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Pr Abdoulaye BATHILY, Secrétaire général de la Ligue démocratique : « Ce n’est pas opportun, 50 ans après, de parler d’arts nègres »

  Enregistrer au format PDF  envoyer l'article par mail title=    Date de publication : jeudi 16 décembre 2010
Historien, intellectuel et homme politique, c’est sous cette triple posture que le Pr Abdoulaye Bathily juge et analyse la troisième édition du Festival mondial des arts nègres. Pour lui, le festival en 2010 est totalement inopportun ; en plus, 50 ans après les Indépendances, la problématique devait être centrée sur le bilan de ces Indépendances

source : www.lequotidien.sn - 15 Décembre 2010

En tant qu’historien, vous devez avoir des éléments de comparaison entre le premier Festival mondial des arts nègres et ce troisième…

On peut d’abord dire que le festival en 2010 est totalement inopportun. Il y a la problématique de l’art nègre. En 1966, on venait juste de sortir des Indépendances ; il y avait encore la dynamique du mouvement de libération nationale. Beaucoup de pays africains n’étaient pas encore décolonisés. Donc le concept même de festival d’arts nègres était un prolongement, sur le plan culturel, des luttes de libération nationale. En 2010, nous sommes à 50 ans des Indépendances ; la problématique n’est plus du tout la même.

La problématique actuelle, c’est ce que nous avons fait de nos Indépendances. Qu’est-ce que l’art et la culture sont devenus depuis 50 ans ? Est-ce que la problématique, c’est en tant que tel un art nègre ou un art africain ?

J’ai entendu Abdoulaye Wade dire que c’est l’Union africaine qui l’a chargé de l’organiser ; ce n’est pas vrai, je n’ai vu aucune résolution de l’Union africaine qui a recommandé ou donné au Sénégal l’autorisation d’organiser en son nom le Festival mondial des arts nègres . D’abord l’Union africaine n’est pas une union des Etats nègres, car on ne peut la concevoir sans l’Afrique du Nord qui, elle, n’est pas nègre. Au Sud du continent également, on a des Blancs. Donc la problématique est très mal posée. Par contre en 1966, elle était clairement posée. Si vous vous rappelez, il y a eu le Festival culturel panafricain d’Alger, qui posait de manière beaucoup plus globale la problématique de la culture africaine au 20e siècle. Déjà, ce n’est pas opportun, 50 ans après, de parler d’arts nègres.

Donc à votre avis, la thématique de la Renaissance nègre n’est plus pertinente aujourd’hui ?

Non ! Cheikh Anta Diop a posé la problématique de l’appartenance de l’Egypte à la civilisation du monde noir. C’est un concept sur lequel les historiens sont en train de travailler, mais ce n’est pas la seule problématique aujourd’hui.

Les arts africains sont des arts universels, qui s’insèrent dans la problématique globale de la libération de l’Humanité, face à l’offensive de l’économie de marché.

C’est dans cette option qu’il faut le poser. Bien sûr, il y a une dimension qui concerne la diaspora, par exemple. Même aujourd’hui aux Etats-Unis, le problème se pose avec l’élection de Barak Obama. Les gens se posent des questions à savoir si nous devons rester emmurés dans cette problématique raciale ou même quelques fois raciste ? Non, on risque de fausser le débat. En dehors du problème conceptuel, de thématique, vous avez vu toute la pagaille.

Abdoulaye Wade, ce n’est même pas l’aspect culturel ou artistique qui l’intéresse. Ce qui l’intéresse, c’est une opération financière.

L’Oci qui devait être une organisation de la conférence des Etats islamiques pour regarder les problèmes qui assaillissent le monde musulman, pour lui c’était une opération financière, menée par son fils. Et aujourd’hui, cette opération de culture nègre est un prétexte pour arrondir la cassette de la famille Wade à travers sa fille. C’est pourquoi je parle toujours de projet familial. Derrière toutes les idées de Wade, il y a une opération financière qui s’y cache.
Troisièmement, le festival est un fiasco organisationnel. Abdoulaye Wade a le complexe de Senghor et il est obsédé par ce complexe, il ne peut pas en sortir. Il l’a mal fait, car il a fait une pale copie de du Festival mondial des arts nègres .
Quatrièmement, ce Fesman est inopportun, car il vient en un moment où les Sénégalais ont d’autres priorités. Les Sénégalais subissent les délestages. On parle de près de 35 milliards engloutis dans ce Fesman. Face aux priorités des Sénégalais qui veulent l’électricité, que le gouvernement organise une campagne agricole digne de ce nom, que leur arachide soit acheté, face à la chevreté du prix du gaz et des denrées de première nécessité, pour financer ce Festival mondial des arts nègres, je dis que c’est irresponsable. Donc sous ces quatre dimensions, je dis que c’est un échec ; c’est un festival indécent qui ne devait pas se faire.

Bennoo avait un plan d’action lors de l’inauguration du monument de la Renaissance, en sera-t-il de même pour le Fesman ?

Je ne peux pas à l’heure actuelle à mon niveau personnel vous dire finalement ce qui va être retenu (Ndlr : l’entretien a été réalisé dimanche dernier). Demain nous allons décliner le programme.

Mais le monument de la Renaissance, j’ai toujours dit que c’est le monument de la régression africaine. C’est soit disant pour montrer la splendeur de l’Afrique après 50 ans, mais c’est tout le symbole de la gabegie, de la gestion catastrophique des deniers publics, c’est le symbole de la régression en matière de gestion de nos Etats. Non seulement ce monument est laid artistiquement, mais aussi le montage financier qui a mené à son érection est tout le symbole de ce que l’Afrique a offert de pire depuis les Indépendances.

Ce festival est justement dans le prolongement de cette politique de gaspillage par une famille, parce que Abdoulaye Wade a aujourd’hui transformé le Sénégal en entreprise familiale. Il y a pas pire que ça, 50 ans après, donc ni le festival, encore moins le monument ne peuvent être les symboles d’une Renaissance africaine. C’est le festival et le monument de la régression de ce que l’Afrique a offert de pire depuis les Indépendances.

Me Wade avait confié les travaux de l’organisation du sommet de l’Oci à son fils, et jusqu’à présent aucun bilan de cette manifestation à milliards. Aujourd’hui, c’est le Fesman qui est confié à sa Fille. Qu’entendez-vous faire pour qu’au moins le bilan du Fesman soit fait ?

Je vais d’abord interpeler Abdoulaye Wade pour qu’il dise devant les Sénégalais, d’où vient l’argent de ce festival.

Si des chefs d’Etats ou des gouvernements étrangers ont fait des dons, dans quels comptes ces dons ont été versés ? Selon les informations dont je dispose, il y a effectivement des dons. Qu’ils nous le disent de manière claire. Que les organisateurs aussi nous disent qui a donné quoi et où est-ce que ça été versé

. Le Brésil apparemment a donné de l’argent. J’interpelle le ministre des Finances, est-ce que c’est le Trésor public qui a recueilli ces fonds ? J’interpelle Abdoulaye Wade, si la Guinée équatoriale a donné de l’argent, c’est dans quel compte ? Qui est l’ordonnateur des dépenses ? Je suis sûr que ce sera comme l’ Anoci , c’est-à-dire pas de compte. Mais on fera bien un jour les comptes de tout cela, j’en suis convaincu.

En attendant n’y a-t-il pas des structures qui existent et qui peuvent être interpelées par rapport à la nécessité de l’audit de l’organisation du Fesman ?

Je ne me fait plus aune illusion. On ne peut pas demander à Abdoulaye Wade de faire des audits. Son mode de gestion des affaires publiques jure d’avec non seulement la transparence, mais d’avec même les procédures légales. Que ce soit l’Inspection générale d’Etat, la Cour des comptes, je ne me fais pas d’illusion. A preuve, il vient d’annuler tous les mécanismes sur le contrôle des marchés publics, ce qui est un scandale. Cela jure d’avec toutes les procédures légales réglementaires dans le cadre sous-régional, auquel notre pays a adhéré, l’ Uemoa en particulier. Il ne s’embarrasse d’aucune morale ni d’éthique.

Propos recueillis par Soro DIOP


lire aussi sur www.sununews.com (16 Décembre 2010) : Bennoo sur le Fesman : « Les 35 milliards consacrés à cette fête « wado-wadienne » est une dépense aussi inopportune que dispendieuse »

sur www.seneweb.com (17 Décembre 2010) : Le Fesman consolide une saga familiale

sur www.lesafriques.com (18 Décembre 2010) : Festival des arts nègres : très chers imprévus, par Ismael Aidara

et sur www.afrik.com (20 Décembre 2010) : Sénégal : haro sur le FESMAN ! Le mécontentement enfle contre le troisième Festival mondial des arts nègres , par Assanatou Baldé





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