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Quel équilibre entre les cultures vivrières et celles destinées aux carburants ?

  Enregistrer au format PDF  envoyer l'article par mail title=    Date de publication : samedi 9 octobre 2010
DAKAR, 7 oct 2010 (IPS) - Les chercheurs et les agriculteurs sont encore divisés sur les avantages de la production de cultures pour les biocarburants dans un contexte où l’Afrique est aux prises avec la sécurité alimentaire. Pendant ce temps, le Sénégal ne cesse de travailler pour équilibrer la demande croissante en nourriture et en biocarburants.

Le Sénégal, qui utilise plus de 500 millions de litres de diesel par an, développe un programme ambitieux de biodiesel pour la suffisance en énergie et en nourriture d’ici à 2012. Et lorsque la recherche réalisée par l’’Imperial College’ de Londres a montré que la bioénergie est non seulement compatible avec la production alimentaire, mais qu’elle peut également profiter fortement à l’agriculture en Afrique, tout le monde n’est pas d’accord avec cela.

Depuis des années, le Sénégal travaille avec des investisseurs en biocarburants, des agriculteurs, des chercheurs et le secteur privé pour la promotion du Jathropha Curcus . Le Jathropha Curcus est une plante oléagineuse, couramment utilisée pour faire la clôture autour des maisons afin d’empêcher le bétail d’entrer. Il a aussi des vertus curatives.

Le directeur général de l’Institut de recherche agricole du Sénégal, Dr Macoumba Diouf, a déclaré à IPS que l’énergie à moindre coût était essentielle pour la modernisation de l’agriculture du Sénégal et la relance de la production alimentaire. Le pays a déjà élaboré un plan de bioénergie sur cinq ans jusqu’à 2012.

Selon ce plan, le Sénégal vise à planter au cours des deux prochaines années un milliard de plantes de Jatropha Curcus qu’on a fait pousser en utilisant l’in vitro, la pépinière et les boutures. Actuellement, le pays est en train de propager le matériel pour compléter les plantes existantes qui poussent à l’état sauvage et environ un quart devrait être planté d’ici à la fin de l’année. Le pays cultivera 321.000 hectares de terre pour le Jatropha Curcus avec 1.000 plantes à cultiver par hectare dans 321 districts.

"Nous envisageons qu’à partir de plus de 300.000 hectares de Jatropha sur cinq ans, nous pourrons produire trois millions de tonnes d’huile en vue de nous offrir un milliard de litres de biodiesel qui rendra l’énergie suffisante pour nous pendant longtemps", a déclaré Diouf dont l’institut coordonne le programme.

Le programme est estimé à plus de 140 millions de dollars et créera 100.000 emplois directs, tout en augmentant les revenus agricoles des agriculteurs.

Pourtant, le Sénégal ne trouvera pas facilement d’alliés dans la poursuite du rêve de la bioénergie contre les revendications selon lesquelles les projets de bioénergie ont alimenté les accaparements de terre et ont obligé les agriculteurs marginalisés à quitter leurs terres ancestrales.

C’est malgré les conclusions de l’étude de juin réalisée par l’’Imperial College’ de Londres, qui a revu les recherches existantes et les études de cas sur la production et la politique des biocarburants dans six pays, qu’il y a assez de terre disponible pour augmenter beaucoup la production des cultures telles que la canne à sucre, le sorgho et le jatropha pour des biocarburants, sans diminuer la production alimentaire.

L’auteur principal du rapport, Dr Rocio Diaz-Chavez, a noté que la bioénergie était cruciale pour libérer le potentiel de l’Afrique mais que des politiques étaient nécessaires pour aborder les conflits éventuels entre les cultures vivrières et celles destinées au carburant.

"Si elle est abordée avec des politiques et des processus appropriés et avec l’inclusion de toutes les différentes parties prenantes, la bioénergie est non seulement compatible avec la production alimentaire mais elle peut beaucoup profiter à l’agriculture en Afrique", a déclaré Diaz-Chavez dans le rapport d’étude ’Mapping Food and Bioenergy in Africa’ (Mappage des produits alimentaires et de la bioénergie en Afrique). "La production de la bioénergie peut apporter des investissements à la terre, aux infrastructures et aux ressources humaines qui pourraient aider à libérer le potentiel latent de l’Afrique et accroître positivement la production alimentaire".

Mais des agriculteurs comme Phillip Kariri, le président de l’Association des agriculteurs d’Afrique orientale, n’est pas d’accord avec les conclusions de l’étude de l’’Imperial College’.

"L’impression que l’Afrique possède de la terre en excès n’est pas juste", a déclaré Kariri à IPS. "Je ne pense pas qu’il soit possible d’arriver à une situation où les cultures vivrières et celles destinées au carburant puissent être produites simultanément dans de nombreuses régions de l’Afrique. Les acteurs de l’industrie des biocarburants ne visent pas la sécurité alimentaire locale et sont enclins à priver les systèmes de sécurité alimentaire d’intrants et même du travail, au profit des biocarburants, entraînant la non production de la nourriture par les gens".

Lydia Sasu, une agricultrice originaire du Ghana a déclaré que la plupart de ses collègues ont été déçus de n’avoir pas reçu de fonds après le nettoyage de leurs terres pour des projets de biocarburants.

Même le Forum pour la recherche agricole en Afrique ( FARA ) et l’Alliance pour la révolution verte en Afrique ( AGRA ), deux principales institutions africaines faisant la promotion du développement agricole en Afrique, sont prudents quant à donner la priorité aux cultures destinées aux bio carburants par rapport à celles vivrières. Les deux institutions reconnaissent que la recherche est un outil vital de développement, particulièrement dans l’agriculture, pour assurer que les gouvernements prennent les décisions en connaissance de cause concernant les politiques sur les biocarburants.

"L’Afrique a beaucoup d’innovations mais celles-ci sont demeurées abandonnées", a déclaré à IPS Monty Jones de FARA basé au Ghana.

Le président de l’AGRA, Namanga Ngongi, a déclaré à IPS que l’Afrique a été en situation de déficit alimentaire et que la priorité doit être accordée aux cultures vivrières par rapport à celles destinées aux carburants. "Si nous étions en situation d’excédent alimentaire et si nous avons des cultures appropriées pouvant être utilisées pour des biocarburants, la question serait probablement différente", a déclaré Ngongi.

Dans un document publié le 23 juillet 2010 par ’Green Business’, Bryce Wolfe a noté que l’un des inconvénients majeurs des biocarburants est la grande quantité de terre et d’eau utilisée pour répondre aux besoins énergétiques.

"La conversion des cultures en éthanol prend essentiellement la nourriture de nos bouches pour mettre du carburant dans nos voitures",

a déclaré Wolfe qui fait appel à des méthodes plus efficaces de production de biocarburants.

L’’Institute for Food and Development Policy’ (Institut pour la politique alimentaire et de développement), basé aux Etats-Unis, a déclaré que toutes les promesses positives des biocarburants ne sont pas vraies.

Les déclarations selon lesquelles les biocarburants étaient propres et respectueux de l’environnement, qu’ils n’entraîneront pas la déforestation, qu’ils apporteront le développement rural, qu’ils ne causeront pas la faim et qu’ils annonceront une seconde génération meilleure de carburants, étaient des mythes parce que le contraire était vrai.

Busani Bafana


lire l’article sur le site ipsinternational.org : Quel équilibre entre les cultures vivrières et celles destinées aux carburants ?

lire aussi sur www.walf.sn (11 janvier 2010) : « Production de biocarburants au Sénégal : La société civile invite à la vigilance, par Gabriel BARBIER

sur lecourrier.ch (23 Juillet 2010) : « On ne gueule pas assez au Sénégal ! », propos recueillis par MICHAËL RODRIGUEZ

et sur ipsinternational.org (7 décembre 2010) : Nourriture contre biocarburants : le débat se poursuit, par Mantoe Phakathi





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