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Quand le rôle de la grand-mère, savante des traditions orales, fait défaut aux petits-enfants dans un contexte de mondialisation !

  Enregistrer au format PDF  envoyer l'article par mail title=    Date de publication : dimanche 3 avril 2011
« Quand la mémoire va chercher du bois mort, elle ramène le fagot qui lui plaît. » Cette célèbre citation du grand conteur Birago DIOP est d’une vérité implacable. Quand la mémoire du jeune enfant africain voyage dans son enfance, les veillées crépusculaires et nocturnes autour de la grand-mère inondent très souvent son esprit. L’Afrique a une tradition séculaire que l’Occident s’accapare aujourd’hui par l’écriture.

source : Soninkara.com - mars 2011

L’Afrique, à travers ses traditions orales fécondes, transmettait un savoir incommensurable. Ainsi, les contes, les devinettes, les légendes, les maximes, les récits et les proverbes sont remplis d’enseignements. Amadou Hampâté Bâ, a éclairé la lanterne de toutes les générations en ces mots " Je suis un diplômé des traditions orales enseignées par les vieillards à l’ombre du baobab, le roi des arbres". Et Thierno Bocar Salif Tall, le sage de Bandiagra et le maître à penser de Amadou Hampâté Bâ de dire, avec raison au sujet des traditions orales, ceci : "Respectez-les. Elles constituent l’héritage spirituel de ceux qui nous ont procédés et qui n’avaient pas rompu avec Dieu. Les traditions peuvent se présenter sous forme de contes plus ou moins longs de différentes natures : contes pour enfants, contes didactiques ou initiatiques. Quels qu’ils soient, méditez-les, cherchez à dévoiler le secret qui est enveloppé en eux. Creusez-les profondément, comme le feraient les chercheurs d’or dans les mines de Bourré. Chaque conte, chaque devinette est comme une galerie dont l’ensemble forme une mine de renseignements que les anciens nous ont légués par région, race, famille, et souvent d’individu à individu. Mais il va de soi que pour travailler profitablement dans cette mine et y circuler à l’aise, il faut y voir clair, autrement dit posséder une clef ou un maître. ».

En ce sens, les contes, légendes et proverbes constituent une bouée de sauvetage pour tout enfant africain dans cette mondialisation galopante. Des enseignements ludiques et instructives qui accompagnent et protègent tout enfant soninké voire, tout Africain contre les sirènes de l’acculturation et de la perte des valeurs séculaires.

La grand-mère africaine était, de par son rôle inestimable dans la transmission des enseignements et sa sagesse irréductible, de loin l’une des meilleures personnes au monde pour un jeune enfant. Aussi loin que l’on remonte dans le temps, elle est le grand livre d’Afrique dans le lequel les enfants africains puisaient le savoir.

Chez les Soninkés, dès le crépuscule, c’est la ruée des enfants vers la case de la grand-mère. Petits-fils, marmots du voisinage, prenaient tous place sur la natte de " Maama " (Nom de la grand-mère en langue Soninké) pour voyager dans l’imaginaire. Un moment de grande évasion. Après quelques petites embrouilles pour avoir la bonne place, plus souvent les jambes de " Maama ", les enfants tombaient dans un silence inouï, les oreilles grandement ouvertes. La grand-mère, malgré le poids de l’âge et la fatigue, commençait son récit magistral tel un professeur agrégé d’une grande université occidentale par un " Xatin da way " (mot à dire avant le début de tout conte chez les Soninkés). Les enfants répondaient : « Xaayi gongo fulaane ». Pendant deux à trois tours d’horloge, la grand-mère les faisait voyager dans l’imaginaire en allant puiser les belles histoires d’Afrique et du monde dans sa mémoire.

Très souvent, les fables constituaient le cœur de son récit. " Kaawu turun ?e " (l’hyène) pour ses turpitudes " Kaawu kanjaane " (lièvre) par sa ruse, "Jerinte" (Lion) pour sa bravoure revenaient souvent dans les contes de la grand-mère. Dès fois, ce sont les épopées de braves hommes et femmes qu’elle narrait à son auditoire. Les enfants étaient subjugués à l’écoute des contes de grand-mère et férus d’en savoir plus. Il y avait un silence d’enterrement, seule la voix de la vieille dame tonnait dans la concession. La grand-mère aimait exposer également l’histoire des princesses, des rois et des princes charmants. Des moments d’enchantements et de rêves pour la jeunesse en quête de rêves et de repères sociologiques et sociaux. Pour toucher la sensibilité des jeunes, elle racontait de temps en temps des histoires des orphelins de mère et les méchantes marâtres. Des récits souvent tragiques. Elle s’adonnait souvent aux chants lyriques pour égayer et chatouiller les fibres des cœurs des enfants. La grand-mère d’Afrique était un sage, une mémoire collective du passé et une professeure d’histoire et d’anthropologie.

Les enfants retrouvaient très souvent les traits d’un tel ou tel cousin ou frère à travers ses récits. La morale de ses contes recoupait souvent avec les réalités que les populations vivaient. Les narrations de la grand-mère africaine sont des leçons de vie que tout enfant africain doit jalousement garder pour s’en servir dans sa vie future. Souvent, elle stimulait la curiosité et l’engouement à travers des proverbes et des charades très éducatifs comme les histoires de Bah Maadi Kaama Kanouté ( Sage et philosophe Soninké ). Pour motiver l’auditoire, des succulents mets servaient de récompense. Une grand-mère dans Soninkara est d’une importance capitale. Elle est l’amie, la confidente, la compagnonne de tout petit-fils. L’enfant africain était chéri et éduqué par les grands-mères. Les enfants apprenaient les codes sociaux, remparts indispensables pour se mouvoir aisément dans la société, aux pieds des cases de leurs " femmes virtuelles" (En Afrique, un petit fils est le mari virtuel de sa grand-mère).

Aujourd’hui, la configuration de la société soninkée et, par extension, la société africaine dans sa complexité, relègue au second plan ces sages dames. La télévision et les nouvelles technologies ont rendu désuet le rôle d’éducatrice sociale des femmes du troisième âge.

Au Sénégal, les enfants sont devenus des affamés des séries télévisées. Ils sont nombreux à pouvoir raconter les péripéties d’un feuilleton brésilien ou mexicain, diffusé de manière intempestive par les télés africaines.

Les pièces de théâtres africaines des grands cinéastes sénégalais, maliens, burkinabés, reprenant souvent les contes et légendes d’Afrique, sont invisibles sur les écrans des télés de nos propres pays.

Nos sociétés sont devenues les grandes consommatrices de séries occidentales et asiatiques au grand dam de nos propres savoirs locaux pourtant riches en enseignements. Les théâtres et téléfilms purement africains qui devaient remplacer les grand- mères à la nucléarisation des familles sont devenus une denrée rare. La télévision de l’Etat est devenue une belle de dépravation très poussée de nos mœurs. Aucun village doté d’une énergie n’est épargné. Gajaaga, Hayire, Jafunu, Fuuta, Gidimaxa vivent tous aux rythmes des télés africaines. Les grands-mères vivent dans une totale solitude. Les enfants les ont délaissées au profit de la télévision.

Dans l’immigration, les Soninkés ont également délaissé ce pan des traditions orales, ciment de notre culture. En effet, ce rôle qui incombait à la grand-mère se retrouve sans acteur. Les contes au clair de la lune laissèrent la place à la télévision dans les foyers soninkés. Plus tard, Internet et les jeux vidéo sont en train d’avoir raison de ce qui reste de ces traditions multiséculaires. Les veillées crépusculaires et nocturnes, moments favoris de la transmission du savoir entre générations, sont devenues une corvée pour les parents. La société française avait néanmoins une parade inspirée d’Afrique : les livres de contes. Les nombreuses histoires narrées dans ces livres sont quasi-identiques aux contes que les grands-mères africaines racontaient dans les grandes concessions d’Afrique. Malheureusement, les premières générations d’immigrés étaient souvent illettrées ou nourrissaient peu d’engouements pour cette façon de communier avec les enfants. Dans plusieurs familles, les enfants étaient livrés à eux même devant la télé ou expédiés à coups de cravache au lit. Une occasion manquée pour léguer une partie de la sagesse héritée de nos aïeux à la postérité. Aussi bien dans la société africaine en Afrique que celle en Occident, les contes et les fables qui étaient un support empirique de la transmission ludique du savoir sont délaissés au profit de la télévision, d’internet et d’autres jeux vidéo. Une grande façade de notre culture africaine s’est écroulée.

Aujourd’hui, la société soninkée traverse une crise profonde de valeurs identitaires. La langue soninkée se perd. Feu le Professeur-linguiste Ousmane Moussa Diagana avait raison de faire ce cris d’alarme avant de rendre l’âme quelques années plus tard : " D’où urgence de happer les dernières grues couronnées, d’écoper les dernières gouttes d’eau nécessaires à leur survie. Car que deviendrait un peuple s’il venait à ne plus savoir chanter ? Où à ne plus pouvoir chanter ? L’enjeu est aujourd’hui de taille. La littérature orale soninké se trouve prise dans un réseau de facteurs qui expliquent sa régression et son marasme". Effectivement, nos traditions disparaissent au gré du brassage culturel en Occident ou en Afrique subsaharienne. Je n’ai rien contre Dora, Cendrillon, Mickey, Pinochio, mais les histoires des grands-mères africaines sont de loin les plus ludiques et les plus instructives pour un enfant issu de nos milieux. Les veillées crépusculaires et nocturnes, surtout durant le weekend, doivent revenir dans les foyers soninkés. Les parents doivent repenser à la célèbre phrase de Birago DIOP " « Quand la mémoire va chercher du bois mort, elle ramène le fagot qui lui plaît. ».

Une rétrospective s’impose aux parents soninkés pour revoir et améliorer l’éducation et la socialisation culturelle qu’ils doivent donner à leurs enfants dans un monde en proie aux difficultés de toute sorte. Les contes, les fables, les légendes et autres proverbes sont des outils de communication extraordinaires qui s’offrent aux Soninkés pour éduquer leurs enfants et les égayer. La nuit, avant d’aller coucher son enfant, rien ne vaut plus qu’une belle histoire de Turun ?e (L’hyène) et d’un Kanjaane (Lièvre) ou les enseignements de " Bah Maadi Kama Kanouté ". Il est temps de marquer une pause dans cette frénésie d’acculturation et refaire un voyage dans nos traditions anciennes pour donner une chance à la postérité soninkée, voire africaine, de grandir avec l’amour de nos racines culturelles et de nos fondements linguistiques.

Samba Fodé KOITA dit Makalou, Soninkara.com




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