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L’imaginaire saint-louisien (Domou ndar) à l’épreuve du temps

  Enregistrer au format PDF  envoyer l'article par mail title=    Date de publication : vendredi 12 août 2011
Saint-Louis du Sénégal a réussi à fonder une civilisation qui se décline en termes d’esthétique dans la vêture, de talent dans la cuisine, d’un savoir-vivre original et surtout d’un sens de remarquable de l’hospitalité, appelé teranga, une des valeurs par lesquelles bien des Sénégalais s’identifient.

source : www.ndarinfo.com - 8 Août 2011

Alpha Amadou Sy, qui enrichit ici sa communication présentée au Colloque de l’Association pour le Promotion de l’Enseignement et de la Recherche en Aménagement et en Urbanisme ( A.P.E.R.A.U ), tenu en juin 2006 à Québec, avait étudié les facteurs qui ont concouru pour donner naissance à cet imaginaire que condense le mythe du domou n’dar .

Certes, concède-t-il, l’imaginaire saint-louisien demeure aujourd’hui encore revigoré par ce mythe selon lequel « l’endroit où les eaux maritimes et fluviales se rencontrent ne saurait être jamais déserté par le bonheur et la prospérité » mais, de son point de vue, toute la question est de savoir comment lui assurer le socle économique et culturel que nécessite sa véritable renaissance.

Ce livre est écrit par Alpha Amadou Sy, philosophe de formation qui est en collaboration avec Mamadou Ablaye, auteur de plusieurs publications de portée philosophique, politique, culturelle et esthétique. Conseiller pédagogique, il est aussi animateur de café philo à l’Institut Culturel et Linguistique Jean Mermoz.

Paraphrasant Hérodote, Alpha Amadou Sy pourrait dire que Saint-Louis est un don de l’Océan Atlantique et du Fleuve Sénégal. Ses habitants montrent qu’ils sont conscients de cette faveur rarissime de la nature quand ils soutiennent avec énormément de fierté : « Nous nous baignons à la mer et nous nous rinçons dans le fleuve ». On comprend dès lors pourquoi cette ville majestueusement calfeutrée entre ces deux cours d’eau, a une histoire indissociable de l’univers aquatique qui l’enserre.

Déjà, pour la dénomination de la cité, en langue wolof, Abdoul Hadir Aïdara ( Saint-Louis du Sénégal d’hier à aujourd’hui , Editions Granvaux, 2OO4) s’accorde avec Rousseau pour faire remonter l’origine de N’dar à Ndâ , réserve d’eau en banco ou canari.

Mais plus significatif est que Saint-Louis, N’dar, est pour les autochtones un « terrou », c’est-à-dire un point d’arrivée qui prend valeur de ville. En effet, si aujourd’hui on peur aisément traduite par ville « réèwou takh », littéralement « agglomération de bâtiments », le terrou apparaît comme une destination avec tout ce que cela suppose comme endroit qui commence à trouver sa spécificité par rapport à la campagne grâce à une certaine diversification des activités économiques et professionnelles. C’est un lieu de toutes les rencontres ; certes bonnes, mais aussi mauvaises. Si ce n’est pas la ville, c’en est déjà un embryon.

Du concours de plusieurs facteurs résulte une image tout à fait valorisante d’une ville qui va, au cours de l’histoire, gagner sa réputation de « centre d’élégance et de bon goût », selon l’expression consacrée du romancier Ousmane Socé Diop. Saint-Louis serait « baptisée ainsi en hommage au roi Louis XIII », selon Félix Brigaud et Jean Vast, auteurs de l’ouvrage «  Saint-louis, ville aux mille visages  ». Ils soutiennent que ce sont les Dieppois, ayant fréquenté le fleuve Sénégal depuis 1558, qui s’installèrent dans l’île Bocos. Ces occupants auraient élu domicile un peu plus en amont du cours d’eau en 1959, lorsque la mer avait détruit leur bâtiment.

Saint-Louis va se constituer en zone charnière desservie à la fois par l’Océan, le fleuve, les rails et plus tard par l’avion ; c’est effectivement le lieu de rappeler que cette cité portuaire a fait les beaux jours de l’Aéropostale avec l’équipe des Jean Mermoz et Pierre-Georges Latécoère. Ils réussissent la prouesse de relier, sans escale, le 10 mai 1927, Toulouse à Saint-Louis avant de joindre le Brésil.

L’évolution de la ville de Saint-Louis décline, sous bien des rapports, une histoire tumultueuse ponctuée d’événements majeurs qui menacent chacun de péril la cité portuaire. Déjà, en 1848, l’abolition de l’esclavage, conjuguée au déclin du commerce de la gomme, risquait de saper la base économique, socle constitutif de l’imaginaire saint-louisien. La ville sera sauvée par une reconversion économique reposant sur la culture de l’arachide et l’exploitation des retombées économiques des infrastructures mises en place par Faidherbe dans la perspective de l’expansion française.

Cette reconversion économique de la Colonie aura de profondes incidences aussi bien sur les habitudes alimentaires des Saint-Louisiens, et par ricochet des Sénégalais, que sur le plan géo-économique voire géopolitique. D’abord, la culture de l’arachide se fera au détriment des cultures vivrières et, du coup, arrime l’économie de la Colonie aux besoins exclusifs de la Métropole. La consommation d’huile d’arachide augmente, tandis que celle de l’huile d’olive déclinait durant les années 50. La Colonie du Sénégal est restée confinée dans la production de l’arachide et des pays comme l’Indochine seront sollicités pour la culture du riz.

De l’abandon des cultures du mil, du niébé et du manioc a résulté une hypertrophie du riz que consacre l’attachement inconditionnel pour ne pas dire obsessionnel de « n’dar n’dar au « tiébou dieune penda mbaye ». Ainsi le Saint-louisien bon teint manifestera, avec une fierté qui frise l’orgueil, sa préférence pour le riz au poisson servi sept jours sur sept, nonobstant les réserves des nutritionnistes.

En effet, s’il est vrai que le tiébou dieune, cuit dans les règles de l’art, présente des vertus gastronomiques, il reste que sa consommation exclusive, son mode de cuisson et l’usage abusif d’huile sont à la base de maladies dont les Saint-Louisiens, d’ailleurs, prennent de plus en plus conscience. Cette prise de conscience, qui résulte, sans doute, de la fréquence des maladies comme le diabète, l’obésité et l’hypertension artérielle.

Le port associé à l’établissement de l’administration fédérale vers 1902, conférera à Dakar un leadership dont Saint-Louis fera les frais. Le déclin s’accentue avec l’avènement du Dakar-Niger, en 1924. Du coup, la vieille ville se voit délester d’un important mouvement de populations dans la mesure où désormais on peut se déplacer sur la totalité de l’Afrique Occidentale Française sans être obligé de passer par N’dar.

Effectivement, si l’imaginaire du Saint-louisien est un fantasme, l’histoire qui lui a donné naissance n’en est pas un. A travers l’évolution de la cité portuaire, transparaît le processus au terme duquel s’est constitué un riche patrimoine qui se décline en terme de vêture, de tresses et savoir-être. A la limite, on pourrait partir du précieux patrimoine du domou n’dar pour rendre compte des vicissitudes de l’histoire.

Les controverses au sujet de l’origine d’une cérémonie aussi emblématique que le fanal sont révélatrices de cet état de fait. Procession nocturne avec un cortège qui offrait l’opportunité de l’expression des talents artistiques les plus diversifiés, le fanal essentiellement connu des habitants des quatre communes, Rufisque, Dakar, Gorée et Saint-louis, était l’activité phare déroulée lors du ribidiongue, nuit du 24 décembre, le 31 du même mois et le 1er janvier. En dépit de sa programmation durant ces jours qui correspondent aux fêtes chrétiennes, certains considèrent que son origine reste africaine.

La Tabaski, la Korité et le Maouloud sont retenus dans le cadre colonial comme des jours chômés. Selon l’arrêté du 29 mars 1929, les autres fêtes ne seraient célébrées qu’à condition expresse de l’obtention d’une autorisation spéciale. Cette mesure visait d’abord à circonscrire les activités dans le domaine du strictement religieux en veillant à ce qu’elles ne glissent pas du festif au subversif. En plus, elle cherchait à limiter tout au moins à atténuer la pollution sonore que génèrent des pratiques culturelles comme le tajabone, le tanebère, le kassak et le simb. Mais plus fondamentalement, la préoccupation de l’autorité était surtout d’éviter que l’esprit festif ne soit à la base de contreperformances économiques.

Fatou Niang Siga a circonscrit l’impact de la présence des Occidentaux sur la vêture de ses compatriotes : « La véritable révolution dans l’habillement sénégalais se produit au contact avec les blancs et après l’installation des Compagnies Commerciales. La cotonnade abonda ; et pour la période des grandes chaleurs, les malles se remplirent de maylus et limyass pour mbubu, ser, tubey et leppaay (pièce de tissu pour se couvrir la tête), de malikaan, et koton pour le takk. Les écheveaux de fil de coton importés diminuèrent l’activité de nos fileuses mais des cawali au tissu plus souple et au travail plus raffiné habillèrent Brak, Almaami, familles princières et riches traitants. » (Fatou Niang Siga, Costume saint-louisien sénégalais d’hier à aujourd’hui, mai, 2005). Cette mode vestimentaire subira les contrecoups de la ruine des métis consécutive d’abord à l’abolition de l’esclavage et, ensuite, au déclin du commerce de la gomme. Dans ces investigations, Fatou Niang Siga note que « les métis adoptèrent la tenue de leurs pères blancs » là où les signares mixèrent celles de leurs marraines ». Or, poursuit-elle, tout au long de ce siècle, ce sont précisément les signares qui constituent la référence dans tous les domaines y compris dans celui de la vêture. Illustrant son propos par cette description qu’elle rapporte : « Les signares portent un mouchoir blanc très artistiquement arrangé par-dessus lequel elles placent un petit ruban noir étroit ou de couleur, autour de la tête. Elles s’habillent d’une chemise à la Française garnie, d’un corset de taffetas ou de mousseline, d’une jupe de même forme, pareil au corset, des boucles d’or, des chaînes de pieds d’or ou d’argent avec des babouches de Marocain rouge, aux pieds. Par-dessus leur corset, elles portent un morceau de deux aulnes de mousseline dont les bouts se jettent par-dessus l’épaule gauche ».

Ce livre aux dimensions modestes contient des matériaux considérables pour qui veut faire l’histoire économique et sociale du Sénégal ou étudier la vie quotidienne et culturelle du Sénégal. Il est écrit dans une belle langue.

illustration : Danse des Ouoloves de Saint-Louis - illustration colorisée à la main, Paris en 1890 (http://www.senegalmetis.com/Senegalmetis/Signare_F6-7_Nousveaux10.html)


lire aussi sur www.walf.sn (13/08/2011) : 7e Edition du Festival national des arts et de la culture : Saint-Louis sollicitée à nouveau, par Aïda Coumba DIOP





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