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La pêche sénégalaise en eau trouble

  Enregistrer au format PDF  envoyer l'article par mail title=    Date de publication : mercredi 23 septembre 2009
pêche   UE  
Malgré le non renouvellement de l’accord de pêche entre l’UE et le Sénégal, des chalutiers et thoniers européens continuent de racler les ressources de ses mers, fortement menacées d’épuisement

source : www.lesafriques.com - 10-07-2009

Le Sénégal a reçu de l’Union européenne quelque 220 millions d’euros en guise de redevances, au titre des accords de pêche qui autorisaient les chalutiers et thoniers espagnols, portugais, français, italiens et grecs à opérer régulièrement dans ses eaux territoriales, de février 1980 à juin 2006. Depuis lors, plus un euro n’est, à ce compte, tombé dans caisses du Trésor public sénégalais. Les discussions pour le huitième renouvellement desdits accords sont, en effet, au point mort depuis trois ans, à force d’achopper sur des points qui sont loin d’être de détail.

« Même si la compensation financière versée par l’UE est importante, elle ne représente qu’une petite partie de la valeur des ressources pêchées. Ainsi, un euro dépensé par l’UE pour la signature d’accords de pêche, en rapporte 3 ou 4 au niveau européen. »

Pour mémoire, le protocole 2002-2006 n’avait pu être signé qu’avec une année de retard et après neuf âpres rondes de négociations. Il avait rapporté 64 millions d’euros, soit 16 millions de plus que pour le précédent, alors que la contrepartie pêche avait été fortement réduite, au nom de la nécessité vitale de la sauvegarde et de la régénération des ressources halieutiques du Sénégal qui, en 25 ans, ont diminué de trois quarts. Les bateaux européens se sont donc retrouvés avec des possibilités de pêche ramenées de 2131 tonneaux de jauge brute (TJB) à 1500 TJB pour la pêche démersale côtière et de 7869 TJB à 6500 TJB pour la pêche démersale en eaux profondes, outre la suppression des 22 licences dévolues, dans l’accord précédent, aux chalutiers pélagiques.

Une arête dans la gorge

Ces concessions sont bien évidemment restées comme une arête dans la gorge des négociateurs européens. Raison pour laquelle, jusqu’à ce jour, Bruxelles a opposé un niet catégorique au Sénégal, qui exige la réduction d’au moins 60% des quantités de captures autorisées au large de ses côtes, voire le renoncement des Européens à la pêche démersale côtière, afin de ne pas léser les pêcheurs artisanaux, mais avec la hausse du montant de la contrepartie financière où, à tout le moins, son maintien à son niveau de 2002-2006, à raison de 16 millions d’euros l’an.

Le Sénégal est bien dans son bon droit, comme le justifie la Coalition pour des accords de pêche équitables ( CAPE ). Elle soutient que, « les calculs ont montré que, même si la compensation financière versée par l’UE est importante, elle ne représente qu’une petite partie de la valeur des ressources pêchées. Ainsi, un euro dépensé par l’UE pour la signature d’accords de pêche, en rapporte 3 ou 4 au niveau européen. »

Pêche artisanale

Pour les Européens, il n’est plus question d’accepter la diminution de leurs possibilités de pêche sans celle de la compensation financière, qu’ils voudraient par ailleurs voir servir au développement de la pêche locale, artisanale en particulier.

Les négociations en sont restées à ce point de désaccord, ainsi que sur d’autres. Mais la constante est que les ressources des eaux territoriales sénégalaises continuent d’être ruinées par la surpêche.

Les Européens s’en défendent encore, en pointant un doigt accusateur sur la pêche artisanale. Leur argument est que les captures de leurs navires au Sénégal, dans le contexte de l’accord de pêche 2002-2006, ne représentaient qu’environ 10% du total, contre 80 à 90% pour les pêcheurs locaux forts d’un armement de quelque 15 000 pirogues motorisés.

Il est vrai que, comme on le reconnaît dans cette corporation, la pêche artisanale s’est densifiée au Sénégal au cours de ces deux dernières décennies, durant lesquelles la crise de l’agriculture a poussé de jeunes ruraux vers les côtes, dans le secteur de la pêche en particulier. Ce mouvement a effectivement accru l’activité de pêche, provoquant un état de surexploitation relative des ressources côtières. Mais la surpêche destructrice qui empêche le renouvellement régulier des espèces et conduit inexorablement à leur extinction est plutôt le fait majeur d’une pêche industrielle surdimensionnée, qui se pratique sur un nombre croissant de navires reconvertis en bateaux congélateurs pour une rentabilité accrue.

Sociétés-écrans

Normalement, ces navires devaient avoir quitté les eaux sénégalaises depuis juin 2006 et la fin des accords de pêche avec l’UE. Mais ils sont toujours là, par l’entremise de sociétés censées être de droit sénégalais, qui cachent mal leur véritable nationalité. Sur les quelque 120 bateaux dits sénégalais, et quelques rares exceptions autorisées à pêcher dans la Zone économique exclusive du pays, «  plus de la moitié sont en réalité des sociétés mixtes qui servent d’écran à des intérêts étrangers », signalent des armateurs locaux. Dans l’autre moitié, effectivement sénégalaise, nombre de bateaux, vieux de plus de trente ans et bons pour la casse, ne vont guère loin en mer, s’ils la prennent de temps à autre.

Et, accords de pêche où pas, l’essentiel de la production halieutique sénégalaise continue de prendre le chemin de l’Europe. Fermées ou moribondes, les conserveries locales ne sont plus de la partie.

Les pêcheurs industriels ne débarquent plus grand-chose à Dakar. Les captures de qualité des pêcheurs artisanaux sont également exportées par le canal de PME spécialisées. Au grand dam des ménages sénégalais, obligés de se contenter des espèces les moins nobles. Malgré la baisse de volume des exportations, estimées à 350 000 tonnes en 2008, contre 400 000 tonnes en 2000, les revenus qui en découlent sont demeurés croissants dans le même temps. Ils sont passés de 229 millions d’euros à quelque 282 millions d’euros. Mais ces gains ne font qu’accentuer les ravages d’une pêche en eaux troubles.

Amadou Fall, Dakar


lire aussi sur www.walf.sn : Pêche en Casamance : Des milliers d’emplois menacés à cause de la rareté du poisson
et : Contre le pillage des ressources halieutiques : Une Ong américaine propose la certification des produits de la pêche, par Khady BAKHOUM

sur www.bakchich.info (25 mars 2009 ) : Petit pécheur européen qui noie le poisson sénégalais, par Anthony Lesme, Mara Bout

sur www.lagazette.sn (6 mai 2009 ) : SUREXPLOITATION DES ZONES COTIERES - Le Sénégal dans la tourmente, par Abdoul Aziz DIOP

sur www.grain.org (Juillet 2009 ) : Côtes dévastées et mers stériles

et : SUREXPLOITATION DES RESSOURCES HALIEUTIQUES : 600 000 emplois menacés au Sénégal

sur www.aps.sn (23/09/2009) : Claude Sène : Le Programme pour la gestion des AMP vise à contribuer à la conservation de la biodiversité

et sur www.afrik.com (4 novembre 2010) : Accords de pêche entre l’Afrique et l’Europe : un enjeu vital - Ensemble pour la préservation des ressources maritimes, par Alicia Koch





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