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Dr Omar Guèye, Enseignant à l’Ucad : « Sanokho était un comédien très mystérieux »

  Enregistrer au format PDF  envoyer l'article par mail title=    Date de publication : samedi 14 février 2015
humour   Sanokho    théâtre  
Enseignant au Département d’histoire de l’Université Cheikh Anta Diop, Dr Omar Guèye est un expert en gestion du patrimoine culturel, une formation dont il a bénéficié à l’Université Senghor d’Alexandrie. Ses recherches sur le défunt artiste, Sanokho, l’ont amené à conclure que ce comédien jadis adulé est mort comme il a vécu.

source : www.lequotidien.sn - 26 novembre 2014

Qu’est-ce qui vous a poussé à mener des recherches et à écrire un ouvrage sur le défunt comédien Sanokho ?

Au départ, je travaillais sur la préservation et la gestion du patrimoine orale. Le premier travail que je faisais était une collecte sur le Wolofal (poésie wolof) notamment la littérature mouride. Alors, la rencontre avec Sanokho est donc très anecdotique. Quand j’ai vu quelques collections de Sano­kho chez le marchand, j’ai voulu juste avoir quelque chose pour rire. Je le connaissais quand j’étais jeune écolier. J’ai alors dit au vendeur de me donner une cassette de Sanokho. Il m’a demandé de quelle cassette je parle. Je lui ai dit que je veux la cassette qu’on connaissait : Grand carré, carré d’as. Il m’a rétorqué qu’il y en a treize. J’étais impressionné. J’étais vraiment curieux. Je lui ai ensuite dit que je veux prendre les treize cassettes pour voir.

Un jour, j’écoutais. Au fur et à mesure que j’écoutais, j’avais arrêté de rire. En général, quand on écoutait Sanokho, c’était son imitation des Sérères, des Peuls, des Sara­khoulés et autres qui faisaient rire mais on ne faisait pas trop attention au discours. Pourtant, Sanokho parlait de tout ce qui se passe aujourd’hui. Je peux citer entre autres thèmes : les problèmes des marchands ambulants, de la piraterie, de l’exode rurale, des rapports interpersonnels etc. En 1981, on était élève. On se cachait pour aller chercher des cassettes de Sanokho. Il est mort en 1994. A l’époque, j’étais professeur à Sédhiou. C’est 20 ans après sa mort qu’un ouvrage lui est consacré. J’avais commencé à recenser les thèmes sur lesquels Sanokho a écrit. Tout de suite, ça m’a fait des dizaines de pages. Au départ, je disais que je pouvais en faire un article. C’était en 2008. Mais ce n’était vraiment pas mon projet. Et au fur à mesure que j’écoutais une cassette, c’était très relaxe. A chaque fois, il y avait quelque chose de nouveau que j’écrivais. Donc, j’ai découvert Sano­kho comme tous les Sénégalais. C’est-à-dire en l’écoutant.

Pour l’avoir écouté avec un esprit de chercheur, quels sont les principaux thèmes qu’abordait le comédien ?

J’ai fait des groupes de thèmes. Je les ai recensés par chapitre. Il a parlé de l’éducation, de l’argent, de l’exode rural. Parfois il est un moraliste. Il a abordé les rapports entre les élites et les personnes ordinaires. Il a parlé de la vie en prison. Il a même fait des sketchs en prison. En général, il était quelqu’un qui s’intéressait à ce qu’on peut appeler le « petit peuple ». Il ne parlait pas de sa famille mais surtout de ses relations de tous les jours. C’était vraiment l’homos senegalensis que Sanokho décrivait. En outre, il jouait un art très fascinant : la calebasse. Ensuite, il faisait dans la chanson. A chaque fois, il terminait avec une leçon de morale.

La recherche a dû ne pas être facile, quand on sait qu’il est difficile de retrouver des photos ou des images de Sa­nokho et même son album ?

Il y a une phase qui a été relativement facile parce que j’avais toutes les cassettes audio. C’était facile de les avoir parce que personne ne les écoute maintenant. Le vendeur voulait s’en débarrasser. Donc, j’ai pris toutes les collections. Il y avait un travail de transcription à faire. Il fallait écouter attentivement, et réfléchir sur ce que veut dire l’auteur et de contextualiser. Après je me suis dit : pourquoi ne pas en faire profiter aux artistes ? A partir de ce moment, j’ai commencé à transcrire tous les sketchs que j’avais en ma disposition. Le tout, fait une cinquantaine. C’est vraiment un répertoire pour les groupes de théâtre. Par ailleurs, je voulais avoir des renseignements sur le personnage. Il était très mystérieux. Il ne parlait jamais de lui ou de sa famille. Son nom est Mamadou Sanokho. J’ai eu cette information de sa sœur. Elle était un peu réticente. Elle avait des étudiants qui comprenaient ce que nous faisons à l’université. C’est là où j’ai eu des renseignements sur son état civil, son certificat de genre de mort. Il est mort accidentellement. Il a été fauché par un car rapide et le chauffeur a pris la fuite. Il était dans les accidentés anonymes. Il est mort comme il a vécu, de façon très tragique. C’est ce qu’on appelle la malédiction des génies comme Rimbaud qui ont toujours eu cette reconnaissance posthume. Sa sœur m’a remis tous les documents. Sa famille m’a expliqué qu’il n’y avait personne qui faisait la comédie ou de l’art parmi ses parents.

Vous n’avez rencontré que sa famille… ?

J’ai aussi rencontré les personnes avec qui il travaillait. Je peux citer Sonia (Sokhna Dia), ancienne animatrice à la Rts à qui je rends hommage. Elle était très enchantée par le projet. Malheureusement elle n’est plus là. La photo que vous avez à la couverture de mon livre, m’a été donnée par sa famille. Il était en groupe. Pour respecter les droits de l’image, j’ai coupé des parties. C’est la seule photo dont la famille dispose. Le jour où il était mort, il y avait un élément sur la Rts. Il me semble qu’il avait une vision de profil si mes souvenirs sont bons. Je rends hommage à sa famille qui est restée très digne parce Sanokho était également un personnage controversé. J’ai également fait le tour des éditeurs. Je fais allusion à ceux qui l’enregistraient. Il y avait quelqu’un qui s’appelle Fallou au marché Sandaga. Il était le premier à le lancer. J’ai été au studio Xippi de Youssou Ndour. Sonia m’a dit que Sanokho ne voulait pas de l’album. A un moment, Sanokho était un bon produit. Les gens lui avaient dit de se formaliser un peu. Il est mort avant que le produit ne sorte. L’album s’appelle « Salut l’artiste ! ». Là, il a repris des sketchs. On a mis de la musique. C’était un travail des musiciens du Super étoile.

Qu’est-ce qui a inspiré le titre de votre livre ?

Au départ, le voudrais intituler le texte : Sanokho ou le métier d’artiste. Mais pour coller au sujet, j’ai changé pour mettre « Sanokho ou du métier du rire » . En tant qu’historien du travail, j’ai réfléchi sur le travail d’artiste. J’ai fait une discussion pour dire que la personnalité préférée des Français est le comédien Oumar Sy. En 2012, il passe devant Nicolas Sarkozy, Yannick Noha, Zinédine Zidane. Oumar Sy a fait Les Intouchables. Il est dans le cinéma. Même Canal Horizon ne peut plus l’avoir. Oumar Sy dit que c’est maintenant que sa famille apprécie son travail. Donc, c’est vraiment un travail de fond qu’il faut faire par rapport aux orientations du métier d’artiste au Sénégal.

Dans le cadre de vos recherches, vous aviez certainement eu à découvrir ses anciens amis et ses lieux de fréquentation. On dit qu’il aimait la vie ?

Sanokho était partout ! Jusqu’à aujourd’hui (l’entretien a eu le jeudi 13 février 2014). J’ai rencontré quelqu’un qui m’a parlé de lui. Il fréquentait tous les milieux. J’ai fait de l’immersion c’est-à-dire le chercheur va dans le milieu qu’il étudie. J’ai parlé à un ami linguiste qui m’a dit que, quand Sanokho parlait pulaar, sérère, wolof et leurs différentes variations, il ne pouvait pas les maîtriser s’il ne connaît pas la langue.

Justement, Sanokho est de quelle ethnie ?

En fait, il est originaire du Mali. Son nom sonne soudanais. Pour qui connaît l’histoire du chemin de fer, Thiès était le point de rencontre de tous les gens du Soudan. Mais sa sœur m’a dit que Sanokho est né à la Médina. Du côté maternel, il est Sénégalais. Son nom renvoie à une origine malienne mais il est Sénégalais et il a fait beaucoup de villes. Je n’ai pas vu beaucoup de ses amis. J’en ai rencontré un qui m’a dit que Sanokho était quelqu’un de très instable. L’objet de mon travail n’était pas fouiner dans sa vie privée mais surtout de comprendre le personnage. J’ai trouvé beaucoup de choses que je n’ai pas mises dans le livre. C’est un travail scientifique. Je suis allé jusqu’en prison pour voir son écrou. Il a fait beaucoup de séjours en prison. Il y a même une cassette qu’il a faite sur la vie à l’intérieur de la prison. J’ai rencontré ses anciens geôliers avec l’autorisation de la direction de l’Administration pénitentiaire.

Quels souvenirs gardent-ils du défunt comédien ?

(Sourire). J’ai rencontré quelqu’un qui m’a dit qu’il avait eu Sanokho à la prison de Podor. Un autre m’a dit qu’il était à l’époque un jeune stagiaire quand Sanokho était avec eux en prison. Il les faisait rire jusqu’à l’heure de se coucher pour regagner sa cellule. Il était vraiment un prisonnier spécial. Un de mes collègues m’a dit que Sanokho a forgé son accent en prison, comme celle-ci est un milieu cosmopolite.

Aujourd’hui, il y a beaucoup de comédiens qui se réclament de Sanokho. Comment les voyez-vous à travers leurs sketchs et leurs productions artistiques ?

Il y a le comédien Yéro qui n’est rien d’autre que Samba Yéro Poulo, le personnage incarné par Sanokho. D’ailleurs, «  Peul bu nandité  » est un sketch de Sanokho. Yéro est un des rares comédiens qui a dit que tout ce qu’il sait, il le doit à Sanokho. Il l’a dit lors d’une émission qui passe à Walf Tv (Sur scène). Sa Ndiogou dit également qu’il ne connaît pas Sanokho. Pour­tant, il se surnommait Sano­kho 2. Il s’appelle Ndiogou Mben­gue. Il a pris le « Sa » de Sanokho pour l’ajouter à Ndiogou. Il y a Kouthia qui a un autre nom (Sam­ba Sine) mais il était Sanokho 2 au départ. Il y a celui qu’on appelle Docteur qui participe à l’émission « Khakhatay show » (Ra­dio Sé­négal). Son vrai nom est Ama­dou Fall. Il était Sanokho 2 aussi. Il y a un autre Sanokho 2 à Thiès. Je l’ai découvert à travers un article paru dans Le Soleil. Il faut qu’on rende hommage à Sanokho.

Birame FAYE birame@lequotidien.sn






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