le magazine du Sénégal dans le monde

Coup d’Etat en Mauritanie : Les militaires ferment la parenthèse civile

  Enregistrer au format PDF  envoyer l'article par mail title=    Date de publication : vendredi 8 août 2008
La transition démocratique aura été de courte durée en Mauritanie. Elu en mars 2007, le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi a été renversé le 6 août 2008 par des éléments de sa garde. Depuis le premier coup d’Etat qui a chassé Moktar Ould Daddah du pouvoir, en 1978, Nouakchott vit son cinquième régime militaire.

Tidiane Kassé (2008-08-08)

Dans cette période de trente ans marquée par l’omniprésence de l’armée, les seize mois que vient de vivre un régime issu d’une expression populaire sonnent comme une parenthèse anachronique. La Mauritanie retrouve un ordre militaire qui l’a longtemps caractérisé, le règne éphémère des civils n’ayant pu se faire dans la stabilité qui lui aurait permis de s’inscrire dans la durée.

Le Haut conseil d’Etat dont la mise en place a été annoncée après le putsch et que préside le général Ould Abdel Aziz est composé de dix autres membres. A savoir le général Mohamed Ould Cheikh Mohamed Ahmed (chef d’état-major des forces armées), le général Felix Negri (chef d’état-major de la garde nationale), le colonel Ahmed Ould Bekrine (chef d’état-major de la gendarmerie) et le colonel Mohamed Ould Cheikh Elhadi (chef de la Sûreté nationale). Six autres officiers les complètent : le colonel Ghoulam Ould Mahmoud, le colonel ohamed Ould Meguett, le colonel Mohamed Ould Mohamed Z’Nagui, le colonel Dia Adama Omar, le colonel Hennoune Ould Sidi et le colonel Ahmedou Bamba Ould Baya.

Plusieurs facteurs sont avancés pour expliquer ce coup d’Etat, aboutissement d’une instabilité politique qui a fragilisé le pouvoir de Sidi Ould Cheikh Abdallahi dès les premiers mois de son installation. Le phénomène le plus remarquable, durant cette période, aura été la brutale émergence du terrorisme islamiste. Si des mouvances radicales se sont souvent exprimées à Nouakchott pendant ces dernières années, les attentats qui se sont multipliés au cours des derniers mois, ont donné l’illustration d’un pouvoir incapable de maîtriser la situation intérieure.

Le fait le plus spectaculaire a été l’assassinat de touristes français, le 26 décembre 2007, par des éléments se disant proches d’Al Qaeda. Paris avait, dans la foulée, « conseillé » l’annulation du rallye Paris-Dakar dont la plus grande partie du parcours se déroule en Mauritanie, en raison de menaces terroristes. Un nouveau « coup d’éclat » s’était produit début février 2008, quand des hommes armés ont attaqué à l’arme automatique l’ambassade d’Israël, faisant trois blessés, tous Français, dont deux par des balles perdues. Ces actions étaient alors mises en relation avec l’appel qu’aurait lancé aux Mauritaniens le numéro deux du réseau al-Qaïda, Ayman Al-Zawahiri, de s’attaquer à l’ambassade israélienne à Nouakchott, selon un centre américain de surveillance de sites Internet islamistes, IntelCenter.

Longtemps stable sous le régime répressif d’Ould Taya, renversé en 2005, la Mauritanie semblait avoir du mal à gérer les espaces de liberté qui s’étaient ouvertes avec la poussée démocratique. L’exercice semblait d’autant difficile que le pouvoir élu en mars 2007 n’a jamais su asseoir autour de lui une cohésion politique suffisante pour lui garantir une assise forte et légitime. Au point que la crise politique est allée crescendo ces derniers temps, fragilisant de plus en plus la majorité présidentielle.

Le dernier gouvernement monté par le Premier ministre Yahia Ahmed El-Waghef, arrêté par les putschistes en même temps que le président Ould Cheikh Abdallahi, remonte à mi-juillet. Quinze jours plus tôt, sous la menace d’une motion de censure d’un Parlement pluraliste, son prédécesseur avait démissionné. Devant une situation politique et sociale difficile, la majorité ne faisait pas preuve d’une cohésion et d’une stabilité qui lui auraient permis de soutenir les vents de fronde qui soufflaient de partout. Et comme pour mieux annoncer la fin d’un règne présidentiel qui n’était pas parvenu à se consolider en seize mois, un groupe de 25 députés et 23 sénateurs avaient annoncé leur démission collective du Pacte national pour la démocratie et le développement (PNDD), la formation présidentielle, le 4 août 2008. Deux jours après, survenait le coup d’Etat du 6 août.

La plus courante explication donnée à ce putsch repose sur les tentatives de contrôle que le président Ould Cheikh Abdallahi voulait exercer sur l’armée. Les principales victimes en étaient les deux généraux au centre du putsch. Des changements décidés à la tête de l’armée, de la gendarmerie et de la Garde nationale, par le chef de l’Etat déchu, avaient conduit à leur mise à l’écart. Quelques heures après, ils prenaient le pouvoir. Les généraux Ould Cheikh Mohamed Ahmed et Mohamed Ould Abdel Aziz devaient, en effet, être remplacés, respectivement, par le colonel Abderrahmane Ould Boubacar et le colonel Mohamed Ahmed Ould Ismaïl. Tous deux avaient été membres du Conseil militaire de transition qui avaient conduit, de 2005 à 2007, la transition démocratique en Mauritanie. Aussitôt annoncée la nouvelle de leur limogeage, ils ont fait envahir le palais pour procéder à l’arrestation du chef de l’Etat. Comme pour confirmer qu’ils sont bien les maîtres du jeu, le général Mohamed Ould Abdel Aziz, dans sa première déclaration après le putsch, a souligne : « C’est l’armée qui a mis fin à la dictature en 2005. Et, aujourd’hui, c’est encore elle qui met fin à la dictature, au népotisme, au chaos, au désordre ».

Les mutations que le président Ould Cheikh Abdallahi a voulu imposer sonnent comme une tentative de se libérer de la tutelle pesante de l’armée, avec des généraux qui avaient participé au coup d’Etat de 2005 et avaient joué des rôles clés dans la transition ayant mené aux élections démocratiques. A Nouakchott des observateurs les accusaient de tirer les ficelles des dissensions politiques au sein du parti au pouvoir. Ils étaient ainsi soupçonnés, voire accusés d’être à l’origine de la fronde qui, le 4 août 2008, avait poussé à l’annonce de la démission massive de députés et de sénateurs du parti au pouvoir.

L’« erreur politique » du président Ould Cheikh Abdallahi, c’est sans doute d’avoir voulu trop vite se débarrasser de cette tutelle militaire. Parmi les quatre hauts gradés qu’il a limogés, deux étaient à l’origine de sa candidature à la présidentielle de 2007. Ayant un Å“il et même une main dans le jeu politique, les officiers n’appréciaient guère les mutations qui se succédaient, comme l’entrée de partis d’opposition dans le gouvernement, ou le retour aux affaires d’éléments influents de l’ancien régime du président déchu Ould Taya.

Bien préparé dans les « coulisses » du palais, le putsch s’est déroulé sans effusion de sang. Mohamed Ould Abdel Aziz, ex-chef d’Etat major particulier du président de la République, Gazhouani, chef d’Etat-major de l’armée, Félix Négri, chef de la Garde nationale, ont juste fait procéder aux arrestations du président de la République, de son Premier ministre, du chef d’Etat-major nouvellement nommé et de quelques hautes personnalités, pour décapiter le pouvoir et annoncer le changement de régime sur les ondes de la radio nationale.

Comme étrangère à cette guerre interne au sommet du pouvoir qui a vu les militaires dicter encore une fois leur loi aux civils, la population a été sans réaction devant la perte d’un régime qu’elle avait porté au pouvoir seize mois plus tôt. Seuls quelques manifestations de partisans de président déchu ont été signalées, vite dispersées par les forces de sécurité, dans une ville de Nouakchott, la capitale, où on continuait normalement de vaquer aux occupations quotidiennes. La crise économique et sociale que le régime déchu n’était pas parvenue à gérer, avec des manifestations à répétition contre la vie chère, y est peut-être pour quelque chose.

Les condamnations n’ont cependant pas manqué dans la classe politique mauritanienne, de même qu’au sein de la société civile. Figure marquante du paysage politique mauritanien, Lô Gourmo Abdoul de l’Union des forces de progrès, parle d’« un recul de la démocratie » et réclame « un retour à l’ordre constitutionnel avec Sidi Ould Cheikh Abdellahi comme président de la République ». Cette position est partagée par plusieurs autres partis qui ont mis en place, le 7 août, un Front pour la défense de la démocratie (FDD). Au niveau de la société civile, le président du Forum national des ONG défenseurs des droits humains, Sarr Mamadou, clame aussi qu’un« Un coup de force ne règle pas les problèmes. Les dernières élections ont été empreintes de transparence. Quels que soient les problèmes cet acquis doit être préservé. Nous en appelons à la vigilance pour sortir de la crise. Nous allons réunir toute la société civile pour entamer une concertation pouvant favoriser le retour à une situation normale », ajoute-t-il.

La junte au pouvoir annonce la tenue d’élections sans en préciser encore la date. Mais la réprobation de la communauté internationale reste unanime. L’Union africaine condamne et la France « met fermement en garde les auteurs du coup d’Etat qui pourraient faire l’objet de mesures à leur encontre dans l’hypothèse où un retour à la légalité constitutionnelle ne serait pas rapidement assuré ». Reste à savoir ce que recouvre le terme « rapidement ». D’autant que Paris a semblé mettre du temps à avancer dans sa lecture de la situation. Interrogé sur les raisons du coup d’Etat, un porte-parole du ministère des Affaires étrangères soutenait le 7 juillet qu’"il est trop tôt pour qualifier (la) situation".

Il apparaît pourtant clair que malgré sa fragilité et ses errements, l’expérience démocratique mauritanienne, dont les prémices se faisaient sentir avec le régime de transition militaire qui a renversé Ould Taya, était bien porteuse d’espoir. La Mauritanie semblait sortir d’une longue nuit d’enfermement avec une effervescence au niveau de la presse, un retour et une réinsertion des réfugiés chassés vers le Sénégal depuis 1989 et une détente sociale fort perceptible… Les critiques ne manquaient certes pas devant les balbutiements démocratiques, mais le processus était soutenu par la population. Aujourd’hui, c’est à la classe politique d’affirmer sa maturité et sa détermination devant ce surprenant retournement de situation.

* Tidiane Kassé est rédacteur en chef de l’édition française de Pambazuka News


article publié avec autorisation sous les termes de la licence « Paternité-Pas d’Utilisation Commerciale-Pas de Modification 3.0 Unported sur le site pambazuka.org




Lettre d'info

Recevez 2 fois par mois
dans votre boîte email les
nouveautés de SENEMAG




© 2008 Sénémag      Haut de page     Accueil du site    Plan du site    admin    Site réalisé avec SPIP      contact      version texte       syndiquer