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Art et Développment en Afrique (Libre Opinion)

  Enregistrer au format PDF  envoyer l'article par mail title=    Date de publication : jeudi 27 août 2009
Dans le texte qu’Ouestanfews vous propose ci-dessous, l’artiste togolais Laka, nous propose une réflexion sur l’Art et le développement en Afrique. De son vrai nom Ankude Kossi K. Léopold, l’artiste togolais, est déjà l’auteur d’une dizaine d’expositions aussi bien dans son pays qu’à l’étranger. Spécialiste de la peinture et de l’assemblage... il affirme s’inspirer de l’Homme pour réaliser ses oeuvres .
Ouestafnews publie ce texte avec la permission de l’auteur et avec la collaboration de l’Espace Ombres et Lumières (réseau spécialisé sur les questions d’art) qui nous a fait parvenir le texte.

source : www.ouestaf.com - 11 Août 2009

Pour argumenter sur la question de l’art et du développement, je pense que le point essentiel est d’abord de définir ce que nous entendons par "développement" et ensuite de voir comment les arts visuels, puisqu’on circonscrit le débat à eux, pourraient s’insérer dans une dynamique de développement.

Ce mot de "développement" a été tant et tant de fois rabâché qu’à la limite, il sonne creux ! D’autant plus que les populations laborieuses ne savent pas vraiment à quoi, cette entité insaisissable et évanescente, participe de leur mieux vivre. En réalité, il n’y a, à notre sens et succinctement, de développement qu’au moment où l’on définit précisément les besoins réels d’une société spécifique, et les moyens qualifiés pour les résoudre. Or, malheureusement, il n’y a dans nos sociétés, et c’est facile de le constater, aucun plan, aucune définition du développement. C’est le familier pilotage à vue, parfois sans vision d’aucune sorte tellement nous tournons en rond, dans d’infinies redondances aussi néfastes que nuisibles pour nos peuples. Alors, comment dans ce tenu brouillard de notre incompétence à penser pour nous, on peut caser l’art et réfléchir à la manière dont il peut contribuer à une notion aussi factice que purement théorique.

Il n’y a pas de développement, c’est pourquoi l’art se trouve aussi ballotté dans cette mer d’incompréhension et de flou de pouvoir définir notre futur ! C’est à se tordre de rire quand on entend parler de FESPACO et autres SIAO  ! L’art serait-il en excellente santé au Burkina, au point de participer à son développement ? Permettez-moi d’en douter fortement. Ou sommes-nous tous réduits en Afrique, à faire des MASA pour que les flots de touristes (pas tous) douteux, pédophiles, amateurs de chair nègre, viennent déverser ses mÅ“urs putrides, nous gratifiant de maigres petits subsides ? C’est cela le développement dont nous rêvons pour nous ? L’exemple de l’échec cuisant thaïlandais sur ce plan est patent ! Soyons sérieux et revenons aux fondamentaux de la construction des sociétés et des civilisations. Je ne pense pas que Kankan MOUSSA ou Sony ALI pensaient le développement de leur fameux Royaumes en se fondant sur le "tourisme", et cela fait des siècles qu’ils ont existé, alors ne régressons pas !

Nous nous défendons de faire un art pour touriste, ou pour toutes ces foires artistiques qui font florilèges ! Il faut revendiquer pour soi un savoir faire et un discours universaliste, qui ne vouent pas non plus aux gémonies, nos racines culturelles, celles qui nous relient à l’humanité. Mais si nous arrivons à cela, et que ceux qui doivent fonder la cité n’ont rien pensé pour la façonner, alors comment pourrions nous nous insérer dans le développement ?

Maintenant, la réalité est ce qu’elle nous montre. Comment l’art pourrait-il aider à l’amélioration de ce constat d’échecs. Notre réflexion arrive ici à un point de rupture. Puisque nous affirmons l’inexistence d’un développement réel, il nous faut donc reformuler notre interrogation pour nous demander alors comment l’Art pourrait, dans un premier temps, participer aux processus conduisant au développement.

La pratique artistique, au-delà du savoir faire nécessaire, et d’une ouverture sur une possible dimension transcendantale, est éminemment intellectuelle, dans le sens où elle implique des façons de penser, une base de réflexions et d’attitudes propres et la défense d’une idéologie définie ! Elle peut alors aider grandement au changement de mentalité ou acquisition de la bonne attitude mentale, transmutée, logique, tendue vers des objectifs clairs et pour l’épanouissement de tous.

C’est ce rôle que l’on peut définir comme étant un engagement, envers le corpus social, pour l’éveiller et lui permettre d’atteindre toute la plénitude de sa réalisation ! On peut trouver des exemples d’engagements artistiques nombreux, mais qui ne s’arrêtent malheureusement qu’au niveau de l’éducation primaire des masses sans vraiment pénétrer profondément les mÅ“urs, et provoquer de salutaires bouleversements radicaux.

Il faut donc être, pour les artistes, plus rigoureux et moins dispersés, et conscients du rôle qui leur incombe et dont ils ne devront se dispenser, celui d’apporter chacun leur pierre au rêve et à la concrétisation du développement.

Lorsque ce travail aura été réalisé, il serait en effet intéressant de savoir la place de l’artiste dans la société et le rôle qu’il pourrait jouer dans son épanouissement raisonné. Il n’est pas très heureux de ne cantonner le développement que dans sa dimension économique, mais c’est en cela que le poids de la création artistique peut être valablement quantifié. Et là, nous revenons aux fondamentaux économiques que sont la création du besoin et la définition d’un marché grâce à une offre de qualité et à la pérennité de la demande. Ensuite il faudra voir s’il y a des retombées significatives, en termes de pourcentage par rapport au PIB par exemple. C’est peut-être choquant pour certains, mais la dimension du produit artistique doit aussi exister ! Jusqu’à présent, ce n’est que le petit quincaillier vendeur de couleurs ou de colle, ou le petit menuisier fabricant de châssis tordus qui semblent sporadiquement bénéficier d’une certaine activité des ateliers artistiques. C’est très peu pour participer à un développement, même s’il existait. L’Etat keynésien aurait pu aussi provoquer une sorte de demande artificieuse (un artifice économique) pour booster la création et favoriser des emplois indirects, mais il se contente de monuments plus laids les uns que les autres, et qui ne servent qu’à nourrir un prétendu « maître » pendant quelques années, avant que celui-ci n’aille encore quémander quelques subsides pour orner le petit carrefour du coin d’une redoutable « Å“uvre d’art ».

Même si nous sommes encore loin de l’art qui participe au développement, il n’empêche qu’il est urgent de poser des bases sérieuses pour prendre en compte toutes les forces qui fondent durablement une société.

Négliger un pan considérable de ce qui a fondé la légende et la richesse de nombreuses civilisations et assis leur réputation, je veux dire l’Art, c’est commettre un immonde crime contre la conscience de l’Homme, c’est nier son devenir et cracher sur son passé.

Aujourd’hui, c’est avec un sourire ironique et de la pitié qu’on vous regarde quand vous dites que vous êtes artiste. Vraiment à quoi, vous demande-t-on, peut servir une toile à un africain alors qu’il a faim ? Et j’ai alors envie de demander à mon tour, à quoi sert une « Hummer » à un africain alors qu’il a faim ? Le développement sans l’Art, nous dirons même plus, sans la Culture, est une gageure, mais pour le moment, c’est le cadet de tous les soucis. Et si nous ne faisons rien pour que cela change, nous devenons complices d’une grave méprise. Alors participons déjà au débat, si modeste soit-il et restons confiants !

Laka
artiste plasticien togolais

illustration : "Gardons la porte de l’Orient", par Laka




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