L’Afrique a fait sa déclaration des droits de l’homme en 1236Une loi fondamentale qui a servi d’assise à l’empire créé par Soundjata, l’empire du Mali.’ Chacun a le droit à la vie et à la préservation de son intégrité physique. ’ C’est l’un des articles de la charte de Kurukan Fuga, la charte africaine des droits de l’homme. Entretien avec l’historien Djibril Tamsir Niane qui vient de l’éditer.
07-08-2008 - Propos recueillis par Chérif Elvalide Sèye - www.lesafriques.com Les Afriques : Qu’est-ce que la charte de Kurukan Fuga ? Djibril Tamsir Niane : La charte de Kurukan Fuga est un ensemble de « décisions » et de « recommandations » prises par l’assemblée des alliées que Soundjata a convoquée au lendemain de la victoire de Kirina qui lui donna le dessus sur Soumaoro Kanté. C’était en 1236. Ces décisions et recommandations de fait constituent une loi fondamentale qui a servi d’assise à l’empire créé par Soundjata, l’empire du Mali. « N’offensez jamais les femmes, nos mères. »LA : Que représente-t-elle pour l’Afrique ? DTN : La charte du Mandé dédouane l’Afrique considérée jusque-là comme continent de régression, de violence et d’immobilisme. Il faut s’affranchir des clichés et autres préjugés. La charte du Mandé enseigne la tolérance, la fraternité entre clans et ethnies. La cohésion entre les membres de la société semble avoir été le plus grand souci des hommes et femmes réunis à Kurukan Fuga. Mettre en place un mécanisme de règlement de conflits a été donc la grande affaire : ainsi la parenté à plaisanterie [1] a été institutionnalisée, ainsi que son corollaire, les correspondances entre patronymes, les alliances entre clans. Sa vertu essentielle, c’est de créer un climat de franche convivialité entre les protagonistes en précisant les droits et devoirs qu’ils ont les uns envers les autres pour vivre en paix tout en renforçant la solidarité. La parenté à plaisanterie est fondée sur un pacte signé par les ancêtres et qui a un caractère sacro-saint. Le droit d’aînesse, un des solides piliers de l’édifice social, est expressément prôné par la charte. Ce sont là des valeurs qui ne sauraient être frappées de caducité. « L’Afrique a fait sa déclaration des droits de l’homme en 1236 » LA : Peut-on dire que dans l’histoire de la pensée humaine, elle est d’une importance comparable à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de la Révolution française ? DTN : Il est dit dans la charte du Mandé : « Chacun a le droit à la vie et à la préservation de son intégrité physique… » Peut-on mieux dire pour garantir la sécurité de l’individu. Cela, la charte l’a exprimé avant la Déclaration des droits de l’homme de 1789, et même avant la Magna Carta des Britanniques de 1297 ; le habeas corpus est le fondement historique des libertés civiles anglaises qui dispose : « Aucun homme libre ne sera pris et emprisonné, ni dépossédé, ni exilé, ni ruiné, de quelque manière que ce soit, ni mis à mort ou exécuté, sauf à la suite d’un jugement loyal des ses pairs et par les lois du pays ». Cette idée capitale qui fonde les droits de l’homme a été exprimée en 1236 à Kurukan au cœur du continent africain. « Les femmes, en plus de leurs occupations quotidiennes, doivent être associées à tous nos gouvernements. »La charte commande encore les relations entre groupes. Tous les peuples s’en sont appropriés. Les relations de cousinage entre Peuls et Sérères, entre Mandingues et Peuls et les correspondances de noms patronymiques tels que Diarra (chez les Mandingues), Ndiaye (chez les Ouolofs ou chez les Sérères) et Diatta (chez les Diolas) ; l’équivalence entre Traoré (chez les Mandingues) et Diop (chez les Ouolofs), entre Gueye (Ouolofs) et Sissoko, Fakoli (Mandingues) ; toutes ces équivalences ou correspondances remontent au temps de l’empire du Mali. LA : Comment a-t-elle été découverte ? DTN : Les chercheurs, depuis la parution de l’épopée mandingue en 1960, en connaissaient l’existence ; connaissaient quelques articles, mais on ne disposait pas du texte intégral. Il fallut attendre 1998. Comme cela arrive bien souvent, on l’a découverte alors qu’on ne la cherchait pas ! Des traditionnistes mandingues du Burkina-Faso, de Guinée, du Mali et du Sénégal avaient été regroupés par le CELHTO et Intermédia Consultants, à la diligence de la Francophonie. L’objet du séminaire qui a réuni communicateurs modernes et Djéli était de favoriser une meilleure collaboration pour la sauvegarde du patrimoine oral africain. LA : Quelles sont les garanties de son authenticité ? DTN : Les griots qui se sont produits à Kurukan Fuga appartiennent à des « écoles », à des familles de traditionnistes possédant des corpus. Donc, il s’agit des tenants de la tradition orale, assermentés. Les déclamations sont intervenues impromptues, sans préparation, dans le cadre simple d’une soirée. Il s’agissait pour chacun de dire ce qu’il sait. Si tous savaient qu’il y avait en tout 44 articles, aucun d’eux ne possédait les 44 énoncés. Quand ils se sont retrouvés entre eux, ils n’eurent pas de peine pour les aligner les uns les autres. « Ne faites jamais du tort aux étrangers. »Chacun dit : « Je dis ce que mon maître m’a enseigné ». On sait que la croyance est forte qui dit qu’un Djéli qui trahit la parole transmise sera frappé par le sort. « La parole altérée le mange ». On n’encourt par un tel risque quand on officie au milieu de ses pairs en assemblée de griots ! Chacun est fier de la chaîne de transmission dont il est l’aboutissement. lire aussi sur www.ferloo.com (9 novembre 2008) : Dialogue interculturel sur les droits de l’homme : La Charte du Mandé, précurseur des Droits de l’homme de l’ère moderne , par Pr. Hamidou DIA Notes :
[1] Parenté à plaisanterie : pratique sociale qui autorise, et parfois même oblige, des membres d’une même famille, ou des membres de certaines ethnies entre elles, à se moquer ou s’insulter, et ce sans conséquences ; ces affrontements verbaux étant en réalité des moyens de décrispation sociale. |
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