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Le tango triste des Africains de Buenos Aires

  Enregistrer au format PDF  envoyer l'article par mail title=    Date de publication : mercredi 8 décembre 2010
Depuis une dizaine d’années, de plus en plus d’Africains traversent l’Atlantique pour tenter leur chance en Argentine. L’histoire de ce pays est intimement liée à celle de son immigration. Mais les racines de la grande majorité des Argentins proviennent plutôt d’Europe. Solidaires mais isolés de la population argentine, les Africains de Buenos Aires vivent dans la précarité et dans l’espoir d’obtenir le statut de réfugié.

source : www.rfi.fr - 06 décembre 2010

En Argentine, la plupart des Africains se trouvent à Buenos Aires mais certains sont également établis dans le nord du pays. Issus en grande majorité d’Afrique de l’Ouest, ils seraient 3000 d’après la direction nationale des migrations, 10 000 selon certaines associations. Il est difficile d’être plus précis car il s’agit surtout d’immigration irrégulière.

Dans les cas les plus alarmants, ils fuient la guerre ou les persécutions et arrivent en Argentine sans même le savoir. C’est ce qu’a vécu Yata Garnett. Elle est arrivée il y a deux mois du Liberia. Cachée dans les cales d’un cargo, elle a accosté au port de Buenos Aires après deux longues semaines de traversée.

Se reconstruire une vie en Amérique du sud

« J’ai demandé l’asile aux Nations unies quand je suis arrivée ici. Je me plais bien ici mais pour l’instant je ne parle pas espagnol, raconte-t-elle. Donc je ne sais pas où et comment trouver du travail. Et je ne suis jamais allée à l’école parce que je n’ai connu que la guerre. Mon enfance a été terrible ».

Quelques Nigérians et Sierra-Léonais, souvent très jeunes, essaient aussi de se reconstruire une vie en Amérique du sud. Mais ces cas sont minimes. L’écrasante majorité des Africains d’Argentine viennent du Sénégal.

Après de multiples tentatives pour rallier l’Europe, Daouda est arrivé il y a six mois à Buenos Aires. Les quelques bijoux qu’il vend dans la rue ne lui rapportent pas grand-chose. Il peut en revanche compter sur la solidarité de ses compatriotes.

L’Argentine n’expulse pas les étrangers en situation irrégulière

« Nous on est solidaires. Tu vas dans ce pays, tu trouves les Sénégalais, il savent que tu n’as rien, confie-t-il. Demain, ils t’achètent la valise et la marchandise. Il y en a qui te disent " travaille, et tu me donneras ce que tu me dois ". D’autres, ils te donnent la valise et te disent que tu ne leur dois rien ».

En dehors de la vente ambulante, les Africains sans papiers n’ont pas vraiment d’autre perspective. L’Argentine, par tradition, n’expulse pas les étrangers en situation irrégulière. Mais sans documents de séjour, impossible de décrocher un emploi formel. Or après être entré clandestinement en Argentine, le seul moyen d’être régularisé est d’obtenir le statut de réfugié.

Le siège sud-américain du Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR) se trouve à Buenos Aires. En 2009, les demandes d’asile émises par des Africains ont fait un bond de 142%. Ils représentent désormais le tiers des demandeurs d’asile.

Le temps que la commission nationale des réfugiés se prononce, les demandeurs d’asile se voient remettre un titre de séjour renouvelable tous les trois mois. Une simple feuille de papier sans photo au nom éloquent, la precaria.

Bien qu’elle accorde un certain nombre de droits, comme l’éducation, la santé ou le travail, cette carte de demandeur d’asile, faute de notoriété, ne leur est d’aucune utilité. Par ailleurs, après plusieurs années au cours desquelles elle octroyait généreusement le statut de réfugié, la direction nationale des migrations est aujourd’hui beaucoup plus parcimonieuse. Pour les Sénégalais, le processus se termine systématiquement par un refus.

Chaque année, l’Argentine délivre 140 000 titres de séjour

Précaires, les Africains d’Argentine sont aussi isolés du reste de la société. La barrière de la langue et le décalage culturel n’aident pas. Mais au-delà, ils sont victimes de racisme. « Ce qu’on peut dire à propos des demandeurs d’asile africains, c’est que la discrimination est quotidienne, indique Marcos Filardi, chargé du cas des réfugiés auprès du Défenseur du peuple, l’équivalent du médiateur de la République en France. Tous ceux qui sont passés dans mon bureau m’ont dit qu’au moins une fois, on leur avait dit dans la rue, " Rentre dans ton pays, sale noir ". Ou alors ils sont assis dans un bus plein à craquer, la seule place qui est libre est à côté de la leur et pourtant personne ne s’y assoit. Ca va de la simple ignorance de l’Autre à de la discrimination concrète ».

En 2009, 36% des plaintes traitées par l’Institut national de lutte contre les discriminations concernaient des affaires de racisme.

Pour la société civile, cette situation n’est pas acceptable. De nombreuses associations et ONG appellent à la régularisation de tous les Africains. Un premier pas vers une intégration dans la société argentine.

Le gouvernement argentin assure que les quelques milliers d’Africains sur son territoire ne sont pas un problème. Chaque année, l’Argentine délivre 140 000 titres de séjour. En revanche, les autorités craignent qu’une régularisation massive ne favorise un trafic tirant profit des bonnes relations du Brésil avec les pays africains. C’est avec un visa pour le Brésil que la plupart des Africains d’Argentine rejoignent l’Amérique du sud.

Grégory Plesse


lire aussi sur www.seneweb.com (20 janvier 2011) :Des Sénégalais chez les "gauchos" argentins, par Grégory Plesse





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