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Double peine ? Boubacar Boris Diop, romancier auto-traducteur

Décryptage de démarque

  Enregistrer au format PDF  envoyer l'article par mail title=    Date de publication : lundi 2 novembre 2009
’ Traduire, c’est trahir ’, professe un adage des Anciens, dont l’on s’exonérera de citer la version en latin, cette langue morte. Puisqu’il faut bien laisser les morts enterrer les morts.
« Doomi Golo », roman en langue wolof publié en 2003 aux éditions Papyrus (Sénégal) par le romancier sénégalais Boubacar Boris Diop, Å“uvre que le profane traduisait d’un générique ’Les enfants du singe’, a été traduit en français par son propre auteur et re-publié en août 2009. Cette fois, aux éditions Philippe Rey (France), sous le subtil et génésique titre, ’Les petits de la guenon’.

Perdant au change ? Gagnant, en tous les cas, en clarté.

Traduire son propre roman ? Cette manière de "double peine" littéraire que s’est ainsi infligé le par ailleurs auteur (Bubakar BÓris Joob ?) de " Murambi, les ossements " et de " Négrophobie ", suscite quelques questionnements.

Si le choix d’écrire en wolof était un acte militant du romancier, qui tentait de s’élever ainsi contre le concept de littérature-monde dans lequel les Francophones périphériques sont enfermés, aboutissait à une circulation confidentielle de l’opus, on ne peut qu’espérer que la version en français aura une audience (potentielle) beaucoup plus large.

Ecrit vain ? Pour qui écrit-on ? Pour son peuple, son ethnie ou pour le monde pris en chaque individu ?

Traduire sa propre Å“uvre n’est pas inédit. Milan Kundera, immense auteur d’origine tchèque, désormais "francophone" avait dû s’y résoudre. Les premiers romans de l’auteur de "La plaisanterie", écrits dans sa langue natale, le tchèque, et traduits en français alors que lui-même vivait derrière le Mur de Berlin, en cette époque de guerre froide, avaient subis les libéralités d’un traducteur qui en avait changé des pans entiers. Ce dont Kundera ne se rendit compte que quand il s’exila en France, apprit le français et finit par écrire dans cette langue. Il retraduisit donc lui-même ses premiers romans.

Si le geste (la geste ?) de Boubacar Boris Diop avec " Doomi Golo " est noble, en ce sens qu’elle proclame au monde l’universalité et l’égale dignité des langues, ce n’en est moins un combat à la Don Quichotte.

En effet, L’alphabet dans lequel il écrivait en wolof est un décalque de l’alphabet occidental. Or, lire, ce n’est pas décrypter, ni déchiffrer. La lecture est un exercice visuel, où les lettres d’un mot sont saisies par groupe et non pas l’une après l’autre avant d’être reconstitués en mots.
Lire dans nos langues, fièrement dites "nationales", ne nous est point un exercice facile et s’apparente plus au déchiffrage d’hiéroglyphes. Pardi, nos premiers syllabus sur les bancs d’école étaient déjà en français ! Une étude le prouve : en gardant la première et la dernière lettre des mots d’un texte, on peut intervertir toutes les autres lettres, sans en rien handicaper la lecture. Car le cerveau accoutumé à la lecture, appréhende les mots comme des blocs et non pas comme des lettres l’une à la suite de l’autre, à reconstituer en mots.

En voici un début de preuve, en anglais, ce que l’on voudra bien souffrir, dans cet article cosmopolite qui a déjà évoqué le latin, le wolof, le tchèque et le français :

Can You Raed Tihs ? :"Aoccdrnig to rscheearch at Cmabrigde uinervtisy, it deosn’t mttaer waht oredr the ltteers in a wrod are, the olny iprmoatnt tihng is taht the frist and lsat ltteres are at the rghit pclae. The rset can be a tatol mses and you can sitll raed it wouthit a porbelm. Tihs is bcuseae we do not raed ervey lteter by it slef but the wrod as a wlohe ".

CQFD. Il est donc à parier qu’après l’expérience pleine de panache de " Doomi Golo ", Boubacar Boris Diop en restera à ce qui est sa vraie langue d’écrivain : le français.

Quitte à l’adapter, comme il l’a d’ailleurs toujours fait, à ses schèmes de pensée, qui lui viennent entre autres de sa langue maternelle, le wolof.

Prouesse de tous les écrivains africains francophones de qualité, dont un Ahmadou Kourouma, avec ses "malinkéismes" complèt’mandingues et aujourd’hui, plus proche de nous, un Alain Mabanckou, avec sa langue des faubourgs de Brazzaville, sont des représentants éminents.

Ousseynou Nar Gueye
Journaliste – Consultant en Propriété Intellectuelle
ogueye@uwinternational.com


lire aussi sur www.lemonde.fr (16.04.10) : "Une littérature de transition", Propos recueillis par Lila Azam Zanganeh





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