le magazine du Sénégal dans le monde

Délocalisés à Fass, les ébénistes prennent leur mal en patience

  Enregistrer au format PDF  envoyer l'article par mail title=    Date de publication : vendredi 21 août 2009
artisanat   Dakar  
Dakar, 13 août 2009 (APS) - La cinquantaine à vue d’œil, un bazar tout autour de lui, Yelly Sidibé, le visage grave, grille tranquillement une cigarette à l’ombre d’un feuillage sur le rebord du Canal de Fass.
Ce lieu, jadis infréquentable à la nuit tombante, devenu par la force des choses le point de chute des menuisiers et ébénistes déguerpis de la Corniche-Ouest de Dakar, à cause des ’travaux d’élargissement et d’embellissement’ de cette voie.

"Nous nous sommes levés un beau jour et on nous a dit de chercher un autre abri. Voilà ce qui nous a amenés ici’’, renseigne-t-il, en ce début de la matinée. Cet exposant guette le premier client venu s’équiper en mobilier de maison.

Sur place, un ménage trouve tout ce dont il a besoin pour équiper sa maison : salon, armoire, chambre à coucher individuel ou à deux (dont raffolent les nouveaux mariés). Il y a aussi les coquettes tables à manger faites avec du fer.

"J’en suis aujourd’hui à ma quatrième année ici’’, poursuit-il, tout en écrasant au sol, le bout de mégot qu’il tient par devers sa main gauche. Pantalon vert, tee-shirt blanc au col déchiqueté, sandales noires en plastique, Yelly a le visage grave.

A l’instar de ses camarades d’infortune, il suit l’adage, contre mauvais fortune bon cœur. Ils se plaignent d’être sevrés de ’’l’attractivité’’ que leur assurait la corniche.

Cette situation, lui et ses collègues la vivent mal. Leur ancien site était pour certains d’entre eux, un patrimoine qu’ils avaient fini d’adopter. Pour d’autres, c’était le véritable filon des bonnes affaires.

"J’ai passé vingt-sept années de ma vie professionnelle sur la corniche, à exposer des meubles. Les choses marchaient bien là-bas, mais ici, ce n’est pas tout à fait le cas’’, souligne-t-il, d’un ton nostalgique du temps des bonnes affaires. Qu’ils sont venus rattraper à Fass.

"A l’époque, les autorités avaient promis de nous dédommager et de nous trouver un nouveau site de recasement. Mais jusqu’à présent, leurs propos sont restés à l’état de promesse’’, regrette-t-il. "Nos amis du village artisanal (de Soumbédioune), eux ont, par contre, été dédommagés.’’

"Avec cet appui financier, nous pourrions refaire une nouvelle vie ici’’, affirme Yelly Sidibé. "Nous avons perdu nos clients traditionnels lorsque nous sommes venus nous installer à Fass. Ici, poursuit-il, notre commerce souffre le manque de visibilité. Ce n’était pas le cas à la corniche’’.

Pape Matar Ndiaye estime que depuis qu’ils se sont installés dans ce coin, leur chiffre d’affaires en a pris un sacré coup.

"Quand nous étions sur la corniche, nous ne pouvions pas rester deux semaines sans vendre un salon. Mais cet enclavement a fait que les clients sont devenus rares et notre matériel s’entasse ici faute d’acheteur’’, déplore-t-il, les mains dans ses poches et le corps dans un uniforme bleu.

Le regard jeté vers l’horizon d’un âge d’or dont la face terne se joue à Fass, Pape Matar révèle qu’auparavant, un salon s’échangeait à hauteur de 700.000 francs CFA. ’’Actuellement, dit-il, ce prix a chuté jusqu’à 400.000 FCFA’’.

"Il faut batailler ferme pour faire plier les clients’’, selon lui. Il affirme que le bois avec lequel ils fabriquent les meubles ’’n’a rien à avoir avec le mobilier importé qui n’est pas du tout résistant à l’usure du temps’’.

"Le propre des meubles dont nous souffrons de l’importation, c’est qu’une fois gâté, vous ne pouvez plus les réutilisez. Tout le contraire des nôtres que vous pouvez utiliser à souhait et à durée indéterminée’’, précise-t-il.

A cet effet, Pape Matar Ndiaye invite les autorités à les aider à combattre l’exportation de meubles. ’’Il y a beaucoup de gens qui s’activent dans ce secteur et qui ne sont pas les personnes recommandées’’, soutient-il.

Si le rebord du Canal de Fass est peu propice à l’éclosion des bonnes affaires, Pape Matar considère que la tendance peut être inversée. "A condition que le coin bénéficie d’un coup de pouce des autorités’’, signale-t-il.

"Je pense que le coin peut afficher de bonnes dispositions en matière d’affaires si les infrastructures identiques à celles qui étaient dans la corniche sont installées ici’’, espère-t-il.

"Si on mettait une dalle par-dessus le canal, ce serait déjà un début de solution’’, préconise-t-il. La plupart des menuisiers qui sont actuellement à Fass possédaient leurs ateliers jumelés à leur espace d’exposition, les showrooms. Les charges étaient amoindries et la vente facilitée.

A quelques encablures, Omar Diouf est loin de s’apitoyer sur son sort. Il est optimiste et soutient que le site peut revêtir un nouveau visage s’il est électrifié. A la tombée de la nuit, renseigne-t-il, le coin est dangereux et reste à la merci des agresseurs.

Néanmoins, explique-t-il, les exposants ont engagé des gardiens qui veillent sur leurs meubles. La sécurité des lieux est une vertu trouvée dans l’implantation de ces menuisiers. L’axe Fann-Hock/Fass était réputé dangereux.

"Même les riverains du coin nous disent que c’est grâce à notre présence sur ces lieux qu’ils osent sortir la nuit de leurs maisons, pour faire leurs courses’’, argumente Omar Diouf, avec une satisfaction qu’il a du mal à dissimuler, le visage rayonnant.

"Je me rappelle un jour, un étudiant a été agressé sous nos yeux et il n’a dû son salut qu’à notre intervention’’, renchérit Yelly Sidibé.

PIK/ESF/SAB


lire aussi sur www.seneweb.com (30-08-2008 ) : DAKAR ENVAHIE PAR LES MOBILIERS IMPORTÉS : Les menuisiers sénégalais menacés

et sur www.aps.sn (03/10/2009) : La filière menuiserie génère 42 milliards de francs CFA, selon Masseck Diop





Lettre d'info

Recevez 2 fois par mois
dans votre boîte email les
nouveautés de SENEMAG




© 2008 Sénémag      Haut de page     Accueil du site    Plan du site    admin    Site réalisé avec SPIP      contact      version texte       syndiquer