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Pr Elikia M’BOKOLO, président du comité scientifique du projet « Histoire générale de l’Afrique » : « Nous voulons transmettre aux jeunes la connaissance, la passion et la fierté de leur passé »

  Enregistrer au format PDF  envoyer l'article par mail title=    Date de publication : dimanche 13 juin 2010
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(Tripoli) - Président du Conseil scientifique du Projet pédagogique de l’Histoire générale de l’Afrique, le Pr Elikia M’Bokolo, historien et chroniqueur, explique, dans cet entretien, les enjeux de cette « importante rencontre intellectuelle ». Pour lui, il s’agit d’avoir une pédagogie renouvelée afin de transmettre aux jeunes la connaissance, la passion et la fierté de leur passé et de former des citoyens africains.

source : www.lesoleil.sn - 12/06/2010

Quel est l’objectif principal de cette conférence ?

Nous sommes réunis à Tripoli pour un gros projet appelé : « Utilisation pédagogique de l’Histoire générale de l’Afrique (Hga) ». L’Uga est composée de 8 volumes dont la publication s’est étalée jusqu’en 1999. Elle est la première aventure intellectuelle collective de la première génération d’historiens scientifiques et universitaires africains. Ce qui est une chose colossale, parce qu’ils étaient d’anciennes colonies françaises d’Afrique de l’Ouest, centrale, de Madagascar ou anglaise, ce sont eux qui ont posé, dans le contexte des indépendances, la question de l’histoire des sociétés africaines montrant que l’Afrique a une histoire, ont donné les caractéristiques majeures de cette histoire affirmant qu’elle n’est pas venue de l’extérieur mais bien partie de l’intérieur du continent.

Ils ont expliqué que les indépendances n’étaient pas un cadeau ou une concession des autorités colossales, mais le résultat des luttes de résistance menées par les Africains depuis les empiètements extérieurs.

Ce qu’il y a encore de plus remarquable dans leur travail, ils ont convaincu les meilleurs historiens du moment non-Africains, mais qui avaient des compétences sur l’Afrique à participer à cette histoire collective. Cela a pris du temps, coûté de l’argent, mais c’est une entreprise intellectuelle unique, parce que jusqu’à ce jour, ni l’Océanie, ni en Asie, ni le continent américain, encore moins l’Europe, n’ont une histoire générale de cette envergure.

Mais, cela a été fait dans un contexte particulier. Peut-on rester dans cette optique car entre-temps trop de choses se sont passées dans le continent ?

C’est vrai que c’était un contexte particulier avec une vision panafricaine. Malheureusement, le projet panafricain, d’une part, a souffert de l’évolution générale du panafricanisme dans le cadre de l’Oua et des difficultés des premières décennies des indépendances et d’autre part, à ce projet panafricain, s’est juxtaposé le projet national. Des Etats devenus indépendants voulaient se constituer en nations et développer un enseignement, des programmes historiques, mémoriels et muséaux d’histoire nationale. Donc, les 8 volumes de l’Hga publiés en Europe font des centaines voire 1.000 pages. Ils comptent ainsi chers par rapport au budget européen et à plus forte raison africain. L’ouvrage est alors resté le compagnon des universitaires, encore que tous les professeurs n’ont pas ces livres. L’Hga n’a donc pas eu le retentissement qu’elle devait avoir. Un premier pas a été fait grâce à l’effort de Présence africaine . On a pensé faire une collection de poche, plus pratique, moins chère. Cependant, même ces volumes n’ont pas eu le succès escompté. Nous autres historiens sommes restés sur cette vision panafricaine en ayant créé l’association des historiens africains. Notre aîné Joseph Ki-Zerbo a assuré la présidence à une époque. Il incarnait l’Hga et l’association est, aujourd’hui, dirigée par Doulaye Konaté, un historien de la nouvelle génération. Nous avons défriché des terrains nouveaux, élaboré de nouvelles problématiques. Lorsque l’Organisation de l’unité africaine ( Oua ) est devenue Union africaine ( Ua ), changement qu’il faut saluer, parallèlement au développement institutionnel de l’Ua, aux différents projets économiques, il était nécessaire de reprendre la problématique identitaire, culturelle, mémorielle et historique du continent parce que toute organisation sociale, pour durer, s’accompagne d’une prise en charge mémorielle. Les chefs d’Etat africains ont souhaité que ces 8 volumes entrent effectivement dans les programmes d’enseignement.

C’est l’Ua qui a donc sollicité l’Unesco ?

Oui. Il lui a été confié la mission de rechercher les nouvelles compétences africaines en histoire. Elle nous a convoqués. Nous avons entamé, depuis l’année dernière, un gros travail à Paris. C’est une deuxième aventure intellectuelle collective. Un conseil scientifique a été monté. Vous savez, le dernier volume a été publié en 1999. Cela veut dire que le travail a été fini à la fin des années 1970, depuis 1980. Or, depuis cette date, il s’est passé beaucoup de choses, à commencer par les changements en Afrique australe, la démocratisation, la nature du pouvoir, toutes les choses que les historiens ont déjà traitées. Cela nous donne l’occasion de replacer les évolutions actuelles dans une lecture actuelle et faussement internationale, notamment celle qui consisterait à dire que la démocratisation en Afrique, c’est le discours de La Baule, la chute du Mur de Berlin, que notre stratégie de décentralisation, c’est le modèle allemand ou américain alors que l’Empire du Mali, le Royaume songhay, le Congo, sont des exemples de gestion d’espaces énormes avec des populations, langues et cultures différentes, mais dans un système qui a su durer plusieurs siècles. Le gouvernement libyen a mis à la disposition de l’Unesco des moyens. Les travaux techniques ont été faits. Le comité scientifique a défini le cadre conceptuel. 44 pays ont répondu aux questionnements. Les 9 qui ne l’ont pas fait sont en crise politico-militaire ou en cours de reconstruction. Les plénières et les ateliers doivent permettre d’arriver à des résultats.

Lesquels ?

C’est qu’en sortant d’ici, nous seront d’accord qu’il faut introduire l’ Hga dans les programmes, qu’il va falloir trouver des procédures concrètes pour que le contenu soit disponible et mettre au travail les différents spécialistes. J’étais jeune historien du travail précédent, je suis maintenant l’aîné. Les historiens retenus, avec la modestie des chercheurs qui se montrent extrêmement prudents, se montrent passionnés de participer à cette aventure exceptionnelle.

La place de l’enseignement de l’histoire reste jusque-là très insuffisante dans nos programmes. Ne va-t-on pas tomber dans les mêmes travers ?

Certains Etats ont de bons programmes en histoire, notamment les derniers qui se sont libérés ou du racisme ou de la colonisation en Afrique australe où l’histoire a une place importante. Dans d’autres, je ne sais pas pour quelle raison, on a pensé avoir besoin de développement dans un sens étroitement économique, technique et financier et tout ce qui est historique est laissé un peu de côté. Ainsi, dans beaucoup de disciplines, des gens ont été formés sans aucune connaissance de l’histoire.

Aujourd’hui, il apparaît bien que toutes les puissances émergentes (Chine, Inde, Brésil) sont celles dans lesquelles la personnalité nationale est forte, l’histoire nationale très connue et les références pour aller vers l’avenir tirées de l’histoire du pays.

Pour la Chine, par exemple, la chose qui fait aller de l’avant, c’est la fameuse fable tirée du fin fond de l’histoire chinoise : « Comment Yu kon déplaça les montagnes ». Donc les Chinois savent qu’ils peuvent déplacer les montagnes à partir de leur histoire. Si nous faisons cela, nous allons croire que pour se développer, il faut faire comme l’Europe, que ce dont nous avons besoin, c’est le fameux Document de stratégie de réduction de la pauvreté comme programme.

Alors que dans notre propre histoire, il n’a jamais été question de réduire la pauvreté mais de produire des richesses. Si vous ajoutez à cela toute la problématique de la Mondialisation qui est à la fois financière, économique et culturelle, dans 40 ans, nos enfants penseront Mac Do, Coca Cola, etc. Et quand vous leur parlerez de Soundjata, de Kanka Moussa, ils ne le sauront pas.

Aujourd’hui, il est vraiment nécessaire de prendre tout cela en charge, d’autant plus que les Etats commencent à se poser des questions, dans le cadre des festivités des 50 ans. Les historiens diront qu’il faut interroger les 50 ans, mais ne pas aussi oublier que nous avons des millénaires d’histoire derrière nous et qu’il ne faut pas que les ratés éventuels de ces 50 ans ne fassent pas oublier cette longue durée de l’histoire africaine.

L’enseignement de l’histoire vise la formation d’une pensée historique et non une accumulation de savoirs. Pourtant on assiste, dans nos écoles, à une sorte de guidage de l’élève ?

C’est vrai. Dans la première réunion, nous avons noté que ce n’est pas seulement le contenu des manuels qui doit changer ni la répartition des matières, mais probablement les méthodes pédagogiques doivent évoluer, notamment la pédagogie verticale (de haut en bas) où l’élève reçoit, apprend par cœur et recrache. Il faut des documents et pas seulement les produits des recherches pour que les élèves et étudiants s’en accaparent, solliciter aussi les Tic, faire des bandes dessinées afin que l’histoire ne devienne pas barbante. Lorsque l’on regarde les séries américaines, c’est l’histoire des Usa qui est mise en scène. Nous devons aussi mettre en scène notre histoire avec une pédagogie renouvelée. Dans cette réunion, il y aura à la fois des représentants des ministères, des parents d’élèves, des didacticiens, des spécialistes de la pédagogie, etc. Et je pense que nous allons vers ce renouveau.

Vous allez rénover l’histoire africaine mais sans falsification ni manipulation ?

Rassurez-vous. Nos aînés étaient passionnés d’histoire, ils étaient très critiques notamment à l’égard de l’idéologie issue du colonialisme, de la traite négrière. Nous restons d’abord dans cette même posture, d’autant plus que dans les pays du Nord, cette vieille idéologie n’est pas morte. Elle se reproduit, s’énonce constamment dans des discours de politique (on se rappelle du Discours de Dakar) ou dans certains musées où l’art africain, c’est du fétichisme, sans histoire là-dans, au mieux, c’est de l’ethnographie. Nous sommes attentifs à cela. Mais, nous savons aussi que nos propres sociétés africaines peuvent être confrontées à des dénis, des déformations de cette nature. Tout le monde cite l’Afrique du Sud qui a fait le choix de garder sur son territoire, les Blancs, Indiens, Chinois, tous ceux qui sont venus, en ayant en charge comment construire cette nation dont l’histoire est celle de la fabrication des races et des conflits entre les races. Si nous prenons d’autres pays, le problème est tout entier. En Afrique centrale, nous avons des populations qu’on dit pygmée (un mot qui, en soi, est infamant) dont on ne parle presque jamais dans les livres d’histoire. Les périodes que nous avons vécues, notamment sous les régimes des partis uniques souvent reposaient sur la capitalisation de l’histoire et du passé par les pouvoirs. Donc, nous traquons toutes ces déformations et en même temps, nous ne sommes pas dans une position défensive.

Ce que nous voulons, c’est de transmettre aux jeunes la connaissance, la passion et la fierté de leur passé. Plutôt que d’être simplement en position de combattre, nous sommes en position de création et de stimulation vers l’avant parce que l’Union africaine demande la formation de citoyens africains et non des citoyens de chacun des 53 Etats.

Entretien réalisé par Daouda MANE





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