le magazine du Sénégal dans le monde

Samba Félix Ndiaye, l’empreinte d’un maître du documentaire

  Enregistrer au format PDF  envoyer l'article par mail title=    Date de publication : jeudi 12 novembre 2009
Dakar, 8 nov 2009 (APS) - Le réalisateur et scénariste sénégalais Samba Félix Ndiaye, décédé vendredi à l’âge de 64 ans, laisse une œuvre d’une grande richesse, essentiellement constituée de films documentaires, dont chacun constituait pour lui un moyen de témoigner sur les résistances de l’homme et de donner sa vision du monde.
Se considérant, en même que d’autres artistes, comme un ’privilégié’, Ndiaye avait la conviction profonde que le cinéma est un art qui permet de ’faire voir le Sénégal d’aujourd’hui, l’Afrique et la place de ce continent dans le monde’.

"C’est à partir de nous, de ce que nous sommes, de ce que nous savons, que nous pouvons témoigner du monde. Moi le cinéma que je fais c’est ça", disait-il en décembre 2008, lors de la première édition du Festival du Film de Dakar dont il était le parrain.

Il ajoutait : "Même si ça a l’air d’être contre, même si ça a l’air d’empêcher de tourner en rond, je ne dis que ce que je sais et ce que je crois et ce que je vois en l’humain. Mes amis sont en Papouasie, en Australie. Ce sont des gens qui font un cinéma qui me parle’’.

Samba Félix Ndiaye s’est acquitté de cette tâche avec passion, rigueur et générosité, s’attachant à mettre l’accent sur le devoir de mémoire, le respect des cultures et des traditions, les résistances face aux travers d’une certaine modernité.

Né le 6 mars 1945 à Dakar, Samba Félix Ndiaye s’est passionné dès l’adolescence pour le cinéma en fréquentant régulièrement le cinéclub du Centre culturel français de Dakar. Il gardait des souvenirs très précis du tournage à Dakar de " Liberté I ", film franco-sénégalais réalisé par Yves Ciampi en 1962 et retraçant l’histoire de Dakar à cette époque.

Ce fut le premier déclic. " Liberté I " a été l’une des premières grosses productions tournées en Afrique au Sud du Sahara avec des comédiens noirs.

"J’avais vu des films mais je ne savais pas comment ça se fabriquait. Cette ambiance m’a donné envie", expliquait Samba Félix Ndiaye qui, avec Ben Diogaye Bèye, Moussa Bathily, Djibril Diop, Mahama Johnson Traoré, faisait partie de ce groupe des "enfants terribles’’.

Il se souvient : "On avait un ami qui s’appelait Michel, qui travaillait au Centre culturel français et qui réparait les films en 16 mm. Même les films qu’on ne voyait pas en projection, quand Michel les restaurait, on venait derrière la visionneuse et on regardait ce qui se passait’’.

"Et Comme la visionneuse était lente, poursuit le cinéaste, les plans étaient décomposés, on avait commencé à comprendre comment ça se fabriquait. Nous n’avions jamais été à l’école de cinéma et on a commencé à avoir des envies de faire des films."

Au Cinéclub réservé aux ressortissants français, chacun de ces jeunes Sénégalais s’approprient un cinéma très personnel. Samba Félix Ndiaye, lui, se passionne pour le néoréalisme italien.

A la faveur des événements de Mai 1968 à Dakar, ces "enfants terribles" brûlent le Centre culturel français, "le lieu le plus intéressant’’ qui était à leur portée et leur permettait de voir des films. Ils se sont alors approprié le cinéclub et ont commencé à présenter les films qu’ils voulaient avec le regard qu’ils avaient sur le monde.

"Ensuite, il arrive qu’on tombe sur deux merveilles :" Borom Sarrett " de Sembène Ousmane (1963), " Et la neige n’était plus’ ’ d’Ababacar Samb (1965). Bien entendu quand vous êtes jeunes et que vous savez que dans votre pays, il y a des grands frères qui tournaient, ça marque."

Samba Félix Ndiaye et ses amis n’avaient pas fait d’école de cinéma. Convaincu qu’on ne peut pas réinventer l’académie, même si on peut voir des films et avoir l’envie de faire du cinéma, il se décide à aller apprendre les règles élémentaires : le montage, comment on passe d’un plan à un autre, etc.

Il prend alors le bateau pour Seine-Sur-Mer où se trouvent ses grands-parents. Là, il entend parler de l’Université Paris VIII, qui ressemblait au Centre expérimental de Rome. Lui, le passionné de néoréalisme italien, s’y inscrit.

Il y reste sept ans, réalise "Perantal’’ (1974), un documentaire sur les massages apportés aux nourrissons, qui le révèle sensible au respect des cultures et des traditions.

A une époque où ce genre n’était pas en vogue, il opte pour le documentaire, "cette partie du cinéma qui restaure le cinéma dans son apathie, dans ses aspects les plus serrés, très studio’’. Entre 1974 et 1977, Samba Félix Ndiaye enseigne. Il a eu les Sénégalais Ousmane William Mbaye et Mansour Sora Wade comme étudiants.

Samba Félix Ndiaye avouait dans ses discussions qu’il a eu deux maîtres qui l’ont marqué :"Le premier, je me suis bagarré avec lui jusqu’avant sa mort, c’est Jean Rouch. Rouch m’a appris énormément de choses en étant contre. Et Jacques Rivette m’a appris des choses en douceur"’.

La conception du documentariste sénégalais était claire. "Ce qui m’intéresse dans le cinéma, c’est de pouvoir, dans la situation dans laquelle le monde est, dire juste ce qui m’empêche de dormir, c’est-à-dire les questions qui me traînent dans la tête. Comment va le monde ? Comment va l’humain ? Pas seulement le Sénégal, mais l’Afrique et le monde’’.

Dès lors, Samba Félix Ndiaye s’est évertué dans sa démarche à observer pour ‘’témoigner d’une résistance’’. Après ‘’Perantal’’, il réalise ‘’Geti Tey’’ (1978), sur la pêche artisanale, la série de cinq films intitulée " Le Trésor des poubelles’ ’ (1989), qui évoque avec maîtrise l’art de la récupération.

Il y a dans cette série " Aqua " (sur les aquariums), " Diplomate à la tomate " (des valisettes faites à base de boîtes de sauce de tomate), " Teug ’’ (des ustensiles avec l’aluminium de moteurs), " Les Chutes de Ngalam " (les rejets de poussière par les bijoutiers), " Les Malles " (des fûts métalliques transformés en malles).

C’est dans le même cadre des résistances africaines qu’il faut placer " Amadou Diallo, un peintre sous verre ’’ (1992)," Dakar-Bamako " (1992). En 1994, il réalise " Ngor, l’esprit des lieux " (présenté au Fespaco en 1995), un film qui témoigne de la force de la résistance d’un village face aux assauts d’une certaine modernité. Samba Félix Ndiaye s’introduit dans l’intimité pour montrer les ressorts de cette résistance.

Il a aussi réalisé " La Confrérie des Mourides " (1976), " Pêcheurs de Kayar " (1977), " La Santé, une aventure peu ordinaire " (1986), " Cinés d’Afrique " (1993), " Lettre à l’œil " (1993), " Un fleuve dans la tête " (1998), " Lettre à Senghor " (1998), " Nataal " (2001), " Rwanda devoir de mémoire " (2003), " Questions à la terre natale " (2007) et produit " Dial-Diali ’’ (1992) d’Ousmane William Mbaye.

Samba Félix Ndiaye estimait que "la résistance est égale à la force qui est manifeste". Pour lui, un cinéaste "n’est pas quelqu’un qui attend que les choses lui tombent dessus".

Aux jeunes cinéastes sénégalais qui le suivait dans une Leçon de cinéma, il disait : "Faire du cinéma c’est un métier. C’est-à-dire que vous vous réveillez, vous vous couchez avec l’idée que c’est votre métier qui doit être l’arme la plus intéressante pour témoigner. Vous ne dites que ce à quoi vous croyez et ce que vous êtes. Personne ne peut vous tuer pour ça".

Dans un contexte où le documentaire n’était pas en vogue, il opte pour ce genre, exprimant avec talent sa vision de ce que doivent être l’histoire, la culture, les arts, les rapports que les hommes peuvent avoir entre eux.

Ce cinéaste qui avait effectué des études de droit et de sciences économiques à l’Université de Dakar, préférait le réel en entrant en amour avec les gens qu’il filme avec leur permission. D’où les relations qui se tissent en dehors des films.

Au vu de son œuvre, d’une qualité cinématographique certaine, il a eu raison de se spécialiser dans ce genre qui demande exigence, attention et humilité. Il en est devenu l’un des meilleurs spécialistes à travers le monde, en témoignent les nombreux messages de sympathie reçus à Dakar après l’annonce de son décès.

Au cœur de la démarche artistique de Samba Félix Ndiaye se trouvent un discours sur le réel, une construction héritée de l’éducation que lui a inculquée sa grand-mère, sa "philosophe préférée". "Et je me rends compte que plus je vieillis, plus je filme par rapport à ce qu’elle m’a appris quand j’étais tout jeune, expliquait le cinéaste lors de la première édition du Festival du Film de Dakar (décembre 2008). La manière dont je regarde le monde, la manière dont je parle avec les gens, la manière dont je fais mon cinéma appartiennent en grande partie à ce que ma grand-mère m’avait enseigné tout jeune."

Pour Samba Félix Ndiaye, le cinéma a été un outil pour dire sa vision du monde. Même s’il considérait que "ce n’est pas le support qui est important mais ce qu’on met dedans, la réflexion qui permet qu’on filme d’une certaine manière",il a réussi, avec talent, sensibilité et générosité, à allier la qualité de la démarche à la profondeur de la réflexion.

Aboubacar Demba Cissokho





Lettre d'info

Recevez 2 fois par mois
dans votre boîte email les
nouveautés de SENEMAG




© 2008 Sénémag      Haut de page     Accueil du site    Plan du site    admin    Site réalisé avec SPIP      contact      version texte       syndiquer