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Le wolof est en péril ! J’accuse la presse parlée

  Enregistrer au format PDF  envoyer l'article par mail title=    Date de publication : mardi 2 mars 2010
radio   wolof  
Dans la presse parlée comme à l’occasion des discours et autres communications en langue nationale wolof, les fautes de langage foisonnent ! Cela donne le vertige ! Cela écœure tous les pratiquants et défenseurs de la langue de Kocc Barma Faal. J’espère que mes amis al poularen, diolas, sarakholés et mandingues ne subissent pas les mêmes épreuves que moi en entendant certaines personnes parler leurs langues respectives. Quand l’Etat du Sénégal a mis en œuvre une politique de promotion des langues nationales depuis plusieurs décennies déjà, j’avais applaudi en me disant : ‘Enfin, nos langues nationales ne vont pas mourir.’ Mais voilà que depuis quelque temps, je suis pris de rage et de désespoir face à la désinvolture avec laquelle le wolof est parlé ou écrit dans la quasi-totalité des milieux de la communication, en particulier dans les radios et les télévisions de la place.

source : www.walf.sn - fevrier 2010

Je peux, d’ores et déjà, dire sans ambages que j’accuse les patrons de la presse parlée de ne rien faire pour arrêter le massacre et de laisser faire ceux qui torturent le wolof à travers les ondes des radios et télévisions du pays. J’accuse les patrons de la presse parlée dans la mesure où je sais que, dans toutes les rédactions de journaux en français, il y a toujours un correcteur chargé de veiller au bon usage du français. Mais pourquoi bon sang ! dans la même logique, les radios et télévisions n’embauchent presque jamais un homme ou une femme pour corriger le wolof truffé de fautes, de contresens et d’inexactitudes de certains présentateurs de ces organes de presse ?

Exaspéré par ce wolof urbain, médiocre, créolisé, je devrais dire "toubabisé", il m’est arrivé à plusieurs reprises et en toute amitié de téléphoner, d’envoyer un Sms ou un mail à un (e) journaliste pour le/la corriger et lui suggérer le terme approprié. A ma grande désolation, le journaliste en question fait souvent fi de mes remarques et continue allègrement dans son erreur. Et pourtant, s’il s’agissait de la langue de Molière, ces mêmes journalistes ne se seraient pas permis autant de libéralité et de légèreté.

A titre d’exemple, il m’est arrivé d’envoyer un Sms à une présentatrice d’une radio de la place pour lui faire savoir qu’elle commettait trop de fautes sur les articles wolof. En effet, elle répétait de manière intempestive "mbir gui" ou "mbir googou" au lieu de "mbir mi" ou "mbir moomou". La présentatrice en question m’a répondu sans gêne : ‘Dieu sait que je fais des efforts mais je n’y parviens pas !’ Depuis lors, j’ai arrêté de lui faire des suggestions. Un autre journaliste ne semblait pas connaître la traduction de "pirate" qui n’est rien d’autre que "addu kalpé". Les exemples sont inépuisables ! J’ai entendu l’un d’entre eux dire à l’antenne :"saxaar si" (la fumée) alors qu’il voulait dire "saxaar gui" (le train).

Dans la langue wolof, l’usage inapproprié d’un article, peut changer totalement le sens d’un mot ou la nature de l’objet visé. En effet, quand on dit "xar bi", cela signifie un récipient en bois, pour le wolof de Toro Bèye ou de Thilmakha. Si l’on veut parler du mouton, il faudrait alors dire : "xar mi". Seuls les articles ont changé.

L’usage d’un terme ou d’un article inapproprié se traduit souvent par une faute grave. C’est ce qui se produit avec le terme souvent usité, mais impropre comme : "gnou ngui lène di jaajëfël" pour traduire l’expression ‘nous vous remercions’ que le wolof authentique exprime par le terme "gnou ngui lène di gërëm di lène santt" ou bien "am nguène jaajëf" ou "thiantt ak ngërëm gneel na lène" ou "am nguène jaaraama". L’expression "‘gnou ngui lène di jaajeufeul" qui semble vouloir dire littéralement ‘nous disons jaajëf pour vous’ et non ‘nous vous disons ‘jaajëf’ est reprise par la plupart des présentateurs en wolof, or il ne correspond pas à l’expression usitée en wolof traditionnel. Il peut être rapproché aux termes "gnou ngui lène di défal", "gnou ngui lène di démal", "gnou ngui lène di ligeeyal". En réalité,"Jaajëf" est une expression d’encouragement à un acte ou un travail qu’on lance à un ouvrier ou un paysan à la tâche :"Jaajëf waay !!!", a-t-on coutume de dire dans le Cayor et le Ndiambour et la réplique est "jaajëf sa walle". Cela ne veut pas dire forcément "Jërëjëf", un mot qui veut dire tout simplement ‘merci’.

Un autre exemple est celui qui consiste à dire à l’antenne : "gnou ngui lène di jox dox dajé" au lieu de "gnou ngui lène di dig jokko" pour dire ‘nous vous donnons rendez-vous à l’antenne’. Dans cette expression, il n’est pas question de rencontre physique "dajé", mais d’une relation par la parole à travers les ondes radiophoniques ou par téléphone entre l’animateur ou le journaliste et ses auditeurs. Donc, il s’agit bien de "jokko" ou communication à distance par la radio ou le téléphone et non de "dajé" (rencontre physique entre deux ou plusieurs personnes). Ainsi, le terme approprié est "Gnou ngui lène di dig jokko".

Un autre terme impropre est utilisé pour traduire le mot ‘sport’. Il s’agit de l’expression "taggatt yaram". En vérité, taggatt veut dire en wolof entraîner une personne, pratiquer la culture physique ou dresser un animal dans le but d’accomplir des performances hors du commun. Le mot sport devrait donc logiquement se traduire en wolof par "jonganté ci kattan ak mën mënu nitt". C’est long mais c’est cela.

J’accuse les patrons de la presse parlée, car même si je considère que l’aide à la presse devrait être augmentée, j’estime qu’une bonne part des fonds qui leur sont alloués, devrait essentiellement servir à améliorer le niveau et les performances des journalistes et autres animateurs de l’audiovisuel. Cela est d’autant plus nécessaire que quand un journaliste commet une faute, par la puissance de l’onde radiophonique, il fait la publicité et la promotion de cette faute et tout le monde a tendance à dire pareil. Quand un journaliste fait une faute et persiste dans l’erreur, l’auditeur ou le lecteur non averti a tendance à l’imiter et cela peut entacher la pureté d’une langue et contribuer à sa déliquescence.

A l’instar des membres du Corps de la paix américain qui fournissent l’effort nécessaire et arrivent, en quelques mois, à parler correctement le wolof, le poular, le diola et autres, les Sénégalais de l’audiovisuel qui ont choisi le wolof ou les autres langues comme outil de travail, devraient s’inspirer de cet exemple afin de maîtriser cet outil-là.

Pour terminer, je voudrais féliciter particulièrement, les présentateurs wolof comme Ndiaya Diop, Sophie Ahodécon, Elhadj Assane Guèye, Diègo Mbaye, Reine Marie Faye, Oustaz Alioune Sall, Ibrahima Ndiaye Mame Yaxi Laalo, Khadim Samb, Abdoulaye Lam et Pape Dioukhané qui à mon avis et avec l’aide d’experts de la langue de Kocc tels que Cheik Aliou Ndaw, le Professeur Sakhir Thiam, Marouba Faal, Aram Faal et Younouss Dieng, pourraient parfaitement aider les jeunes journalistes qui présentent des émissions en wolof, à se bonifier, à condition, bien entendu, que les autorités chargées de la promotion des langues nationales y mettent les moyens et que les patrons de la presse et leurs jeunes employés aient l’humilité de tenir compte des critiques qu’on leur fait et fassent le minimum d’effort, tout en interrogeant sans relâche ceux qui parlent le vrai wolof.

Moumar GUEYE Ecrivain E-mail : moumar@orange.sn

Ps : Pour aider à la lecture, certains mots wolof n’ont pas respecté l’orthographe conventionnelle.




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