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SÉNÉGAL : Enfants handicapés – quand stigmatisation rime avec abandon

  Enregistrer au format PDF  envoyer l'article par mail title=    Date de publication : mardi 17 août 2010
DAKAR, 13 août 2010 (IRIN) - Au Sénégal, de nombreuses femmes refusent d’emmener avec elles dans les transports en commun les enfants handicapés mentaux ; les familles cachent les enfants atteints de troubles mentaux ou neurologiques, et certains parents les renient purement et simplement. Autant de comportements qui reflètent la stigmatisation virulente dont font l’objet les parents d’enfants atteints de ces maladies généralement méconnues.

« Au Sénégal, on utilise la notion d’anormalité, quel que soit le handicap, mental ou physique », a dit Ngor Ndour, psychologue spécialiste des troubles mentaux chez l’enfant.

« Mais s’il est plus facile d’expliquer pourquoi, scientifiquement, un enfant est sourd, c’est plus difficile d’expliquer un handicap mental car il y a tout de suite des connotations mystiques. On dit de l’enfant qu’il est anormal, une moitié d’homme, un petit animal », selon M. Ndour, ancien directeur de la seule école publique pour enfants atteints de troubles mentaux et neurologiques au Sénégal.

De par le monde, d’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les personnes atteintes de troubles mentaux et d’affections neurologiques telles que l’épilepsie sont victimes de discrimination et de violations de droits.

Selon les dernières statistiques publiées par l’OMS sur la charge de morbidité mondiale, en 2004, en Afrique, 13,4 millions de personnes souffraient de troubles dépressifs unipolaires, 7,7 millions d’épilepsie, 2,7 millions de troubles affectifs bipolaires et 2,1 millions de schizophrénie.

Selon M. Ndour, dans bien des cas, les mères pensent être responsables des troubles mentaux dont souffrent leurs enfants, et les pères les abandonnent souvent. C’est le cas de Mariama Bodian, mère de Seynabou, une fillette de huit ans, simplement qualifiée de « psychotique » par sa mère.

« [Son père] nous a abandonnées dès qu’il a su que le bébé était handicapé : elle avait quatre mois », a dit Mme Bodian à IRIN. « Il n’a plus donné de nouvelles [depuis lors] ».

« Le père n’a pas pu assumer le handicap de sa fille. Il ne nous aide pas financièrement, il ne communique plus avec nous », a dit Mme Bodian, dans la petite chambre qu’elle loue à Dakar, la capitale, et où elle vit en compagnie de Seynabou.

Astou Ndong élève également ses deux fils seule, car son mari l’a quittée à la naissance d’Abdoulaye, épileptique, aujourd’hui âgé de 11 ans. «  [Son père] avait honte d’Abdoulaye et m’a dit de l’emmener au village pour le cacher », a-t-elle dit à IRIN.

« Mais j’ai refusé. J’aime mon enfant, je veux l’aider, et je savais que pour l’école et les soins de santé, il serait mieux ici, en ville », a expliqué Mme Ndong. En raison de son refus, son époux ne lui envoie pas d’argent ; Mme Ndong gagne modestement sa vie en travaillant comme commerçante.

Une malédiction, un châtiment

La honte liée aux troubles mentaux et neurologiques est une force puissante, selon Ibrahim Gueye, coiffeur à Dakar et père d’un enfant souffrant de troubles graves de l’apprentissage.

« Au sein de la société sénégalaise, il est assez difficile d’avoir un enfant atteint d’un trouble mental. La croyance actuelle veut qu’il s’agisse d’une malédiction ; il est difficile pour la famille et les amis d’accepter ce type d’enfants ».

Autre croyance courante : la mère a été infidèle à son mari, et l’enfant atteint de ces troubles est un châtiment divin, a expliqué Dominique Ndeki, directeur du Centre d’éducation et de formation pour déficients intellectuels ( CEFDI ), la seule école publique du Sénégal qui prend en charge ces enfants.

M. Ndeki a rapporté qu’un jour, une famille lui avait amené un garçon de six ans, qu’elle souhaitait inscrire au CEFDI. « Ils m’ont dit que c’était la première fois qu’il sortait de la maison ; ils le cachaient ».

Il est courant que les familles cachent leurs enfants atteints de handicaps mentaux ; un moindre mal, peut-être, comparé aux pratiques observées jadis. M. Ndeki se souvient en effet d’avoir entendu dire, lorsqu’il était enfant, que des enfants atteints de handicaps mentaux avaient été délibérément noyés.

Une question de moyens

Seynabou et Abdoulaye fréquentent toutes deux le CEFDI, et bien que la ville offre davantage de possibilités éducatives et sanitaires que les zones rurales, les structures restent inadaptées.

Le ministère de l’Education ne dispose pas de statistiques nationales sur le nombre d’enfants souffrant de handicap mental, mais selon M. Ndeki, en 2009, le CEFDI a dû refuser d’accueillir 54 des 81 enfants originaires des quatre coins du pays qui avaient présenté leur candidature car le centre n’était pas en mesure de prendre en charge davantage de nouveaux élèves. Lorsque la période de dépôt des candidatures a débuté pour l’année scolaire 2010-11, 20 familles se sont présentées pour inscrire leurs enfants en à peine deux jours.

Le Sénégal compte cinq instituts privés spécialisés dans la prise en charge d’enfants atteints de handicap mental – quatre à Dakar et un à Saint-Louis, une ville du nord du pays - mais de nombreuses familles n’ont pas les moyens d’y inscrire leur progéniture.

Au CEFDI , qui prend en charge les enfants souffrant du syndrome de Down, et d’une variété d’autres troubles, deux spécialistes et trois autres professeurs, qui n’ont pas été formés à enseigner à des enfants souffrant de troubles mentaux ou neurologiques, sont chargés de s’occuper de 109 élèves, âgés de quatre à 20 ans, a dit M. Ndeki.

Saliou Sène, directeur d’une école primaire, a expliqué qu’il était prévu de former les enseignants à prendre en charge et à instruire les enfants handicapés mentaux ; selon le ministère de l’Education, pourtant, le Sénégal ne dispose actuellement d’aucune structure permettant de dispenser ce type de formations.

Pour Claude Sarr, directeur du Centre Aminata Mbaye pour les jeunes handicapés mentaux, un centre privé, les meilleures structures et les meilleures formations dépendent d’une acceptation plus générale de la part des familles dont les enfants souffrent de ces troubles.

« La prise de conscience est difficile. Mais petit à petit, cela avance », a-t-il dit. «  Il faudra d’abord un mouvement des parents [de ces enfants] pour sensibiliser les pouvoirs publics ».

Photo : Aurélie Fontaine/IRIN
Les jeunes du Centre Aminata Mbaye, une des cinq écoles privées spécialisées dans la prise en charge des personnes handicapées mentales au Sénégal




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