor NDAO Enseignant - Chercheur Flsh - Ucad


voir aussi : DAKAR SEPTEMBRE 1940

lire aussi sur www.walf.sn (21 septembre 2009) : Bombardement de Dakar en septembre 1940 : Un témoin raconte les péripéties de cette « petite guerre », par Mamadou SARR




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