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L’Afrique au secours du développement ?

  Enregistrer au format PDF  envoyer l'article par mail title=    Date de publication : mercredi 5 août 2009
Et si l’Afrique nous venait en aide, au moment où une crise majeure s’abat sur le monde ? Ce scénario est loin d’être impossible. Réserve incroyable de matières premières, l’Afrique pourrait bien, à l’avenir, nous donner des leçons sur l’emploi, l’endettement public et l’environnement. Après une analyse du système financier international et des crises majeures successives qui l’ont marqué, Sanou Mbaye, montre que l’Afrique peut devenir ce « nouveau moteur économique » qui va générer des millions d’emplois « dont le monde a besoin dans les décennies à venir pour restaurer ses équilibres ». Pour lui, « cet objectif doit constituer les fondations d’un nouveau partenariat entre l’Union africaine, ses États membres et la communauté internationale ». Mais il faudrait, à cet effet, que l’Afrique change de paramètres dans certaines de ses perceptions sociales, culturelles et éducationnelles.

source : www.pambazuka.org - 2009-07-24

De la fin de la seconde guerre mondiale au début des années 1970, les pays industrialisés, particulièrement ceux membres de l’ OCDE , ont connu une période de très forte croissance économique. Cette création de richesse a été financée par des crédits accordés selon les conditions et modalités définies dans les accords de Bretton Woods signés en juillet 1944. Avec le dollar élevé au statut de monnaie de réserve mondiale, les États-Unis s’endettèrent massivement pour financer leurs différentes activités. Il s’est ensuivi une explosion de la masse monétaire américaine et l’incapacité des États-Unis d’honorer la parité or-dollar. Deux options leur étaient offertes : dévaluer le dollar ou abolir l’étalon or. Le président Richard Nixon opta pour l’abolition en 1972.

Cela a consacré l’ère d’une économie d’endettement et d’une création monétaire totalement assujettie au volume des crédits levés par les banques, les États, les entreprises et les particuliers. Les pays se sont dotés de réserves internationales de devises pour se prémunir contre les chocs macroéconomiques et les désordres monétaires inhérents à cet usage généralisé de « monnaie papier ». Toutefois, le fait que ces réserves soient dénommées à 62% en dollars, et que les autres devises internationales (euro, yen, livre sterling, et autres) obéissent aux mêmes règles d’émission que le dollar, limite leur portée.

La levée de toutes les mesures de régulation et de sécurisation des transactions financières lors du big-bang [1]) des années 1980 a fini de parachever le processus de dérégulation des marchés des capitaux. Cela a donné naissance à la financiarisation accélérée des économies des pays industrialisés, principalement celles des États-Unis et des pays européens. Les investissements productifs ont cédé le pas aux opérations spéculatives : «  produits dérivés », « titrisation », « ventes à découvert de titres », etc. Les spéculations portent sur le niveau des taux d’intérêt, le prix du baril de pétrole, les prix agricoles, les cours des devises, des matières premières, des actions, etc.

Dans un tel système, les crédits sont adossés à d’autres crédits qui leur servent de garantie et non à des actifs réels comme de coutume. En matière de « titrisation » par exemple, les banques transforment leurs portefeuilles de crédits immobiliers en titres financiers qu’elles revendent aux investisseurs. Les risques inhérents à ces produits financiers sont énormes. Les banquiers n’en ont cure, dès l’instant que les bénéfices astronomiques qu’ils engrangent servent de base de calcul aux bonus reversés qui représentent 60% de leurs émoluments.

Ces pratiques spéculatives, non seulement privent l’économie réelle d’investissements productifs et de créations d’emplois, mais elles contribuent, de surcroît, à l’instabilité du système monétaire international et à la fragilisation de l’ordre économique et des pouvoirs publics.

La crise des « subprimes »

L’édifice s’est donc tout naturellement effondré lorsque des millions de ménages américains ont été incapables de rembourser leurs crédits immobiliers. Les banques ont enregistré des pertes énormes. Pire, l’étendue des créances douteuses et la valeur réelle des « titres toxiques » adossés à ces crédits immobiliers rebaptisés « subprimes » ne sont pas quantifiables. Confrontées à une telle situation, les banques ont réduit leurs opérations. Une contraction de crédits qui alimente à son tour le déclin de l’investissement et de la demande de biens de consommation, une baisse de la production, l’érosion de la rentabilité des entreprises, la sous utilisation de leurs capacités productives, les faillites, et les licenciements.

Les États occidentaux sont intervenus pour renflouer les banques avec des plans de sauvetage estimés à des centaines de milliards de dollars afin d’éviter leur déconfiture et pour les inciter à reprendre leurs activités. Pour se faire, ils recourent à l’endettement et à l’utilisation de la planche à billets, comme en Angleterre et aux Etats-Unis, au risque de créer de l’inflation qui frappera d’abord les couches les plus fragiles de la population : ceux qui sont sans revenus réguliers ou ont des revenus non indexés, et les chômeurs qui seront légions.

Quelle que soit la portée de telles mesures, l’architecture du nouveau système monétaire qui va émerger de cette crise devra, pour être viable, assujettir l’émission monétaire à un étalon, restaurer la fixité des taux d’intérêt, des taux de changes, des commissions et des prix, sécuriser et réguler les activités du marché des capitaux et des paradis fiscaux. La restauration de la compétence socio-économique des États, laminée par les politiques néolibérales de la mondialisation, est un préalable à la prise et à la mise en place de telles mesures.

Les États-Unis et la Grande Bretagne ont été les principaux protagonistes de la conférence de Bretton Woods durant laquelle ont été élaborées les grandes lignes du système financier international qui vit le jour en 1944. Dans la géopolitique mondiale actuelle, les États-Unis et la Chine seront les acteurs majeurs du nouvel ordre qui est en négociation au sein du G20 élargi à l’ Union africaine . Le monde aura toujours besoin de foyers de développement pour servir de «  locomotives » de croissance à ses activités économiques. Les pays du BRIC (Brésil, Russie, Inde, et plus particulièrement la Chine) ont joué ce rôle ces dernières décennies. Mais, leurs appareils productifs alimentés par un usage inconsidéré d’énergies polluantes n’ont, en rien, différé de ceux des pays occidentaux.

Dans la nouvelle division internationale du travail [2] qui va naître de la crise actuelle, il est probable que pour limiter les dégâts environnementaux inhérents à leurs modèles de développement ces pays vont remodeler leurs appareils productifs. La formation première de leur richesse devrait provenir d’avantage de leurs industries de service, de haute technologie et de production de produits de substitution à leurs importations, que de leurs exportations de produits manufacturés. Dans une telle configuration, il restera l’Afrique comme candidate potentielle pour servir d’ «  usine » et de moteur à la reprise mondiale.

Appeler l’Afrique à l’aide ?

En ce qui concerne le continent africain, les médias font état des famines, des guerres, de la corruption, du sida et des dettes qui le minent. Il est toutefois bon de rappeler que pour financer leur développement, les pays d’Afrique sub-saharienne, à l’exclusion de l’Afrique du sud, n’ont pas eu accès aux marchés des capitaux.

À leur accession à l’indépendance, ils ont hérité des dettes que leurs colonisateurs anglais et français avaient contractées pour les exploiter. Ceci les plaçait dans une position d’insolvabilité selon les agences de notation qui détiennent le sésame d’accès aux marchés des capitaux. Ils ont donc été contraints de recourir à l’aide pour financer leur développement.

Les prêts et les dons alloués au titre de l’Aide publique au développement ( APD ) par les Institutions financières internationales ( IFI) , essentiellement la Banque mondiale et le FMI , et par les pays occidentaux sont utilisés pour rémunérer les biens et services liés à l’exécution de projets et de programmes qui répondent davantage aux impératifs d’exportation des pays développés qu’aux besoins réels des pays emprunteurs. Les sommes accordées peuvent aussi servir à rembourser des arriérés de paiement. L’« aide » sert également à financer des opérations humanitaires, des projets d’assistance technique et des annulations de dettes publiques.

Les budgets de l’APD incluent aussi une enveloppe « sécurité » qui sert à financer des achats d’armes et des opérations militaires. Les centaines de millions de dollars dépensés par les États-Unis dans sa croisade contre Al-Qaïda en Afrique sont prélevés sur le budget de l’USAID [3] . De même, le Fonds européen de développement (FED) finance une partie du budget annuel de plus de 400 millions d’euros alloué aux forces européennes de maintien de la paix en Afrique. Les prêts de l’APD sont également assujettis aux conditions du consensus de Washington : libéralisation du commerce, dérégulation des circuits financiers, privatisation des actifs publics et austérité budgétaire.

La construction de l’Afrique comme nouveau moteur économique peut donner naissance à la création des millions d’emplois dont le monde a besoin dans les décennies à venir pour restaurer ses équilibres. Cet objectif doit constituer les fondations d’un nouveau partenariat entre l’Union africaine, ses États membres et la communauté internationale. L’environnement économique dans la région est favorable à cette révision radicale. Les conditions requises pour une industrialisation florissante et un décollage économique sont remplies, à savoir : une croissance continue du PIB, un niveau faible d’endettement, la solvabilité, des taux de profits élevés, une sécurité des investissements, une main-d’œuvre qualifiée et une abondance de sources d’énergies renouvelables. En matière de croissance, en dépit du piège des IFI et de l’APD combiné à la modicité des Investissements directs à l’étranger (IDE), l’Afrique sub-saharienne n’a quasiment pas connu de récession depuis un demi-siècle si on s’en tient au PIB hors démographie. En revanche, le PIB par habitant a été faible, voir négatif sur certaines périodes

L’Afrique, nouvel El Dorado ?

Plusieurs facteurs ont contribué à alimenter cette croissance ces dernières années. Il y a eu, d’abord, la remontée des cours des matières premières. Alors que les prix de ces dernières avaient fait l’objet de spéculation à la baisse de la part des pays occidentaux pendant des décennies, la forte demande en provenance de la Chine et d’autres pays émergents a impulsé un mouvement de hausse à ces prix. Une autre source de croissance économique africaine est liée à l’exode rural et à l’urbanisation qui en a résulté. Cela a renforcé un secteur informel dynamique qui contribue à la création de 90% des emplois contre 5% pour le secteur public et 5% pour le secteur privé. L’augmentation de la production vivrière et du commerce intra-régional, un accroissement des investissements américains et chinois dans l’exploitation pétrolière, un volume d’échanges en perpétuelle croissance avec la Chine, les transferts des migrants dont on estime le montant supérieur à celui de l’aide, constituent les autres facteurs de croissance des économies africaines.

S’agissant de la dette publique africaine qui soulève tant de débats, il serait opportun de rappeler qu’elle se monte à 300 milliards de dollars, soit seulement 0,6% de l’endettement public mondial comparée à 90% pour les pays occidentaux et 8% pour l’Asie. C’est dire, l’étendue de la marge de manœuvre dont disposent les pays africains pour s’écarter de l’industrie de l’aide et privilégier la mobilisation de l’épargne intérieure et nationale dans les bourses nationales et régionales. Des dizaines de ces dernières sont opérationnelles sur le continent. Elles ont servi à des établissements comme la Banque Européenne d’Investissement (BEI) et la Société Nationale de Télécommunications du Sénégal (SONATEL) pour émettre des emprunts en monnaies locales africaines. Ces opérations de mobilisation de l’épargne interne ont été largement couronnées de succès.

De surcroît, pour leur accès aux marchés des capitaux, plusieurs pays ont désormais reçu des notations financières qui se sont révélées supérieures ou égales à celles de nations aussi industrialisées que la Turquie, le Brésil ou l’Argentine. En septembre 2007, le Gabon et le Ghana ont levé respectivement 1 milliard et 750 millions de dollars sur le marché des capitaux. La tendance devrait se poursuivre et s’amplifier, surtout si l’on considère la solvabilité des pays de la région.

La valeur financière des gisements africains de matières premières, connus à ce jour, s’élève à 46 200 milliards de dollars. Ce patrimoine gigantesque de ressources naturelles est capable d’assurer la solvabilité des pays africains bien au-delà de leurs besoins pour peu que leurs dirigeants fassent preuve d’une bonne gestion politique et économique dans leur valorisation .

L’Afrique, continent d’un nouveau développement

S’agissant de la profitabilité des investissements, c’est en Afrique, selon le Bureau d’Analyse Economique du Département d’Etat des États-Unis, où l’on réalise, en règle générale, les profits les plus élevés. Le taux de rentabilité interne sur les investissements directs étrangers a été en moyenne en 2000, de 19,4% en Afrique, comparés à 18,9% au Moyen-Orient, 15,1% en Asie-Pacifique, 8,3% en Amérique Latine et 10,9% en Europe. Mais, en dépit de la supériorité de ses marges bénéficiaires, l’Afrique n’a attiré que 1,1 milliards de dollars d’investissements directs étrangers en 2000, contre 1,9 milliards de dollars au Proche-Orient, 21 milliards de dollars à l’Asie-Pacifique, 19,9 milliards de dollars à l’Amérique Latine et 76,9 milliards de dollars à l’Europe .

La part des investissements réservée à l’Afrique est non seulement modique, mais elle est également restreinte au secteur primaire et aux hydrocarbures. Cette situation perpétue l’asservissement de la région et à son appauvrissement dus à l’exploitation systématique de ses ressources sans contrepartie d’investissements productifs, de créations d’emplois et d’exportations de biens manufacturés. Autre facteur qui incite à investir en Afrique : l’existence avérée d’une main-d’Å“uvre qualifiée. Selon la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA) et l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), 23 000 universitaires et 50 000 cadres supérieurs et intermédiaires quittent chaque année le continent africain tandis que 40 000 africains titulaires d’un doctorat vivent déjà hors du continent. Les deux tiers des étudiants restent dans les pays d’accueil après leur formation, faute de perspectives dans leurs pays d’origine.

En ce qui concerne l’environnement, les émissions de gaz carbonique qui sont à l’origine du réchauffement climatique résultent, en grande partie, du modèle de développement de l’Occident basé sur l’exploitation démesurée des ressources naturelles du patrimoine mondial. La crise financière qui affecte le monde se double d’une crise écologique. Sa résolution passera par la restauration d’un environnement écologique mondiale viable. D’où l’urgence de substituer aux énergies fossiles des énergies propres. Sur ce chapitre, il convient de noter la richesse de l’Afrique noire en énergie hydraulique avec des réserves estimées à des milliers de milliards de kilowatts/heure, représentent environ la moitié des réserves mondiales.

Les pertes importantes qui étaient liées au transport de l’électricité sur un réseau de courant alternatif étant désormais maîtrisées grâce aux percées technologiques réalisées en matière de courant continu à haute tension, l’exploitation de l’énergie hydroélectrique du seul fleuve Congo, avec l’aménagement des barrages d’Inga et de Kisangani, pourrait suffire à satisfaire les besoins en électricité du continent noir, et même ceux des pays d’Europe du sud. Mieux encore, quelle que soit l’ampleur des ressources hydroélectriques que recèle l’Afrique, elles sont négligeables comparées à celles qu’offre l’énergie solaire. Le soleil déverse sur la terre, tous les ans, l’équivalent de 1,5 millions de barils d’énergie pétrolière au kilomètre carré. Grâce à la technologie d’« Ã©nergie solaire concentrée », il suffirait de concentrer l’énergie solaire sur une superficie équivalente à 0,5% des déserts chauds, en l’occurrence celui du Sahara, pour couvrir les besoins du monde en énergie.

Comme on le voit, l’Afrique serait prête à chausser les bottes de la Chine comme « atelier » du monde. Cela nécessiterait, toutefois, une véritable révolution sociale, culturelle, et éducationnelle. En effet, des traumatismes engendrés par les pesanteurs de l’histoire qu’ont été l’esclavage et la colonisation ont résulté en la déstructuration de la personnalité des Noirs. Les complexes d’infériorité, l’absence de conscience historique, le manque de confiance et de foi en soi, ont conduit à un comportement empreint de mimétisme, de soumission et de dépendance. Le système de domination institué par l’Occident se perpétue en se métamorphosant en « forces internes », à travers les pratiques sociales des dirigeants, des élites, des groupes et des classes locales qui servent les intérêts étrangers.

S’il ne fait pas de doute que l’Afrique constituerait un des foyers de croissance de l’ère post-crise, il faudrait cependant deux préalables pour que cela profite à ses populations.

Tout d’abord, il faut que l’Occident cesse de piller les ressources du continent, d’y fomenter des désordres et de s’en servir comme prétexte pour y justifier le déploiement de ses forces militaires afin de perpétuer, en toute impunité, une politique d’occupation qui date de plusieurs siècles.

En parallèle, le continent doit s’embarquer dans un vaste programme d’éducation afin de susciter l’émergence d’une culture de solidarité et d’indépendance, une transformation radicale des mentalités, une restructuration de la personnalité de l’homme noir, une modernisation des sociétés africaines et une révision de la culture prédatrice de l’exercice du pouvoir des dirigeants et des élites.

Sanou Mbaye
économiste sénégalais, ancien fonctionnaire de la Banque africaine de développement.
Il est l’auteur de L’Afrique au secours de l’Afrique (Éditions de l’atelier, 2009)


Notes :

[1] 27 octobre 1986 : dérégulation marchés financiers : suppression commissions fixes - suppression division traditionnelle entre brokers, courtiers passant les ordres des investisseurs, et jobbers, techniciens fixant les prix - introduction système électronique de cotation - mise en place salles de marché

[2] Répartition de la production mondiale des biens et des services entre pays ou zones économiques plus ou moins spécialisées

[3] United States agency for international development (l’Agence des États Unis pour le développement international). Théoriquement indépendante, cette agence est chargée du développement économique et de l’assistance humanitaire dans le monde.




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