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Mayotte, l’île de la mort

  Enregistrer au format PDF  envoyer l'article par mail title=    Date de publication : mercredi 8 avril 2009
Mayotte de son vrai nom « Jazirat al Mawet » ou « ÃŽle de la mort », « Mawet » signifiant tout simplement « mort » en arabe. C’est l’une des quatre îles de l’archipel des Comores, entendez « kamar » qui veut dire « lune ». Alors « Jouzor al Kamar » ou « Ã®les de la lune » se trouvent en plein océan indien à plus de huit mille km du territoire français.

source : www.legrandsoir.info - 8 avril 2009

« l’Île de la mort » porte bien son nom car depuis le visa Balladur-Pasqua introduit en 1995, empêchant la libre circulation entres les îles, bloquant les échanges économiques millénaires, déchirant les liens familiaux, il y a eu six à sept mille morts par chavirage, chiffre qui dépasse de loin le nombre de soldats américains tués en Irak, des milliers de personnes innocentes jetées en pâture aux requins. Régulièrement, des candidats à l’immigration décèdent en tentant de rejoindre Mayotte par la mer. Le scandale est que les grands médias français, lorsque ils parlent de ces gens les traitent d’ « immigrés clandestins », faisant semblant d’oublier la Résolution 3385 de l’ONU qui condamne la présence illégale de la France à Mayotte. S’il y a bien des "immigrés clandestins" ça ne peut être que les français eux-même qui en dépit de toute légalité, viennent à de milliers de km de chez eux estropier un pays.

Aujourd’hui, les immigrés clandestins ne sont plus seulement ces pauvres bougres de maghrébins et de noirs qui viennent buter contre les frontières de l’hexagone, non ! ce sont aussi tous ces métèques qui au delà des océans ne se sont pas encore rendu compte que la France est un territoire à géométrie variable s’octroyant le droit d’expulser les gens de chez eux et de leur interdire leur propre terre.

le 5 Juin 1973, le gouvernement français, sous Pompidou, signe un accord avec le gouvernement d’autonomie interne de l’archipel des Comores concernant l’organisation d’un référendum sur l’accession à l’indépendance des Comores. Cet accord stipule que les résultats de ces élections seront pris en compte globalement sur l’archipel des Comores et non île par île.

Monsieur Valery Giscard d’Estaing président de la république française fraîchement élu, parlant de l’indépendance des Comores, déclare dans le Monde daté du 26 octobre 1974 :

« C’est une population qui est homogène, dans laquelle il n’existe pratiquement pas de peuplement d’origine française, ou un peuplement très limité. Est-il raisonnable d’imaginer qu’une partie de l’archipel devienne indépendante et qu’une île, quelle que soit la sympathie qu’on puisse éprouver pour ses habitants, conserve un statut différent ? Je crois qu’il faut accepter les réalités contemporaines. Les Comores sont une unité ; il est naturel que leur sort soit commun, même si, en effet, certains d’entre eux pouvaient souhaiter – et ceci naturellement nous touche, et bien que, nous ne puissions pas, ne devions-nous pas en tirer des conséquences – même si certains pouvaient souhaiter une autre solution. Nous n’avons pas, à l’occasion de l’indépendance d’un territoire, à proposer de briser l’unité de ce qui a toujours été l’unique archipel des Comores. »

Le 22 décembre 1974, 93% de la population du Territoire d’Outre-mer des Comores se prononce pour l’indépendance. Le TOM des Comores,comprenant les îles de la Grande Comore, de Mohéli, d’Anjouan et de Mayotte va donc devenir une République indépendante.

Mais Valery Giscard d’Estaing n’a pu se faire, comme il le dit, aux « réalités contemporaines », au colonialisme « new look » ; lui, la droite française et même une certaine gauche continuent à être nostalgiques d’un empire français à l’ancienne.

Le 27 juin 1975, à Paris, la majorité parlementaire et le gouvernement giscardien se rétractent : puisque dans une des 4 îles le résultat du scrutin d’autodétermination était différent, un nouveau référendum sera organisé dans les 4 îles, avec une prise en compte des résultats île par île.

Le 6 juillet 1975, rejetant l’attitude du pouvoir français, Ahmed Abdallah déclare unilatéralement l’indépendance des Comores.

Le 12 Novembre 1975 l’Union Africaine, la Ligue Arabe et les Nations Unies ont admis les Comores (Grand-comore, Mohéli, Anjouan, Mayotte) en leur sein selon la résolution 3385 qui affirme la nécessité de respecter l’unité et l’intégrité territoriale de l’archipel des Comores.

Les Comores deviennent ainsi un pays indépendant composé de quatre îles, reconnu par les instances internationales.

C’est à partir de cet instant que la France va troubler le jeu :

Le 8 avril 1976 puis Le 11 avril 1976 la France organise deux consultations à Mayotte, alors que juridiquement cette île n’était plus française. Une majorité de Mahorais choisissent le rattachement à la France. Il est toutefois nécessaire de rappeler que l’île de Mayotte a été colonisé cinquante ans avant le reste de l’archipel, elle a toujours bénéficié d’un statut de privilégié de la part du colonisateur. Les Mahorais se sentant supérieurs n’ont jamais accepté que la capitale de l’archipel soit une ville de la Grande Comore et que le pouvoir leur échappe. Bien entendu la France va alimenter ce ressentiment et pousser à la sécession. Le colonialisme a toujours joué sur les clivages ethniques et confessionnels en les exacerbant. Dans les traditions de l’occupant qu’il soit belge, français ou autre, il est courant de privilégier une minorité ethnique en l’imposant au reste de la population. Ce groupe humain se transforme ainsi en délateurs et en hommes de mains au service du pouvoir colonial. Le génocide rwandais n’est que la conséquence tragique d’une telle politique.

Depuis 1974 jusqu’à aujourd’hui, malgré une vingtaine de résolutions de l’ONU qui demandent à la France le respect des frontières issues de la colonisation, jugeant irrégulier le décompte du référendum de 1974 et malgré la prise de position du Conseil exécutif de l’Union Africaine (UA) qui exige l’arrêt immédiat du processus de départementalisation, la France n’en démord pas. Il faut dire qu’il est tout naturel que la France en tant que nomothète, membre permanent du conseil de sécurité soit au-dessus de la loi tout comme les Etats-Unis et Israel sixième pilier tacite du même conseil.

Bien entendu, si la France tient à garder coûte que coûte cette petite île de 374 km2, sans ressources, ce n’est certainement pas pour les beaux yeux des mahorais. Avec la Réunion, Mayotte forme une base avancée en zone sud de l’océan indien forte de 1500 militaires. Mayotte abrite une unité de marine ainsi qu’une unité de légion étrangère. Ces forces permettent entre autre de garder sous contrôle Madagascar, Maurice, les Seychelles et les Comores et de surveiller le commerce par voie maritime qui représente 90% des échanges commerciaux intercontinentaux. Par ailleurs, la France semble vouloir de plus en lus s’incruster dans la région depuis que les États Unis se sont appropriés l’île de Diego Garcia en plein océan indien. C’est à partir de cette base que ces derniers ont bombardé l’Irak pendant la première guerre du golfe et l’Afghanistan après l’attaque du 11 septembre. Depuis quelques années, on assiste au redéploiement des forces occidentales qui ont quadrillé systématiquement les régions pétrolifères de l’Afrique. La France, en parfait vassal, marche cote à cote avec les USA, barrant les routes maritimes et serrant l’étau autour de l’Asie centrale par l’installation de bases militaires à Djibouti, Mayotte, La Réunion, Diego Garcia, Abou Dhabi... Les riches gisements d’hydrocarbure de la mer Caspienne mettent face à face l’OTAN et l’organisation de coopération de Shanghai, annonçant de graves conflits futurs.

Bien des siècles avant la colonisation, la nation comorienne a toujours été une réalité historique fondée sur le même peuplement sans entité raciale ni attaches tribales ou ethniques, parlant la même langue courante apparentée au swahili, répandue d’un bout à l’autre de l’archipel, adoptant la même religion musulmane, du même rite shaféite et de la même école sunnite, pratiquée dans la tolérance par l’écrasante majorité des Comoriens, ayant la même histoire faite d’événements intimement imbriqués, portée avant même la colonisation, par le même système politique de chefferies ou sultanats, qui contrairement à une idée fausse, loin de passer leur temps à se faire la guerre, encourageaient, la polygamie aidant, les alliances et la procréation d’un bout à l’autre de l’archipel. Le tout régi par un système de libre circulation des biens et des personnes.

Depuis sa recolonisation, Mayotte, pareille à une cellule cancéreuse, a semé la zizanie dans le métabolisme de l’archipel. Avec une économie sous perfusion, aidée par la « métropole », cette île prend des airs de riche provoquant l’affluence d’une population pauvre venant des autres îles. En fermant les frontières de Mayotte, la France a provoqué une vraie hécatombe de noyés, sacrifiés sur l’autel de la discrimination, et transformé des dizaines de milliers d’Anjouanais sans papiers en esclaves surexploités par les Mahorais, semant ainsi la haine et le mépris entre les citoyens d’un même pays.

Depuis les années 70, de coup d’état en coup d’état, d’assassinat en assassinat, surtout parmi les chefs d’état qui revendiquaient la décolonisation de Mayotte, les Comores n’ont jamais connu de répit. L’évolution métastatique du mal de Mayotte atteignant les îles de Mohéli et d’Anjouan a fini par disloquer complètement une société jadis solidaire et en parfaite harmonie. Le renversement, il y a une semaine, du dictateur d’ Anjouan, Mohamed Bacar, est certainement une bonne chose, mais tant que le pouvoir français continuera à fomenter les dissensions, à diviser les Comoriens pour régner et à s’agripper aveuglément à un colonialisme anachronique, ce pays aura encore à souffrir.

Fethi GHARBI


lire aussi sur survie.org (7 novembre 2011) : Mayotte se rebelle, par Pierre Caminade





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