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Simha Arom, une vie consacrée aux musiques de Centrafrique

Il publie ses mémoires : « La fanfare de Bangui »

  Enregistrer au format PDF  envoyer l'article par mail title=    Date de publication : lundi 15 juin 2009
Simha Arom a consacré sa vie à l’étude de la musique des peuples d’Afrique centrale. Il a étudié, en particulier, la musique des pygmées qu’il estime « absolument extraordinaire ». Après avoir longuement vécu en Centrafrique, il s’est installé à Paris où il a poursuivi une carrière d’ethnomusicologue. Il est aujourd’hui directeur de recherches honoraire au CNRS. Il vient de publier ses mémoires, La fanfare de Bangui - Itinéraire enchanté d’un ethnomusicologue, aux éditions de La Découverte. Interview.

source : www.afrik.com - 13 juin 2009

Simha Arom joue du cor dans l’orchestre national d’Israël lorsqu’en 1963 on lui demande de partir à Bangui, en République centrafricaine, pour ... créer une fanfare. La fanfare ne verra jamais le jour, mais Simha Arom a le coup de foudre pour les musiques qu’il découvre dans ce pays, et il crée une chorale à la place, qui chante le répertoire des chants traditionnels. Il est aujourd’hui l’un des plus grands spécialistes mondiaux des musiques d’Afrique, a réalisé un millier d’enregistrements auprès d’une soixantaine d’ethnies, en a tiré une trentaine de disques - dont une anthologie des musiques des pygmées Aka primée par l’Académie Charles-Cros et rééditée en CD par l’UNESCO - ainsi que trois films. Et pendant son séjour en République centrafricaine, il a tout simplement créé... le musée national, le musée Boganda, en collectant des objets venus de tout le pays. Installé en France depuis son retour d’Afrique, Simha Arom y soutiendra une thèse sur les polyphonies et les polyrythmies instrumentales d’Afrique centrale, et fera une carrière d’ethnomusicologue au CNRS, dont il est directeur de recherches honoraire aujourd’hui. Nous l’avons rencontré dans son appartement parisien, à l’occasion de la parution de ses mémoires : La fanfare de Bangui - Itinéraire enchanté d’un ethnomusicologue (La Découverte). Un livre formidable, qui restitue toute l’excitation et tout l’enthousiasme du musicien pour comprendre, répertorier et faire connaître, les musiques de peuples, dont les Pygmées, que nombre d’Occidentaux considéraient comme “primitifs” dans les années 60, parce qu’ils vivaient presque nus, dans la forêt tropicale. Mais, nous explique le musicien, les Pygmées, qui vivent de manière si fruste, produisent l’une des musiques les plus complexes et sophistiquées du monde...

Afrik.com : Dans votre livre, vous racontez comment lorsque vous avez entendu ces musiques d’Afrique centrale pour la première fois, vous vous êtes senti “heureux, comme peut l’être un chercheur d’or qui aurait trouvé quelques pépites”...

Simha Arom : Ces musiques m’ont fasciné, m’ont transporté ailleurs. C’étaient des choses comme je n’en avais jamais entendues, il était évident qu’elles avaient été “fabriquées”, si je puis dire, d’une manière extrêmement complexe, et j’étais abasourdi par la complexité, qu’on ne s’attendait pas à trouver là. Parce qu’à l’époque j’étais un musicien professionnel européen, j’avais fait le Conservatoire de Paris, j’avais pris un Premier Prix, je ne savais pas que de telles musiques pouvaient exister dans des sociétés de tradition orale. Ca se passait en 1963 : les musiques du monde n’étaient pas connues comme aujourd’hui. Des disques de musique africaine, il y en avait cinq, six, sept peut-être, en France. Et je ne comprenais absolument pas comment des musiques comme ça pouvaient fonctionner, je ne comprenais pas comment vingt personnes peuvent jouer ensemble sans chef d’orchestre, sans partition, tout ça m’a énormément étonné. En même temps, je sentais bien que cette musique était hautement structurée : ce n’était pas n’importe quoi. Parce que beaucoup de gens, en écoutant ces musiques la première fois, se disent “Mais c’est un chaos, chacun frappe et joue ce qu’il veut”. Mais pas du tout. Et j’ai consacré presque toute ma vie à les étudier. J’ai recueilli ces musiques, je les ai archivées, pour en faire quelque chose qui appartienne à la nation (sur les étagères du salon de Simha Arom, les boîtes d’archives s’alignent, numérisées depuis peu, ndlr).

Afrik.com : Avez-vous eu le sentiment, en débarquant en 1963, que les peuples africains sortaient de décennies où leur culture avait été complètement sous-valorisée par la culture coloniale, et où ces musiques traditionnelles étaient considérées comme des musiques “de sauvages” ?

Simha Arom : Absolument. Ces musiques n’étaient pas sous-valorisées : on ne s’y intéressait pas ! Les gouverneurs et les administrateurs (coloniaux) faisaient venir des gens pour “frapper le tam-tam”. C’est-à-dire avoir quelque chose d’exotique. Mais personne ne considérait que c’était de la culture ! Radio France avait envoyé là-bas quelqu’un pour enregistrer des musiques quelques années auparavant, pour la SORAFOM (Société de Radiodiffusion de la France d’Outre-mer, ndlr), l’ancêtre d’ OCORA (label de musiques du monde de Radio France, ndlr). C’était Charles Duvelle, qui dirigeait cette collection.

Afrik.com : Donc vous avez été engagé par la République centrafricaine pour recueillir les musiques du pays...

Simha Arom : J’ai été envoyé à Bangui dans le cadre de la coopération entre Israël et la République de Centrafrique. Ils m’avaient envoyé pour faire une fanfare. Et cette fanfare je ne l’ai pas faite, j’ai dit “on va faire quelque chose qui va aller plus vite, qui sera tout aussi spectaculaire, et qui demande moins d’argent et de temps”. Et j’ai créé cette chorale. Et le Président Dacko était très enthousiaste.

Afrik.com : Vous racontez que quand la chorale se produit, les ministres sont émus aux larmes d’entendre les chants de leurs villages... Parce qu’ils ne les avaient jamais entendus valorisés de la sorte...

Simha Arom : C’étaient les chants des différentes ethnies de Centrafrique dont j’avais des représentants dans la chorale. Parce qu’il me fallait des gens de l’ethnie pour enseigner aux autres et à moi-même leurs chansons. Par exemple, les pygmées ne vivaient pas en dehors de leurs campements, je n’avais pas de pygmées dans ma chorale, donc je ne pouvais pas chanter de chants pygmées - sinon je l’aurais fait.

Afrik.com : Parlons justement des Pygmées, auxquels vous avez consacré une part importante de vos recherches en ethnomusicologie ...

Simha Arom : Les Pygmées ont maintenu longtemps le mode de vie qu’ils ont eu pendant des milliers d’années. Dans les années 60, vous arriviez dans les campements pygmées, ils étaient à moitié nus, avec des pagnes faits d’écorces d’arbres, ils nomadisaient plus que la moitié de l’année dans la forêt. On se trouvait au néolithique ! Mais pour moi, la raison de mon intérêt pour eux était que leur musique est absolument extraordinaire. C’est la musique la plus complexe - complexe pour moi c’est un critère, parce que ce qui m’intéressait, en tant que musicien, ce n’était pas d’entendre une berceuse et des chansonnettes. Cette musique était extrêmement élaborée, par des gens qui vivaient dans des conditions de vie très sommaires.

Afrik.com : Dans le livre, c’est ça qui est très frappant : cette opposition entre l’extrême dénuement de ces populations pygmées - ils fabriquent leurs instruments au moment de jouer et les jettent ensuite - et l’extrême sophistication de leur musique. Pour vous, y a-t-il un lien entre le niveau de développement matériel et la place de la musique dans cette société ?

Simha Arom : J’ai constaté qu’il y a une relation inversement proportionnelle entre la richesse de l’art plastique et la richesse de la musique. Dans les sociétés où vous avez des masques, des sculptures, extrêmement développés, je trouve que la musique est moins élaborée, donc pour moi moins intéressante - même si je n’ai aucun droit de dire moins intéressante. Alors que quand on arrive chez des gens qui vivent de la façon matériellement la plus rudimentaire, ils ont une musique qui dépasse tout ce qu’on peut imaginer ! Et ça, ça m’a beaucoup frappé. Pour faire une analogie qui n’est peut-être pas très bonne, si on dit que les Juifs c’est le peuple du Livre, je dirais que les Pygmées c’est le peuple de la musique. Les Pygmées n’ont rien : tout est dans la tête.

Afrik.com : Quelques exemples de la place centrale de la musique chez les Pygmées ?

Simha Arom : Par exemple, je faisais mes tournées entre les campements avec ma Land-Rover : quand je pars, ils montent à l’arrière, là où c’est découvert, il y en a 20 ou 25 qui se poussent, et dès que la voiture démarre, ils se mettent à chanter ! Quand je reviens les voir, après un an ou plusieurs années d’absence, on se rencontre, il y a un moment de timidité, ils baissent la tête comme ça, et au bout d’un moment ils se mettent à chanter... Il n’y a pas de journée dans un campement pygmée où il n’y a pas de musique. Quand les femmes vont cueillir des baies, elles chantent. Quand les hommes reviennent de la chasse, sur le chemin du retour s’ils ont attrapé quelque chose, ils chantent...

Afrik.com : Ces musiques sont-elles en train de disparaître avec la modernisation ?

Simha Arom : Oui, elles sont malheureusement en train de disparaître. Je peux témoigner de la disparition de toutes sortes de répertoires : quand je reviens 20 ans après, et que je dis : “j’étais dans votre village et j’ai enregistré " ouh lààà ! ça, ça n’existe plus !”. Et même à l’époque, dans les années 70, je venais quelque part, et je demandais s’ils jouaient de ça, on me répondait : “ah oui, autrefois !”. Pourquoi ? Parce que la plupart de leurs instruments sont en bois, qui est mangé par les termites, et il faut qu’il y ait des artisans qui en fabriquent de nouveaux. Et maintenant les jeunes ne veulent plus jouer de ces instruments, ils trouvent ça ringard, ils ont des transistors, ils écoutent la musique, ils veulent des guitares électriques, des trucs comme ça, ils ne veulent pas passer pour des ringards. Alors il y a une désaffection pour ces musiques. Et vous connaissez la célèbre phrase d’Amadou Hampaté Ba : là, on peut dire que chaque vieux musicien qui meurt, c’est un pan de la musique qui disparaît. Parce que quand toute la génération aura disparu, il n’y aura plus personne pour prendre le relais. On ne peut pas faire de “revival” : il ne reste rien. Vous comprenez, si vous sautez une génération, on ne peut plus reconstruire. Moi j’ai poussé des cris d’alarme à droite et à gauche, mais personne ne m’a entendu. C’est pour ça qu’au début, je ne faisais pas du tout de musicologie : je faisais de la collecte. De l’anthropologie d’urgence. Il fallait collecter autant que possible. Parce que je savais qu’un jour, comme tout le monde me le disait en rigolant, “les Pygmées viendront au Musée de l’homme pour écouter tes enregistrements, voir leurs instruments, et réapprendre leur propre musique”. Malheureusement, ce n’est pas impossible...

Nadia Khouri-Dagher


visiter le site internet du laboratoire du CNRS “Langues, musiques, sociétés” où travaille Simha Arom : www.vjf.cnrs.fr/lms/accueil.htm

Commander La fanfare de Bangui : Itinéraire enchanté d’un ethnomusicologue, de Simha Arom, Ed. La Découverte, 204 pages, 2009 - 13 euros

lire aussi sur www.mondomix.com (07/06/2011) : Hommage à Simha Arom, le Sherlock Holmes des musiques africaines , Propos recueillis par François Mauger






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