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Sen-Ethanol, le projet agricole qui rend les Sénégalais fous de rage

  Enregistrer au format PDF  envoyer l'article par mail title=    Date de publication : mercredi 23 janvier 2013
Au Sénégal, un projet agricole déchaîne les passions, entre insécurité alimentaire, souveraineté agricole et accaparement de terres. Reportage.

source : www.slateafrique.com - 23/01/2013

« Si on nous enlève notre terre, autant mourir », assène, en se tranchant symboliquement la gorge d’un doigt, le chef d’un des villages de la communauté rurale de Gnith, au nord-ouest du Sénégal.

Ici, c’est Belibambi : quelques cases parsemées en périphérie de la réserve naturelle du Ndiael, où les familles font paître vaches et zébus. Un sujet hante les conversations :

«  Sen-Ethanol, on ne peut pas cohabiter avec eux. S’ils viennent, on devra déguerpir d’ici, tôt ou tard », craint un de ces petits éleveurs.

Un projet agricole très controversé

Sen-Ethanol , c’est le nom d’un projet agricole controversé. Très controversé. Cette société à capitaux étrangers et sénégalais —couplée à Sen-Huile , une autre société dont elle est actionnaire— s’est vue affecter 20.000 hectares en août 2012 par l’Etat sénégalais.

Des terres jusqu’ici dédiées au pâturage, comme près de Belibambi, où seront désormais cultivés tournesols et patates douces. Destination : l’exportation et le marché de l’énergie. Le projet se monte à au moins 100 milliards de francs CFA (152 millions d’euros).

Dans un pays qui n’assure pas son autosuffisance alimentaire et dont environ 70% de la population active vit du secteur primaire, ce projet est très sensible, charriant aussi bien son lot de détracteurs que de partisans.

Dans la commune rurale de Ronkh, concernée comme celle de Gnith par le projet, quelques partisans plus ou moins loquaces se réunissent justement.

« Que ceux qui nous contestent attendent de voir ce qu’on fait vraiment. Et ils seront rassurés », affirme un porte-parole de Sen-Ethanol face à une dizaine de chefs de villages.

Calmes, la tête protégée du soleil écrasant et du vent sablonneux par des foulards, ils acquiescent.

Pantalon et chemise en jean, baskets et casquette qui couvre la nuque. Benjamin Dummai, le PDG de Sen-Ethanol, chante les louanges du canal d’irrigation creusé depuis mi-octobre et depuis le lac de Guiers :

« Passée la saison des pluies, les éleveurs doivent aller de plus en plus loin pour faire paître leurs animaux. Grâce à ce canal et à ceux qui y seront connectés —300 km en tout— l’eau ira irriguer nos cultures mais aussi des plantes fourragères permanentes. Nous les donnerons aux paysans pour nourrir leurs bêtes. »

Que les éleveurs craignent de perdre leur source de revenu ancestrale ne serait donc, selon lui, pas justifié. Que dire alors des autres arguments avancés pour contester l’intérêt du projet ?

Accaparement de terres ?

« En 2000-2010, 650.000 hectares ont été octroyés à des privés, dont 10 nationaux et 7 étrangers. Soit 16.5% de la surface agricole cultivable du pays », cite Amadou Kanouté, directeur de l’institut CICODEV (Institut panafricain pour la citoyenneté, les consommateurs et le développement).

« C’est comme si le gouvernement disait qu’il ne croit pas à ses propres agriculteurs !, tempête Mariam Sow, présidente du conseil d’administration d’ENDA Tiers-Monde. Il distribue la terre à de gros investisseurs, il favorise l’accaparement ! »

Mais Sen-Ethanol est-il un cas d’accaparement ?

« Le droit coutumier est très fort au Sénégal, explique Amadou Sy, président de la Fédération des associations du Fouta pour le développement. Les petits agriculteurs se considèrent comme leurs propriétaires légitimes ».

Or, les terres ne leur sont souvent qu’officieusement affectée.

Légitimité versus légalité : le débat n’est pas tranché.

« Une commission sur la réforme foncière vient de se constituer, indique Amadou Kanouté. Mais il faudrait dès maintenant un moratoire sur l’accaparement. Sinon, quand elle rendra ses conclusions, il n’y aura déjà plus de terres à protéger ! ».

Cette commission est un gage d’intérêt du gouvernement actuel pour cette question. Néanmoins, ni le ministère de l’Agriculture ni la gouvernance de la région de Saint-Louis, au nord du Sénégal, n’ont donné suite aux questions de SlateAfrique.

Du côté de l’ APIX , l’Agence de promotion des investissements et grands travaux : pas d’épanchement non plus sur Sen-Ethanol. Baye Elimane Guèye, responsable du suivi des investissements, indique que :

« L’Etat a mis en place plusieurs politiques agricoles, qui n’ont pas encore atteint tous les objectifs ».

Du coup, il a ouvert ses portes aux investisseurs.

« Pour se donner le plus de chances de réussir, poursuit-il, mieux vaut commencer par une superficie raisonnable, et ne pas s’adresser à des intermédiaires mais dialoguer directement avec les habitants. »

Bref, ne pas tomber dans les écueils de Sen-Ethanol/Sen-Huile lors de son lancement initial…

Premier épisode dramatique

L’histoire de la société a effet commencé ailleurs : elle avait signé un accord à Fanaye au printemps 2011, sous l’ère Wade. La contestation gronda rapidement, nourrie par des rivalités politiques au sein du conseil rural et par le projet lui-même, son fond comme sa forme.

« On est des petits exploitants, on voulait rester indépendants, pas devenir des ouvriers agricoles ! On aurait été payé un jour 1500F (2,5 euros), le lendemain seulement 1000F, qui sait ? (1,5 euros) », se souvient Boucaramadou Diop, un conseiller rural.

« Les terrains commençaient à être débroussaillés alors qu’il n’y avait eu aucun vrai débat avec la population, ajoute Amadou Thiaw, un autre élu local. Un collectif pour la défense des terres a mené deux marches pacifiques. Mais rien n’y a fait. »

Le ton est monté au cours des semaines, jusqu’au 26 octobre 2011 où des affrontements firent deux morts et une vingtaine de blessés. Le gouvernement Wade suspendit immédiatement le chantier… qui reprit finalement vie sous l’administration Sall cette année, cette fois à Gnith et Ronkh.

Dans la maison de sa famille à Fanaye, Saïdou Fédior se souvient de l’époque où Sen-Ethanol était là.

« J’y pense tous les jours. Quand je vais dans mes champs de riz je porte encore l’uniforme de la société. »

Une combinaison bleue nuit et siglée, qu’il a en effet revêtue. Lui, il regrette l’annulation du projet :

« Ã‡a aurait occupé tous les jeunes qui n’ont pas de travail ici, plutôt qu’ils finissent peut-être clandestins à l’étranger. »

Bachelier puis exilé en Afrique centrale et de l’Est, il était devenu à son retour recruteur de main-d’œuvre sur le projet Sen-Ethanol. Aujourd’hui, quand il n’est pas aux champs, ce soutien actif du mouvement Y en a marre compose tableaux et chansons de rap militantes.

Des graines exportées et du biocarburant

Pour Amadou Sy, le problème de fond, c’est que :

« Les gens qui ont des terres n’ont pas les moyens financiers de les développer. Il faudrait par exemple que la terre serve de garantie pour un prêt bancaire, pour que les petites exploitations deviennent des micro-entreprises rurales, avec une production suffisamment importante pour à la fois nourrir la famille et être vendue. »

La production de Sen-Ethanol, elle, ne finira quasiment pas dans la nourriture du pays.

« Environ trois-quarts des surfaces cultivées seront dédiés au tournesol, et le reste pour la patate douce », indique Benjamin Dummai.

Sen-Huile étant une Entreprise Franche d’Exploitation (EFE), elle exportera 80% des graines de tournesol. Les 20% restants seront transformés en huile alimentaire pour le marché local, et les résidus des tournesols en biomasse, convertie en électricité.

La patate douce, elle, deviendra de l’éthanol « avec un coût au mètre cube le plus bas du monde, s’enorgueillit le PDG. Car notre variété, développée avec une entreprise américaine (ndlr : qu’il ne souhaite pas citer) donnera 3 récoltes par an, et la transformation en éthanol se fera sur place en 24 heures ».

Ce biocarburant ira alimenter le marché européen automobile, mais aussi une centrale électrique de 240 MW construite sur place pour fournir de l’énergie au Sénégal.

« Pourquoi privilégier la production de biocarburant pour nourrir des machines, alors que la sécurité alimentaire du pays n’est pas assurée ? », s’indigne Lamine Thiaw, membre du collectif de défense de Fanaye.

Pour cet enseignant-chercheur à Polytechnique Dakar, « la filière d’énergie renouvelable à développer au Sénégal, c’est le soleil. »

Magatte Diaw, un élu local de Gnith, comprend les inquiétudes des villageois, avec qui il a dialogué à Belibambi. Il est aussi conscient qu’« un Etat peut difficilement refuser un tel projet qui promet énergie et emplois ».

Fin novembre, Sen-Ethanol/Sen-Huile indiquait en effet employer 70 personnes, plus 300 postes journaliers.

« Très vite, 4500 personnes travailleront ici. Et dans 6 mois, près de 8500 », promet son PDG.

Qui gère Sen-Ethanol ?

Les populations locales peuvent-elles croire à ces promesses d’emplois à foison ? Comme à celles de souci environnemental ?

Magatte Diaw, qui est aussi président de la commission environnement au Conseil régional ainsi que du RENPEM (Réseau nord pour la protection de l’environnement mondial), s’inquiète que « l’étude d’impact environnemental n’ait pas été faite avant le début des travaux ». Il attend toujours ses conclusions.

Et les promesses d’un ample volet social ?

« S’engager socialement fait sentir à la population que l’utilisation de la terre est réellement dédommagée », estime B.E.Guèye. Benjamin Dummai indique que « des containers de fournitures et de médicaments sont déjà arrivés », et qu’« une quinzaine d’écoles et un centre sportif seront construits. »

Le seul point sur lequel le PDG n’est pas disert est finalement l’architecture actionnariale du projet, dont le flou contribue à alimenter la méfiance de ses détracteurs, et donc la polémique.

« Les actionnaires de Sen-Huile sont Sen-Ethanol et notre partenaire italien qui achète les graines », mentionne ce citoyen israélien.

Des publications italiennes évoquent le nom de Tampieri Financial Group , comme actionnaire à 51% de Sen-Huile. Une information qu’il ne souhaite pas commenter.

« Sen-Ethanol, elle, poursuit-il, est détenue par la société que je dirige - AgroBioEthanol (ABE) International –à New York, et par Gora Seck, un homme d’affaires et investisseur sénégalais ».

Le plan d’affaires présenté à la CR de Fanaye —que Slate Afrique a pu consulter et que mentionne une étude très documentée d’IPAR— indiquait que la société était détenue à 25% par un ou des investisseurs sénégalais et à 75% par la société ABE Italia. Cette société était elle-même détenue à 66% par ABE LLC (USA) et 34% par AGR.I.SRL (Italie). Des données que le PDG ne souhaite pas non plus commenter.

Si des zones d’ombres perdurent sur les propriétaires de Sen-Ethanol, c’est le soleil qui règne en revanche près de Ronkh, sur les champs récemment semés de tournesol.

Des jeunes de Fanaye seraient déjà allés travailler sur ce nouveau site, d’après Saïdou Fédior.

A Dakar, Mariam Sow tient, elle, à faire écouter une chanson promue par ENDA. En français, wolof et poular, celle-ci scande :

« Ils ne nous priveront pas de nos terres. »

La controverse n’est pas près de finir.

Emma Astou


1 message

  • Bonjour, mutualisons nos forces sous la bannière Panafricaine pour que la Diaspora et le Continent puissent agir contre les holdings qui veulent nous rayer de la face de la Terre, même problème en Guadeloupe Martinique, Costa Rica, Réunion Guyane bref partout où il y a des africains et des africains descendants, au lieu de nous méprisez les uns les autres, faisons l’Occident nous respectez un peu.

    repondre Répondre à ce commentaire



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