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Décès de la chanteuse de jazz américaine Abbey Lincoln

  Enregistrer au format PDF  envoyer l'article par mail title=    Date de publication : lundi 16 août 2010
L’actrice et chanteuse de jazz américaine Abbey Lincoln est décédée samedi à New York à l’âge de 80 ans. La musicienne laisse derrière elle une vingtaine d’albums. Elle s’était également engagée en faveur de la reconnaissance des droits civiques dans les années 1960.
Née à Chicago en août 1930, Abbey Lincoln, qui avouait avoir été fortement influencée dans son art par Billie Holliday, avait entamé sa carrière au milieu des années 1950 et continuait à se produire jusqu’à un passé récent. Abbey Lincoln était apparue dans plusieurs films dont ’For Love of Ivy’ où elle donnait la réplique à Sidney Poitier en 1968, ce qui lui avait valu une nomination pour les Golden Globes l’année suivante

source : www.romandie.com - 15 août 2010

Elle était également à l’affiche de " The Girl Can’t Help It ", film de 1956 dans lequel elle portait une robe que Marilyn Monroe arborait dans "Les hommes préfèrent les blondes". Dans les années 1960, Abbey Lincoln avait épousé le musicien de jazz Max Roach et s’était engagée dans la campagne pour la reconnaissance des droits civiques.

Au cours des années 1970, elle apparut dans de nombreuses émissions de télévision. Abbey Lincoln qui a travaillé avec Sonny Rollins, Miles Davis ou encore Stan Getz avait enregistré plus de 20 albums, dont " Abbey Sings Abbey ", paru en 2007.


source : www.ledevoir.com - 2 juillet 2008

FIJM - Abbey Lincoln, la dernière des géantes

Entre les droits civiques et le jazz, un parcours riche et atypique pour cette légende vivante

Abbey LincolnAbbey Lincoln a toujours adoré les chapeaux. Au propre comme au figuré. Elle en arbore donc un vrai de vrai sur scène, pour encadrer ses nattes et son sourire immense. Mais elle en porte aussi plusieurs au quotidien, soit ceux de chanteuse, d’auteure, de comédienne et de militante éternelle de la cause noire. Entretien.

Converser avec Abbey Lincoln a un petit côté rocambolesque. On pose une question, Lincoln esquisse une réponse. Jusque-là, tout va. On se cale un peu dans le fauteuil en écoutant sa voix si profonde et un brin traînante qui grésille sur la ligne depuis New York.

Mais le temps s’emballe vite avec elle. Les souvenirs remontent et Lincoln nous entraîne sur des territoires où se fréquentent les géants du jazz, où Max Roach lutte pour les droits civiques, où ses parents élevaient une famille de douze enfants.

Puis elle éclate de rire et conclut en fredonnant un air connu avec cette voix — toujours cette voix — où la sensualité se fait sombre, écorchée, vibrante. Nouvelle question, et nouveau saut en parachute dans l’univers de la grande dame du jazz, que d’aucuns considèrent comme la dernière des géantes.

Ainsi se montre donc Abbey Lincoln en entretien. Attachante, un peu âpre parfois, drôle, sensible, généreuse, et tout à fait imprévisible. À bientôt 78 ans, la chanteuse se relève avec succès d’une intervention à coeur ouvert : tout est raccommodé-raccordé, assure-t-elle.

Et comme il n’était pas question de s’arrêter pour si peu, Lincoln a lancé depuis son opération un disque ( Abbey Sings Abbey ), qui a reçu des critiques absolument élogieuses en Amérique comme en Europe.

Un album qui a tous les airs d’un chant du cygne. Les 12 chansons choisies sont autant de regards sur une carrière unique entamée il y a un demi-siècle. Abbey se chante elle-même : ce sont ses mots, déjà enregistrés au fil de son catalogue, qu’elle reprend sur des arrangements très folk et blues. Et sa voix — toujours cette voix (bis) — se fait plus que jamais touchante et juste dans l’intention, dramatique, blessée et pourtant si vivante.

On lui parle justement de cette justesse de ton qui transporte une émotion rare et totalement authentique : Lincoln répond en renvoyant la balle vers Billie Holiday, sa première et plus grande inspiration.

« C’est elle qui m’a montré à sentir les mots que l’on dit. Chez Billie comme chez moi, il y a un engagement social dans les mots. »

Et le grand thème est lancé : l’engagement social. Peut-on parler d’Abbey Lincoln sans parler de la grande lutte de sa vie ? Celle qui a fait d’elle une sorte de paria des scènes jazz dans les années 60 mais qui lui a valu l’admiration profonde de ses frères et soeurs noirs — et de bien d’autres aussi ?

Dès qu’on évoque le mouvement pour les droits civiques, Abbey Lincoln s’anime. La passion, la colère, tout est encore à vif chez cette femme, noire jusqu’au bout des doigts.

C’est elle qui poussait en 1960 des cris dérangeants (la voix d’un peuple opprimé) sur le manifeste musical Freedom Now Suit e, créé par son mari d’alors, le batteur Max Roach. Un disque sur le racisme et l’esclavage qui a fait date dans l’histoire du jazz et dans celle du mouvement noir.

« J’ai appris à militer comme j’ai appris d’autres choses, explique la chanteuse. On ne discutait pas de politique chez mes parents. Ce n’était pas des gens comme ça. Mais c’étaient des gens droits. J’ai grandi dans la maison que mon père a construite lui-même. Nous n’avons jamais manqué de rien, parce que mes parents travaillaient très fort. Toujours. Ils m’ont appris des valeurs comme le respect et la dignité. Je suis si fière et reconnaissante envers eux. » Et la voilà récitant un poème-prière que sa mère lui glissait à l’oreille tous les soirs.

Mais même sans s’intéresser à la politique, ses parents racontaient tout de même aux enfants l’histoire de leurs ancêtres. Comme des griots. Alors, au milieu des années 50, quand Lincoln s’est mise à fréquenter les milieux revendicateurs du jazz, la transition vers la militance s’est faite naturellement. Et de manière éclatante.

Elle qui était vue à l’époque comme une chanteuse gentille au corps de sex-symbol (elle a tourné quelques films à Hollywood, dont La Blonde et moi — The Girl Can’t Help It — , avec Jayne Mansfield, où Lincoln portait une robe rouge auparavant portée par Marilyn Monroe) s’est faite noire de la tête aux pieds.

Abbey LincolnSa coiffure lisse est devenue afro. De même sa voix a-t-elle gagné un grain rauque. Et surtout, son nom : née Anna Marie Woolridge, Lincoln a choisi une nouvelle identité au milieu des années 50, sur les conseils de son gérant (donnés durant un match de boxe entre un Noir et un Blanc). « Il m’a dit que, puisque Abraham Lincoln n’avait pas réussi à libérer tous les esclaves, peut-être que moi je réussirais. »

Elle rigole quand on lui demande si ce fut le cas.

« Je ne sais pas. Mais j’ai fait ma part. Le jazz a en tout cas fait beaucoup pour la cause des Noirs. Pourquoi ? Parce que c’étaient des musiciens élégants et brillants, voilà tout, et qu’ils le savaient. »

La discussion dévie naturellement vers Barack Obama, et Lincoln s’anime encore. « Bien sûr que je l’aime. C’est un garçon si brillant, si intelligent. C’est un pas très grand qu’on vient de faire, peu importe s’il gagne ou pas. »

Elle a de moins bons mots pour les jazzmen actuels, « qui n’aspirent pas à être grands mais seulement à faire de l’argent », selon elle.

L’histoire

Au-delà de sa contribution sociale, c’est surtout par celle artistique qu’Abbey Lincoln aura marqué l’histoire. Le jazz façon Lincoln se démarque entre autres par une sélection rigoureuse du répertoire, le choix de mots signifiants (elle a beaucoup composé), une diction absolument unique, où les mots traînent à la fin des phrases, en prolongent la musique et en accentuent le message. Abbey Lincoln a ouvert des avenues nouvelles au jazz vocal féminin.

Assez pour qu’on la considère aujourd’hui comme la dernière des géantes du jazz vocal. Et si sa carrière a connu plusieurs hauts et bas, son retour en grande forme musicale depuis une vingtaine d’années — après la rencontre entre Lincoln et les producteurs français Jean-Philippe Allard et Daniel Richard — s’est traduit par l’ajout de plusieurs titres marquants à sa discographie : You Gotta Pay the Band (avec Stan Getz), A Turtle’s Dream , When There Is Love (avec Hank Jones), Over the Years ...

Lincoln accepte avec honneur la filiation avec les grands des grands. C’est son héritage.

« Chaque fois que je monte sur scène, dit-elle, c’est avec eux. Duke Ellington, Lionel Hampton, Billie Holiday, Max Roach. Tous les jours, ils sont là, près de moi. J’ai été si chanceuse de pouvoir jouer avec eux et de les fréquenter comme êtres humains. Je ne les oublierai jamais. »

Surtout Roach, son mari pendant une décennie, mort l’an dernier. « Il était admirable, je l’adore toujours. »

C’est lui qui lui a appris la liberté de création et d’expression, notamment. Ce chemin n’était pas le plus facile à suivre, mais Lincoln dit n’avoir aucun regret. Si ses prises de position l’ont marginalisée à une époque, ce n’est pas son problème. Le New York Times l’a déjà qualifiée de « négresse professionnelle » ? « Je me fiche complètement de ce qu’on a pu écrire, dire ou penser de moi. Je ne m’intéresse pas à ces opinions. Je fais ce que j’ai à faire. »

Ce qui veut dire pour elle le jazz, la peinture (elle est réputée là aussi), l’écriture, le jeu d’acteur... Tout autant de voies d’expression pour une voix unique.

Guillaume Bourgault-Côté


lire aussi sur www.espritsnomades.com : Abbey Lincoln La grande dame au chapeau



Abbey Lincoln and Max Roach



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